St Jérome pénitent ( LE TITIEN )
I AUTORITE DE L'ECRIT ? | |
II LA FABRICATION D'UN TEXTE SACRE | |
III QUEL
ANCIEN TESTAMENT ? |
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IV Y A-T-IL UNE TRADITION APOSTOLIQUE ? | |
V QUEL NOUVEAU TESTAMENT ? | |
I L'ANHISTORICITE
DES EVANGILES 1 Le pouvoir et l'écrit
2 Autonomie -Hétéronomie 3 Lectio divina en France après la Révolution 1 -La Restauration de la Foi; ses contradictions
2 -Quel est le contenu du Canon? 3 -L'historique de la fabrication a) Illusions de l'Union b) L'époque Carolingienne c) L'époque Féodale d) A partir du XIllème siècle e) Le Concile de Trente f) Et le livre fut ... 1 La doctrine
de l'église
2 La septante 3 Monothéisme ou monolâtrie ? 1 La
doctrine de l'Eglise
2 Qu'est-ce qu'un apôtre ? 3 Jésus a-t-il créé uneEglise ? 4 L'avènement de l'Eglise 5 L'avènement des faussaires 6 Qu'est-ce qu'une tradition? |
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SOMMAIRE
1 La doctrine
de l'Eglise
2 Qu'est-ce qu'un apôtre ?
3 Jésus a-t-il créé
uneEglise ?
4 L'avènement de l'Eglise
5 L'avènement des faussaires
6 Qu'est-ce qu'une tradition?
La tradition apostolique a été définie par le
Concile de Trente et le Concile Vatican II.
- Le Concile
de Trente, dans sa session IV du 8 Avril 1546, et le premier décret relatif
à la réception des Livres Saints et des traditions des apôtres, déclare voir:
" clairement aussi, que cette vérité et cette règle sont contenues dans les
livres écrits et dans les traditions non écrites qui, reçues par les apôtres
de la bouche du Christ lui-même, ou transmises comme de main en main par les
apôtres sous la dictée de l'Esprit-Saint, sont parvenues jusqu'à nous. C'est
pourquoi, suivant l'exemple des Pères orthodoxes le même Saint Concile reçoit
et vénère avec le même sentiment de piété et le même respect tous les livres
tant de l'Ancien Testament que du Nouveau Testament, puisque Dieu est l'Auteur
unique de l'un et de l'autre, ainsi que les traditions elles-mêmes concernant
aussi bien la foi que les moeurs, comme ou bien venant de la bouche du Christ
ou bien dictées par l'Esprit-Saint et conservées dans l'Eglise catholique par
une succession continue"
- Le Concile
Vatican II. La Session VIII du 18 Novembre 1965 adopta la Constitution dogmatique
"Dei verbum" dont le chapitre II sur la transmission de la révélation divine
indique:
"or pour que l'Evangile fût toujours gardé inaltéré et vivant dans l'Eglise,
les apôtres laissèrent pour successeurs des évêques et leur transmirent leur
propre charge d'enseignement. Ainsi donc, cette Sainte Tradition et la Sainte
Ecriture de l'un et l'autre Testament sont comme un miroir dans lequel l'Eglise
dans son pélerinage sur Terre contemple Dieu, de qui elle reçoit tout, jusqu'à
ce qu'elle soit amenée à le voir face à face tel qu'il est.... La Sainte Tradition
et la Sainte Ecriture constituent un unique dépôt sacré de la Parole de Dieu,
confié à l'Eglise.... Cependant, la charge d'interpréter de façon authentique
la Parole de Dieu, écrite ou transmise, a été confiée au seul Magistère vivant
de l'Eglise.... , dont l'autorité s'exerce au nom de Jésus-Christ".
Dans les deux cas, les Pères conciliaires ont
développé un passage d'une lettre aux Corinthiens, relatif aux évêques, attribuée
à Clément de Rome, qui l'aurait écrite dans les dernières années du premier
siècle de notre ère:
"Nos apôtres aussi ont su par notre Seigneur Jésus-Christ qu'on se querellerait
sur la fonction de l'évêque. Telle est la raison pour laquelle, dans leur prescience
parfaite, ils établirent les ministres évoqués plus haut et instituèrent qu'aprés
leur mort d'autres hommes, dûment éprouvés, prendraient leur succession"
Mais on aurait tort de penser que la tradition
oppose des certitudes à des hypothèses L'onction melliflue des propos conciliaires
cache difficilement les questions qu'un lecteur peut se poser: qu'est-ce qu'un
apôtre? Jésus a-t-il créé une Eglise ? la Septante grecque était-elle connue
des apôtres galiléens? qu'est-ce qu'une tradition?
" et il leur dit: allez dans le Monde entier, proclamez l'Evangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui refusera de croire sera condamné" (Marc XVI -15, 16).
L'apôtre est donc un "envoyé". Cette définition serait très claire et sûre si Marc avait effectivement écrit ces versets. En fait, le chapitre XVI de l'Evangile dit de Marc s'arrête à son verset 8, suivant une opinion unanime des exégètes; le bon Chanoine Osty, traducteur connu et théologien reconnu, admet lui aussi une mutilation de ce texte précisant que les versets de 9 à 18 ne sont pas de Marc. ( 1 )
Comme les deux autres évangiles synoptiques, dits de Matthieu et Luc, se sont inspirés largement de celui dit de Marc, quelle valeur accorder à une mission apostolique dont on peut douter de la réalité?
Il y eut, dit-on, douze apôtres. Nous le savons, ce chiffre douze ne désigne pas un nombre précis de fidèles choisis et mandatés par Jésus; ce chiffre a valeur de symbole; d'autant qu'un treizième intervint en la personne de Paul, non mandaté par Jésus vivant; il s'imposa aux apôtres authentiques,si l'on peut dire, par la force de ses convictions hallucinatoires, ses qualités de citoyen Romain et de Tarsien, c'est-à-dire par l'éclat d'un statut social nettement plus élevé que celui des pêcheurs galiléens. On peut donc,dans la tradition ecclésiastique, compter pour apôtre celui qui s'est mandaté lui-même. D'ailleurs, les "Actes d'apôtres" nous renseignent principalement sur Pierre, Jean, Jacques le Majeur et Paul; les autres y sont pratiquement inexistants dans leur individualité.
La tradition orale dans un milieu populaire prend nécessairement une forme légendaire. Or, dans l'Evangile dit de Marc, les douze personnifient les principaux représentants oraux de Jésus dont le rôle est d'assurer la perpétuation de la tradition c'est-à-dire l'annonce du royaume des Cieux qui doit venir incessamment. La tradition a donné lieu, pour partie, à la rédaction du "Liber pontificalis", suivant lequel Pierre a séjourné à Rome de 42 à 67, année de sa mort et de la mort de Paul. Suivant les "Actes" (chapitre XII), Pierre semble être encore à Jérusalem au moment du décès d'Agrippa en 44; après sa délivrance miraculeuse, Pierre, précise le verset 17, s'en alla dans un autre lieu, mais pas à Rome. Pierre est nommé pour la dernière fois dans les "Actes" à propos de l'Assemblée tenue à Jérusalem afin de débattre de la circoncision avec Paul; c'est-à-dire bien as la mort d'Agrippa 1er.; nulle part il n'est question d'un déplacement à Rome. D'ailleurs, le livre des "Actes", du chapitre XVI à la fin, chapitre XXVIII, est consacré aux voyages de Paul, son emprisonnement, son séjour à Rome qui dura, dit-on, deux ans; sans mentionner sa mort. En fait, Paul, non mandaté par Jésus vivant, apparait comme le seul vrai missionnaire parmi les apôtres, qui paraissent bien usurper leur qualification d'autant que les "Actes", juste après l'Ascension, les ramènent à Jérusalem pour prier (chapitreI -11,14), au lieu d'aller évangéliser le Monde.
A côté de ces disciples du premier rang
existent aussi ceux que les Communautés chrétiennes appellent des prophètes:
"Il y avait dans l'Eglise établie à Antioche des prophètes et des docteurs"
(Actes XIII -1).
"Des prophètes descendirent de Jérusalem à Antioche" (ActesXI -27) ...;etc...
Sont-ils ces "conteurs intarissables" dont parle
Papias? Ceux qui annoncent le Seigneur en paraboles comme dit Barnabé? Ignace
d'Antioche dans sa lettre aux Philadelphiens recommande de les aimer:;
"Ils ont reçu le témoignage de Jésus-Christ et figurent dans l'Evangile de notre
commune espèrance".
Pour la Didaché, les apôtres et prophètes se tiennent au même rang; elle recommande de les accueillir, de les nourrir, et insiste sur le caractère itinérant de leur mission; ils viennent au nom du Seigneur, et sont les grands prêtres des communautés.
De nos jours, W.Kelber a parfaitement mis en
lumière combien les discours de ces itinérants des premiers âges rendaient oralement"Jésus
effectivement présent " .L' "effet produit par des mots proférés
est celui d' une intense présence "
Il existe "un voisinage absolu entre la voix et l'être, entre la voix
et la signification de l'être qui associe les mots oraux à toute une métaphysique
de la présence et de la parousie". "Les prophètes parlaient en représentants
de Jésus et incarnaient ainsi sa propre autorité;" Jésus continuait à s'exprimer
dans leurs proclamations:" "Les prophètes tiraient un maximum de
la puissance du média oral dans le dessein de perpétuer la présence et l'autorité
du Seigneur vivant Jésus" ( 2 )
Ces apôtres-prophètes, héros du temps de la Parole, se sont manifestés pendant au moins un siècle et demi, jusqu'à ce que l'écriture submerge leurs témoignages et change totalement la nature de la Foi; de Foi en la Parole, elle devint Foi en l'Ecriture aux dires précis de Cyprien de Carthage au milieu du IIIème siècle. Le prophétisme chrétien eut une influence directe sur la manière dont les diverses communautés urbaines, après celle de Rome, comprirent les livres alexandrins de la Septante. Au fur et à mesure de leur adoption,. ces appropriations progressives manifestaient la complexité d'une recherche identitaire des religionnaires.
Les groupes de lettrés chrétiens les plus
influents furent au IIème siècle, au-delà des Pères dits apostoliques, de Justin,
Minucius Felix, Irénée et autre Tertullien, les compagnons esclaves d'Hermas,
inconnus puisque sans nom; en outre sans droit, sans origine, sans religion
reconnue, sans sépulture digne après leur mort; compagnons élevés dans les paedagogia
impériaux pour subvenir, par leurs travaux de scribes, archivistes, bibliothécaires,
traducteurs, aux besoins quotidiens de l'Administration. Quelques milliers déjà
sous Trajan, propriétaire d'environ 20.000 esclaves; répartis dans les bureaux
de Rome, Alexandrie, Antioche, Carthage, Pergame et autres chefs-lieux de Provinces
ou de propriétés impériales. Pour ces chrétiens, les prophètes de la Septante
ne pouvaient être que les représentants de leur Sauveur connu des prophètes
itinérants qui, passant de communauté en communauté clandestine, enivrèrent
leurs divers auditoires d'émotions et images du "Sauveur". Une interprétation
typologique naissait en contrepoids de leur état de profonde déréliction.
La question de connaître l'origine exacte de
ces livres, juifs ou pas? se posait d'autant moins qu'il n'existait plus de
nation juive, de province juive, d'habitants juifs à Alexandrie et Jérusalem,
dénommée désormais depuis 135 Aelia Capitolina. Il n'existait plus que des religionnaires
juifs, rabbins ou simples fidèles dont aucun n'aurait oublié aussi totalement
le rôle de leurs propres prophètes servant d'intermédiaires entre Dieu et son
peuple élu.
Donner au christianisme des origines juives revient
à oublier au moins deux siècles d'Histoire, et le fait qu'un dieu crucifié,
,traité en esclave torturé, n'a aucun précédent dans l'Histoire et les Ecritures
juives; sauf à estimer d'origine juive la certitude délivrée par les conteurs
chrétiens que leur Sauveur, rendu présent et actif par leurs discours, ne pouvait
mourir.
"La tradition reflète un climat herméneutique qui n'est pas vraiment favorable à la composition d'un récit de la Passion ...Le discours oral est la matrice dans laquelle s'épanouit le Christ vivant, et grandit le sens de la présence de Dieu" ( 3 )
D'autant plus qu'aucun esclave n'aurait pu accepter de voir l'instrument de son salut dans une croix, arbor infelix, qui était si fréquemment celui de sa mort; jusqu'à ce que le gibet et la pendaison eussent été substitués à la crucifixion, dans la deuxième décade du 4ème siècle.
En définitive, des apôtres? oui, sous la
forme de conteurs intarissables, cheminant incessamment de groupe en groupe
pour dire la geste de leur héros, ses miracles, ses guérisons, son autorité
bienfaisante qui courbait les éléments naturels, leur Sauveur toujours vivant.
Acteurs d'une oralité temporairement triomphante, ils furent , au bout de deux
siècles environ, submergés par l'écriture, qui apportait aux besoins d'identité
des fidèles des réponses plus complètes.
Sont-ils missionnés ? exécutent-ils un ordre?
non assurément! Ils sont mus, comme Paul, par la puissance hallucinatoire de
leur image du Sauveur, qu' ils tiennent à partager avec leurs frères d'infortune.
Ce Sauveur agit pour la collectivité des sans
droit et sans nom; il va, par le culte qui lui sera rendu progressivement, leur
permettre d'acquérir une identité salutaire. Au fait, il n'y a pas eu d'ordre.
Un ordre est précis; il décrit une action bien délimitée dans l'espace et le
temps, dont l'exécution oblige le missionné à revenir auprès de son maître pour
recevoir un nouvel ordre:
"Allez dans le Monde entier, proclamez l'Evangile à la création" (Marc XVI -15,16).
Malgré l'impératif, c'est une formule générale
d'invitation, ou mieux d'incitation à agir, non un ordre; celui-ci aurait dû
se fractionner en onze missions précises, attribuant telle ou telle nation à
tel ou tel apôtre, car le terme d'apôtre aurait trouvé là sa pleine justification.
L'ordre aurait été suivi d'instructions, même non détaillées,sur les moyens
à mettre en oeuvre pour aboutir aux résultats souhaités. Un tel manque de rigueur
dans la préparation de l'action, de la part d'un dieu omniscient et prescient,
suffoque; il connait quelles difficultés concrêtes une conquête chrétienne de
la Terre soulèvera: deux milles ans après sa mort, un cinquième seulement de
l'humanité peut être dit christianisé.
L'on remarquera que dans le livre des Actes, les apôtres ne se réfèrent pas une seule fois explicitement à cet ordre d'enseigner les nations; paradoxalement, ils se terrent à Jérusalem, où Paul vient les consulter, entre autres questions, sur la circoncision (Acte XV). En ce qui concerne Pierre, disparu après sa délivrance miraculeuse (Acte XII -17), il reparaît pour la dernière fois incidemment, dans la discussion sur la circoncision (Acte XV -17), sans que son départ pour Rome soit signalé ultérieurement. A partir de ce chapitre les Actes sont entièrement consacrés aux périples de Paul qui, lui, reçoit ses ordres par l'intermédiaire de visions, d'extases, et même d'une apparition de Jésus; celui-ci lui fixe Rome pour objectif (Acte XXIII -11); aussi bien, Paul, prisonnier de Festus, en appelle à César pour être jugé par César à Rome (Acte XXV -12). Jésus sait donc donner un ordre, concis et précis comme un chef militaire.
Faut-il une preuve supplémentaire d'une interpolation dans le dernier chapitre de l'Evangile dit de Marc?
3 Jésus a-t-il créé une Eglise?
La question, ô combien sacrilège, porte
sur l'avènement, dans un avenir proche,du royaume des Cieux, prêché constamment
par Jésus:
"En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout celà
arrive. Le Ciel et la Terre passeront, mes paroles ne passeront pas" (Marc XIII
-30,31)
A prendre à la lettre cette prédiction, comme
le Ciel et la Terre ne passeront, vraisemblablement, qu'au bout de trois à quatre
milliards d'années, on est saisi d'un doute quant à la "science infaillible"
de Jésus Christ Dieu. S'il voulait exprimer une raison supérieure aux données
scientifiques dans cette annonce d'une catastrophe cosmique imminente, à l'évidence,
toute mission donnée aux apôtres, toute création de rites ou sacrements structurant
la vie d'une Eglise s'avèrait totalement inutile. De fait, nous le savons, Marc
ne semble missionner les apôtres qu'après la résurrection du Sauveur, et sa
glorification par l'Ascension, après avoir été remplacé par un pseudo-évangéliste.
En d'autres termes, l'institution de l'Eglise, des sacrements, de la mission
apostolique, sont des vérités de Foi et non des faits historiques sûrement avérés,
comme on aurait pu l'escompter s'agissant du Sauveur de l'humanité.
La Constitution dogmatique "Dei verbum" du 18
Novembre 1965, dans son chapitre II de la transmission de la révélation divine
déclare:
"Or pour que l'Evangile fût toujours gardé inaltéré et vivant dans l'Eglise,
les apôtres laissèrent pour successeurs des évêques et leur transmirent leur
propre charge d'enseignement" .
Même si les Pères conciliaires semblent reprendre
ici une lettre attribuée à Clément de Rome leur affirmation n'en reste pas moins
surprenante, tant elle travestit la réalité: les évêques les plus célèbres du
3ème ou du 5ème siècle, tel Cyprien de Carthage ou Ambroise de Milan ou Augustin
d'Hippone n'ont jamais déclaré succèder à un apôtre dénommé parmi les douze,
les onze ou les treize. Oublier délibérément les législations d'Ulpien et de
Marcien au 3ème siècle, l'édit de Caracalla de 212, la petite paix des Eglises
de 212 à 250 qui permirent aux chrétiens de sortir de la clandestinité décrite
si vigoureusement par Celse autour de 180, et les obl.igèrent, pour s'organiser
en associations d'entraide funéraire, à accepter la férule de Présidents Evêques,
responsables sur leur tête de la bonne tenue de leurs communautés; oublier ce
contexte historique, qui fit de chaque collège chrétien le berceau d'un culte
privé, autorisé, c'est s'enfermer dans une vision tout à fait irréaliste du
passé, fabriqué des siècles plus tard pour justifier une volonté de puissance
humaine, trop humaine, alliée à une direction de l'inconscient de fidèles infantilisés
qui croyaient trouver dans une obéissance absolue à leurs maitres la certitude
du salut..
Un mensonge par omission reste un mensonge, eût-il été asséné comme vérité pendant des siècles.
L'on n'insiste pas suffisamment, sur le fait
que Jésus apparaît dans les évangiles comme un conteur et non pas comme un écrivain;
non qu'il ne sache écrire, comme le montre l'épisode de la femme adultère (Jean
VIII -6,8). S'il avait voulu, nonobstant l'avènement imminent du Royaume des
Cieux, laisser après lui une Institution, nul doute qu'il aurait donné par écrit
des instructions précises; ainsi, auraient été évité les plus dangereuses hérésies,
que "sa science infaillible" de Dieu lui permettait de connaître. Il s'est donc
cantonné volontairement dans un rôle de serviteur de la parole, rôle tenu avec
le plus grand succès. Il a rassemblé autour de lui des foules enchantées par
ses dires; partageant et faisant vivre dans les consciences individuelles des
sentiments et des images qui préexistaient dans un inconscient collectif. Jésus-homme
était assurément "un metteur en images", un excitateur d'émotions salutaires,
nécessaires à l'éclosion plus tardive du mouvement connu sous le nom de religion
chrétienne plutôt qu'un véritable fondateur de celui-ci.
L'histoire succède à la préhistoire; si Jésus
avait proféré le langage que nous appelons maintenant chrétien, personne ne
l'aurait compris et suivi. Ce rôle d'incitateur paraît d'autant plus net que
les évangiles se réfèrent constamment à l'Ancien Testament. Or celui-ci est
constitué, dès les origines selon les Conciles, par l'ancienne version grecque
appelée la Septante. Jésus ne la connaissait pas, ou pour le moins il ne pouvait
pas l'utiliser. Il vivait en Palestine où on lisait les Ecritures en hébreu
exclusivement, traduites à la volée en araméen, langue vernaculaire. Il vivait
le plus fréquemment en Galilée, région colonisée très durement par les Hasmonéens
Juifs à la fin du 2ème siècle avant notre ère qui imposèrent à la population
leur propre religion judéenne .Comme la Septante représente bien l'Ancien Testament
chrétien selon les Conciles, il faut en déduire que cette inclusion est bien
plus tardive que l'époque de Jésus; les douze apôtres, pour les mêmes raisons,
ne connaissaient pas ces livres grecs, outre leur illettrisme, ignorance et
naïveté intellectuelle que constatent crûment les Actes (IV -13) .
Considérer le dépôt doctrinal chrétien comme révélé par Jésus à ses apôtres, transmis par ceux-ci à des évêques leurs successeurs"comme de main en main" relève d'une vive imagination autant que d'un besoin contraignant d'oublier les incertitudes, connues, d'une situation bien concrête; cette vérité de foi ne constitue pas un fait historique.
En définitive l'avènement du Royaume des Cieux
s'est traduit par l'avènement de l'Eglise qui a suscité les fantasmagories les
plus débridées. Assurés de tenir le rôle d'un Jésus prédicant, les exégètes
théologiens du premier siècle, dit-on ,sont allés, en rêveurs éthérés ,jusqu'à
fonder une première Eglise :
".... L'Eglise spirituelle
créée avant le Soleil et la Terre..."
" ...L'Eglise vivante est le
corps du Christ puisque, dit l'Ecriture, Dieu créa l'homme mâle et femelle,
l'homme est le Christ, la femme l'Eglise. Les livres des prophètes et les apôtres
disaient aussi que l'Eglise n'est pas née à notre époque mais à l'origine...
l'Eglise qui était spirituelle s'est rendue visible dans la chair du Christ"
.
Ce flot d'images, comme une inondation sur un
sol trop sec, déborde du cadre étroit de notre compréhension naturelle et nous
entraîne dans des perspectives bien peu conformes à la rigueur morale chrétienne:
l'homme le Christ; l'Eglise la femme; qui devient chair de l'homme par leur
union, alors que l'Eglise est littéralement la fille de Jésus, instituée par
lui; perspectives dans lesquelles l'Eglise rejoint Marie, mère du Sauveur, comme
épouse du Dieu; retour de très vieux thèmes religieux égyptiens et babylonniens
entre autres, glorifiant l'inceste. Mais ces jeux d'images ne sont pas gratuits,
ils permettent de cacher la réalité concrète de la transformation, du IVème
au VIIIème siècle, de l'évêché de Rome en Etat pontifical, du vicariat de Pierre
en vicariat de Jésus-Christ Dieu. L'humilité naturelle de l'évêque de Rome l'a
conduit à se substituer pleinement à l'ancien Empereur romain d'Occident dont
il s'est approprié le titre de Pontifex Maximus et de Roi des Rois.
Maintenant encore le Pape agit en dernier empereur
de l'Univers, incarnation terrestre du Soleil dans ses vêtements blancs et or;
il dit parler au nom d'un Dieu d'amour; il prêche urbi et orbi un devoir d'obéissance,
contraignant ses fidèles à respecter sa loi, éventuellement à l'encontre de
celles de leurs propres Patries.
Qu'est-ce qui justifie une telle prétention? Rien;
sinon la fausse certitude d'honorer le seul vrai Dieu et de constituer la seule
vraie religion; renforcée encore, au IVème siècle, par la décision politique
de Constantin d'unifier les communautés éparses en une seule Eglise, une unification
manifestée par le premier Concile oecuménique de Nicée; pour établir cette institution
en administration religieuse impériale, sous la direction du Prince, Pontifex
Maximus qui se conduisait en représentant du Dieu, source de puissance; et en
garantie de la stabilité de l'Empire.
Mais la dynastie constantinienne causa de forts désagréments aux évêques orthodoxes par des appuis occasionnels aux hérétiques ariens, et le retour aux anciens cultes consécutif à l'apostasie de Julien. L'avènement d'autres dynasties, non issues de la haute aristocratie romaine, permit à Ambroise évêque de Milan, alors capitale occidentale, de désacraliser la fonction impériale par l'abandon, consenti par Gratien en 382, du titre religieux suprême; de faire agenouiller devant lui Théodose, à la suite du génocide de Thessalonique, et d'obtenir de ce dernier les textes formalisant la disparition des anciennes religions.
La fin de l'Empire d'Occident en 476 aiguisa,
la nature ayant horreur du vide, l'appétit des évêques romains alimenté par
la reconnaissance de l'importance grandissante du Siège, du fait de l'Empereur
d'Orient. Celui-ci nomma l'évêque de Rome, duc de la Ville, avant de l'abandonner
définitivement après la prise de Ravenne par les Lombards, en 751; Ravenne abritait
les services du mandataire direct de l'Empereur d'Orient. Ces Lombards terrorisaient
depuis longtemps les Romains; leurs incursions poussèrent le Pape Etienne II
à braver les périls d'une traversée hivernale des Alpes, pour venir solliciter
en 754 le secours de Pépin le Bref. Instruit de l'échec de Grégoire III en 739,
dans sa demande d'aide à Charles Martel, Etienne II séjourna en l'abbaye de
Saint-Denis, conféra à Pépin le Bref le sacre royal, cependant que "la Fausse
Donation de Constantin" circulait à Rome et surtout en Gaule; elle présentait
l'évêque de Rome comme seul héritier légitime du grand Empereur. S'agissait-il
d'un pieux récit à l'intention des pélerins se rendant au Latran ?
La Donation de Constantin reste: "le faux médiéval
le plus littéraire et le plus complexe"; c'est par elle que l'Eglise put devenir
un Etat véritable, et l'évêque de Rome imiter plus complètement l'Empereur d'autrefois.
La question n'est pas de rechercher les motivations
qui poussèrent Pépin le Bref à se faire le complice d'une telle tromperie: les
gains escomptés étaient trop importants pour les négliger, d'une part l'accroissement
de ses possessions, d'autre part l'onction divine conférée par le Pape à sa
famille, l'établissant ainsi dans une situation identique à celle de Clovis
après le Concile d'Orléans de Juillet 511.
Cette Fausse Donation était comme une arme entre
les mains de Clercs, qui jouaient fort habilement de la naïveté des guerriers
carolingiens, souvent illettrés, superstitieux, et de la puissance magique attribuée
par eux à l'écriture, outre les rites et les fastes impressionnants de l'Eglise
romaine.
La question n'est pas non plus de rechercher les motivations de Dieu -l'Eglise de Rome n'est-elle pas sa chair? - se conduisant en l'occurrence comme un vulgaire faussaire; depuis le temps, la prescription est acquise, mais le non-lieu ne vaut pas oubli. Ce Dieu et son Vicaire à Rome ne sont que des hommes pour lesquels la fin justifie les moyens; l'on utilisa un "pieux mensonge" pour réaliser le but recherché par la papauté.
La question se pose de savoir si cette
Fausse Donation est un acte isolé ou, au contraire , la manifestation d'une
façon de faire habituelle, d'une tradition. A.GRAFTON l'établit clairement.
"Au Moyen-Age, l'activité des faussaires continuait de fleurir.... A l'origine
des fraudes, on trouve le plus souvent le désir de fournir à une personne ou
à une institution un fondement juridique à la possession de terres ou de privilèges...
en particulier lorsqu'un ordre religieux se trouvait dans l'obligation de prouver
son droit de propriété sur les reliques miraculeuses d'un saint : il lui fallait
alors un récit expliquant comment elles lui étaient parvenues; le volume de
ces contrefaçons ne fut jamais négligeable: parmi les actes que nous possèdons,
on peut sans doute considérer comme frauduleux la moitié de ceux qui datent
de la période mérovingienne et les deux tiers de ceux qui ont été dressés avant
1100 par des clercs... " ( 4 )
De son côté, P.J.GEARY, analysant, à la fin du premier millénaire, l'oeuvre
de copistes de grands monastères, notamment Saint-Denis, montre que:
" la fabrication de faux était aussi une tradition vénérable dans le monastère,
une tradition qui se perpétuera dans des siècles" (5)
Il analyse en détail la façon dont la tradition fabrique les faux diplômes mérovingiens, par exemple la Fausse Donation de Dagobert à Saint-Denis, compte tenu de l'extrême difficulté de lire des parchemins originaux des 6ème et 7ème siècle pour un scribe du 10ème, du fait de la révolution technique dans l'écriture que constitua l'invention de la minuscule caroline. Pour faire face aux difficultés successives rencontrées par le monastère, les archivistes utilisèrent la collection de papyri mérovingiens inutilisés qui existait encore à Saint-Denis; ceux-ci servirent de matière première "à la création d'un passé nouveau et plus utile pour le monastère". Ces scribes déployèrent dans la fabrication de ces faux-semblants datés du 7ème siècle ou autres plus anciens, un savoir faire admirable en imitant notamment plusieurs écritures archaïques: onciale, semi onciale
Un pareil travail d'élagage eut lieu dans les archives de toute l'Europe: on conservait ce qui pouvait être utile, agissant avec une grande liberté, détruisant, révisant, recopiant, et surtout réorganisant. Ces archivistes "rendirent inaccessible tout passé différent de celui qu'ils avaient fabriqué".
La Fausse Donation de Constantin fut critiquée
violemment au 15ème siècle par Lorenzo VALLA, dans un ouvrage réédité ces dernières
années. La préface écrite par C.GINZBURG, se termine ainsi:
"... l'autorité du passé, construite par une culture d'antiquaires, de vulgarisateurs,
de fabricants de copies (et de faussaires), pouvait créer les prémices pour
une attaque sans précédent contre le principe d'autorité..."(6)
En fait, il ne suffit pas de s'en prendre seulement au principe d'autorité en ignorant volontairement l'institution bénéficiaire du faux. Si celui-ci est avéré, elle doit perdre tout crédit et ses habillages multiples sociaux-culturels ou politiques doivent lui être arrachés; quoi qu'en dise la Tradition. Car la tradition reste généralement insensible à la révélation de l'erreur ou au dévoilement de la supercherie, la dénonciation de L.VALLA est restée sans effet.
Or souvent, la tradition est un faux spécifique:
" Là où le passé est accessible, en Europe par exemple, on découvre des traditions
bien ancrées, comme on dit, remontant toutefois à hier. Des historiens ont pu
aisément en apporter la démonstration (HOBSBAWM et RANGER 1983 ) Quelques années
suffiraient donc pour faire "tradition" et imposer la répétition. On sait les
innombrables erreurs historiques commises de bonne foi, ou non, pour prouver
l'ancienneté de la tradition".
"Il arrive souvent que l'écrit, loin de s'emparer de traditions séculaires,
enregistre des inventions récentes. Les historiens des sociétés rurales ont
établi que les coutumes n'ont pas fixé d'anciennes traditions mais mis en forme
des institutions d'apparition tardive parées par la grâce (traditionnante) de
l'écrit d'un vêtement archaïque. Bref, les traditions autant que les traductions
sont de belles infidèles".
La tradition sert les intérêts de ceux qui l'ont
initiée pour leur compte ou celui d'une institution dont ils vivent; puis développée
par la répétition du récit sous la férule des possesseurs de pouvoir:
" L'ancienneté ne fabrique pas la traditionnalité; la traditionnalité fabrique
l'ancienneté à la façon de certains antiquaires La tradition est donc une réponse
trouvée dans le passé à une question formulée dans le présent".
Pour un anthropologue, comme Jean POUILLON,
une tradition serait un point de vue rétrospectif, une filiation inversée :
"
nous nous présentons comme les continuateurs de ceux dont nous avons fait nos
prédécesseurs"
"La Tradition exhibe un morceau du passé taillé aux mesures du présent dans
un atelier tout à fait contemporain"( 7 )
En définitive, notre vision de l'histoire des origines du christianisme délimite un champ de ruines :
il n'y a pas de tradition apostolique historiquement fondée.
Inévitablement, dans la mesure où les communautés chrétiennes puis l'Eglise romaine concevaient un Sauveur incarné en un homme; inévitablement, l'idée devait s'imposer d'un lien direct avec ce Sauveur pour que leur doctrine et leurs pratiques possèdassent l'authenticité qu'elles revendiquaient; il fallait une succession continue entre Lui et elles; la fabrication s'opéra nécessairement. De la réalité des "prophètes chrétiens" qui captivèrent les auditoires des deux premiers siècles par les récits des miracles du Sauveur, l'on créa l'image des "apôtres", en nombre indéterminé, mais statufiés dans les douze divinités zodiacales intermédiaires suprêmes entre le Ciel et la Terre, et missionnés par le Christ. Du coup, on fit du Sauveur-homme un chef d'Ecole proposant une doctrine anti-sociale fortement teintée des propos des anciens Cyniques: abandon de la fortune, amour du prochain, citoyenneté du Monde etc...
Vérité de Foi, non vérité d'Histoire
1 Cf. "Bible E.OSTY" -Page 2186 -Note
V8 et V9 -Ed. Club France Loisirs Paris retour
2 Cf. W.KELBER -"Tradition orale et
Ecriture" -Editeur Cerf. Paris retour
3 Cf. W.KELBER -Op. Cit.
4 Cf. A.GRAFTON -"Faussaires et Critiques" -Ed. Les Belles Lettres -Paris
retour
5 Cf. P.J.GEARY -"La mémoire et l'oubli" -Ed. Aubier Paris retour
6 Cf. L.VALLA -"La donation de Constantin"
Préface de C.GINZBURG- Les Belles Lettres -Paris retour
7 Cf. G.LENCLUD -"Transcrire les mythologies" -"Qu'est-ce que la Tradition"
Les Belles Lettres -Paris retour
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