Bible glosée du XVème siècle imprimée à partir d'un manuscrit du XIII ème siècle | On voit avec quelle facilité un copiste pouvait intégrer la glose interlinéaire dans le texte principal | |
I AUTORITE DE L'ECRIT ? | |
II LA FABRICATION D'UN TEXTE SACRE | |
III QUEL
ANCIEN TESTAMENT ? |
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IV Y A-T-IL UNE TRADITION APOSTOLIQUE ? | |
V QUEL NOUVEAU TESTAMENT ? | |
I L'ANHISTORICITE
DES EVANGILES 1 Le pouvoir et l'écrit
2 Autonomie -Hétéronomie 3 Lectio divina en France après la Révolution 1 -La Restauration de la Foi; ses contradictions
2 -Quel est le contenu du Canon? 3 -L'historique de la fabrication a) Illusions de l'Union b) L'époque Carolingienne c) L'époque Féodale d) A partir du XIllème siècle e) Le Concile de Trente f) Et le livre fut ... 1 La doctrine
de l'église
2 La septante 3 Monothéisme ou monolâtrie ? 1 La
doctrine de l'Eglise
2 Qu'est-ce qu'un apôtre ? 3 Jésus a-t-il créé uneEglise ? 4 L'avènement de l'Eglise 5 L'avènement des faussaires 6 Qu'est-ce qu'une tradition? |
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SOMMAIRE
LES LIVRES CANONIQUES CHRETIENS
II LA FABRICATION D'UN TEXTE SACRE
1 -La Restauration de la Foi; ses contradictions
2 -Quel est le contenu du Canon?
3 -L'historique de la fabrication
a) Illusions
de l'Union
b) L'époque
Carolingienne
c) L'époque
Féodale
d) A partir du
XIllème siècle
e) Le Concile
de Trente
f) Et le livre fut
...
1 -La Restauration de la Foi, et ses contradictions
La Restauration de l'Ancien Régime politico-religieux, qu'avait balayé la Révolution Française, apporta aux héritiers des divers pouvoirs la consolation d'une revanche qui ne put,toutefois, extirper totalement le souvenir des peurs extrêmes naguère éprouvées. Particulièrement dans le domaine religieux, le Sang des "Martyrs" de la Convention exigeait l'oubli définitif du culte de la Raison qui avait détrôné pendant quelques années celui du Dieu fait homme et crucifié. La nécessité d'une entière compensation tendit à renforcer le caractère historique de la vie supposée de ce Sauveur et des récits qui la contaient, pour que chacun crut plus fortement qu'avant en la vérité et la sainteté de l'Eglise Catholique Romaine; les sarcasmes anciens des philosophes des Lumières ne manifestaients-ils pas leur caractère mensonger puisque la Révolution était vaincue?
Ce mouvement s'incarna en la personne de l'abbé Antoine Garnier, sulpicien, à son retour en 1803 de son exil à Baltimore. Nommé Supérieur général du Grand Séminaire de Saint-Sulpice en 1836, il enseigna continuellement l'Ecriture Sainte par des cours archivés à Saint-Sulpice sous la forme d'un amas d'environ 5.000 feuillets. Il forgea notamment l'hypothèse, vite devenue une certitude avérée ,d'un évangile en hébreu attribué à Matthieu qu'il data de l'an 41 de notre ère Il data du premier siècle tous les évangiles, de telle sorte qu'à la fin de celui-ci le canon des Ecritures chrétiennes était totalement rédigé et diffusé.
Depuis lors, les exégètes, y compris nos contemporains
dans leur grande majorité, ont épuisé des trésors de science pour perpétuer
cet enseignement à quelques variantes près. Nous comprenons avec eux que:
-D'une part les
apôtres, instruits par leur divin Maître, sont devenus, de simples pêcheurs
galiléens, non seulement des maîtres en théologie, mais la source de toute la
"science théologique" puisque le travail de nos exégètes consiste à commenter
sans fin les enseignements que les apôtres auraient confiés à leurs plus proches
disciples. Ces exégètes nous démontreraient ainsi scientifiquement l'inanité
de certains textes sacrés, tel l'évangile dit de Marc (VIII -14, 21)
où Jésus se plaint de l'inintelli-gence des Douze, et surtout les Actes d'Apôtres
(IV -13) où l'auteur, Luc dit-on, par l'intermédiaire du Grand Prêtre et autres
membres du Sanhédrin, constate que Pierre et Jean sont des illettrés, des ignares
et des simples d'esprit après le passage de l'Esprit-Saint à Pentecôte.
-D'autre part le
peuple Chrétien, à qui sont destinés tous ces écrits, y compris les épîtres
apostoliques,possèderait une culture suffisante pour comprendre et assimiler
ces développements théologiques pour le moins ardus; ce qui supposerait une
fréquentation des écoles supérieures réservées à l'élite de la société romaine.
Ceci nous conduirait à contester totalement deux "vérités" avancées par certains
historiens:
En premier lieu, la censure impériale; plus précisément il ne s'agit pas
tant de nier l'existence et l'efficacité de cette censure
que de remarquer combien fut miraculeux l'oubli dont bénéficièrent les écrits
chrétiens. En effet, ils auraient été complètement
rédigés et diffusés dans les années 70 à 100, c'est-à-dire principalement sous
le règne, de 69 à 96, des Flaviens: Vespasien,
Titus et Domitien; véritables vainqueurs des Juifs;sans un tel oubli miraculeux,
ils n'auraient pas supporté des textes caricaturant
leur pouvoir impérial par la figure d'un esclave crucifié sous l'intitulé "Roi
des Juifs"; la notion d' "Histoire Sainte" chrétienne prend ici toute
sa consistance.
En deuxième lieu, l'illettrisme du peuple chrétien. En effet, les exégètes nous démontreraient scientifiquement
que le peuple chrétien dès l'origine regroupe
des fidèles particulièrement cultivés et aptes à tenir les raisonnements les
plus complexes. Certes, on pourrait s'étonner
que la "vérité" de la doctrine chrétienne, présentée par de tels serviteurs
de la parole, n'ait pas attiré avant les 4ème
et 5ème siècles de notre ère les élites gréco-romaines dites aujourd'hui
païennes ou qu'un Marc-Aurèle ait écrit sur l'obstination
des Chrétiens ou encore que ces philosophes- théologiens aient choisi de s'appeler
"chrétiens" nom qui manifestait une hostilité viscérale envers l'Empire romain,
alors que leur culture se nourrissait de sa substance!
Si les voies de la Providence, parfois tracées sur
les eaux, sont difficiles à discerner, Celle-ci n'en gouvernait pas moins le
monde chrétien; à preuve cette définition trinitaire
de la divinité qui aurait été exprimée dès la fin du premier siècle, définition
fortement teintée d'une métaphysique aristotélicienne,
que la chrétienté découvrira seulement à partir du 9ème siècle par l'intermédiaire
des Arabes!
En définitive, s'il faut dénoncer les anachronismes et contradictions des exégètes emprisonnés dans leurs textes, il importe de chercher à comprendre une telle attitude généralisée; d'autant plus surprenante qu'elle se veut une "recherche", marquée donc du signe du doute absolu alors qu'elle se traduit par des compilations répétitives: un élément de texte trouvant son explication non par les divers états culturels de l'auteur supposé mais par un autre élément du même texte, si bien que les séminaires de recherche finissent par rappeler les classes rabbiniques décrites dans les romans des frères Tharaud, ou même les réunions de moines thibétains qui laissent à d'énormes moulins à prière le soin de guider leurs exercices.
Ce consensus au sujet du caractère divin des textes canoniques chrétiens s'explique,trop facilement il est vrai, par l'intérêt professionnel de toute une caste: traducteurs, théologiens, philologues etc... puisque cette sacralité rejaillit inévitablement sur les travaux personnels des intéressés; ces travaux perdraient sans celà beaucoup de leur valeur, tant il est vrai qu'il y a un seul latiniste, helléniste ou humaniste de génie par génération; n'est pas Gaston Boissier, Mario Meunier ou Hans Jonas qui veut! La vie de Jésus constitue un filon littéraire de première valeur, même pour des journalistes.
Le consensus trouve une meilleure raison dans le fait que ces exégètes sont généralement nés chrétiens, catholiques ou protestants, voire Juifs religieux. Ils ont donc pratiqué dès le plus jeune âge le "Livre", Ancien ou Nouveau Testament; ils y sont attachés de toutes leurs fibres; ils l'aiment, projetant sur Lui leur tendre affection d'enfants pour leurs parents-lecteurs.
Et si les chrétiens connaissent Alfred Loisy, ils rejettent les conclusions de ce dernier, car ils ont trop besoin que Jésus, et Paul surtout, vivent concrètement leurs légendes pour s'y associer d'une certaine façon; dans le "Livre", ils se retrouvent eux-mêmes et, bien qu'ils ne puissent l'admettre ils s'auto-idolâtrent; emprisonnés dans leurs textes, emprisonnés dans leurs personnes, fiers de leurs écoles et de leurs Maîtres; ce sont, en définitive, d'inconscients quêteurs de servitude; conscients, ils seraient des imposteurs!
L'on ne peut toutefois s'empêcher d'espérer que le hasard fera surgir un doute dans leur conscience quant à la "sainteté" de cette religion qui condamne l'homme à une soumission perpétuelle, au lieu de lui donner dès ici-bas les moyens de son épanouissement; qui condamne Dieu lui-même à la pire des tortures pour parfaire son rôle de Sauveur. Il y a là, en effet, une telle contradiction entre les buts avoués et les voies choisies, que l'on est saisi, comme malgré soi, d'une terrifiante pensée, ancrée sur la nécessité pour une religion incarnée en un Etat temporel dès 756 d'exercer sans limite sa puissance sur des fidèles illettrés et faibles d'esprit, comme le constatent les Actes d'Apôtres. La morale issue de cette religion n'est qu'une succession de "barrières"; l' homme, fautif par nature à cause du péché originel, trouve sa joie dans l'obéissance à ses Maîtres, assistés, eux, du Saint-Esprit.
Dans de telles conditions, vouloir tracer l'histoire
des origines du christianisme à partir des seuls textes chrétiens, sans référence
aucune à la sociologie de l'époque,constitue, plus qu'une forme de paresse intellectuelle,
une véritable perversion. L'un des plus appréciés Directeurs d'études de l'E.P.H.E.
5ème section, Maurice Goguel, chargé spécifiquement de cette histoire, attirait
pertinemment l'attention de ses auditeurs,étudiants, ou élèves de l'année scolaire
1939-1940, sur le mur impénétrable que constituaient ces textes pour la compréhension
de ces origines. Les exégètes, nos contemporains, rendent ce mur encore
plus haut et plus épais.
2 -Quel est le contenu du Canon?
Mais enfin, quel était l'opinion de l'Eglise
institutionnalisée par Constantin au sujet de ce Canon?
Si celui-ci existait réellement dès la fin du premier siècle; s'il était recopié
très fidèlement, comme par une photocopieuse, par des librarii éclairés par
le Saint-Esprit pour leur éviter toute faute d'interprétation et même toute
espèce d'erreur matérielle; s'il était diffusé miraculeusement à travers des
communautés chrétiennes clandestines et s'entredéchirant violemment; s'il était
lu dévotieusement plus tard dans les associations d'entre-aide funéraire agréées
par les Pouvoirs publics, créées dans les villes importantes de l'Empire, véritables
berceaux d'une future administration religieuse impériale; cette Eglise institutionnelle
devait vivre chaque moment décisif de sa vie les yeux rivés sur le Saint Livre,
où se trouvait fixée immarcesciblement la volonté de son Dieu.
Il suffit donc de se reporter aux actes des Conciles
oecuméniques pour constater l'importance extrême qu'aurait conférée l'Eglise
à ces textes; et d'abord évidemment aux actes du Concile de Nicée 1. Celui-ci
exposa principalement la foi des 318 Pères rassemblés par Constantin le 19 Juin
325 . Or ce symbole de la foi ne contient aucune référence implicite ou explicite
à un Canon de textes ou même à un seul texte; pas plus qu'il ne date la naissance
du Sauveur, ou cite sa mise en croix.
En ce qui les concerne, les règles édictées par
le Concile, au nombre de 20, se réfèrent en deux fois à un texte explicite:
- Dans le
paragraphe XVII, sur les clercs qui prêtent à intérêt: "beaucoup de membres
du clergé, se livrant à l'avarice et à la honteuse recherche du gain, ont oublié
la parole divine: il n'a pas donné son argent à intérêt"; référence au psaume
XIV -5 Les textes de l'Ancient Testament étaient progressivement diffusés dans
les communautés depuis que les chrétiens romains avaient chassé Marcion
de leur groupe, dans l'année 145.
-Dans le paragraphe
II sur ceux qui sont admis dans le clergé après le baptême. Il s'agit
"des hommes passés tout récemment de la vie païenne à la foi chrétienne, et
catéchisés en peu de temps, aussitôt conduits au bain spirituel et en même temps
élevés à l'épiscopat Il est besoin d'une plus longue épreuve. Car le texte de
l'apôtre est clair qui dit: que l'évêque ne soit pas néophyte".
La citation est extraite de la première épître dite de Paul à Timothée (chapitre
III -1 à 8). Le passage décrit un type d'évêque tel qu'il existait depuis le
IIIème siècle, c'est-à-dire responsable auprès de l'Administration impériale
de la discipline de son association. Il faut qu'il sache bien gouverner sa propre
maison et tenir ses enfants dans la soumission; il faut de plus que ceux du
dehors lui rendent un beau témoignage En d'autres termes, nous sommes en présence
d'une évidente interpolation datant de ce IIIème siècle; ainsi donc cette règle
du Concile de Nicée l nous fournit une preuve certaine de la manipulation d'un
texte classé dans le Canon.
Le corpus paulinien constitue de fait la partie la moins authentique du Nouveau Testament; sa valeur, pour beaucoup, prime celle-là même des évangiles. On raconte avec émotion que Spératus, chef du groupe des douze Scillitains décapités pour leur foi en Christ le 17 Juillet 180 à Carthage, portait dans sa musette les épîtres de Paul. Aussitôt, l'imagine-t-on, ces textes représenteraient un ensemble identique au corpus actuel. Toutefois, il faut bien le reconnaître, ni la "Passion des Scillitains" ni les actes de l'interrogatoire conduit par le proconsul Vigellius Sartinus ne précisent soit l'intitulé des lettres, soit leur contenu. Les "Remarques sur la littérature épistolaire du Nouveau Testament" d'Alfred Loisy, même si l'on conteste tel ou tel point particulier, par exemple son interprétation de la lettre aux Romains (XIII -1,7), ont apporté la preuve décisived'une manipulation généralisée de ces instructions apostoliques dont les rédactions successives s'établirent, à quels siècles?
Il fallut attendre la deuxième décade du Vème
siècle pour que (Saint) Augustin dressât un état pratiquement définitif des
titres des livres reconnus sacrés de l'Ancien et du Nouveau Testament; auparavant,
Flavius Josèphe au premier siècle dans "Contre Apion", et Méliton de Sardes
à la fin du IIème siècle avaient donné les titres de livres appartenant à l'Ancien
Testament.
Augustin connaissait, sans doute, les écritures
"divines" acceptées par les Eglises de Milan et Rome au 4ème siècle, écritures
dont une liste incomplète fut publiée dans un manuscrit du 8ème siècle, que
nous appelons ordinairement le canon de Muratori, du nom de son inventeur.
La liste d'Augustin est incluse dans le tome
II du "De doctrina Christiana", ouvrage en quatre tomes dont la rédaction s'est
étalée sur au moins quinze ans depuis le début du 5ème siècle; l'auteur voulait
non seulement enseigner les connaissances nécessaires à la compréhension des
écritures sacrées, mais former des orateurs aptes à convaincre de rechercher
le bien et conduire à la sagesse par l'enseignement de la Bible. La liste d'Augustin
tient à présenter des livres canoniques authentiques, garantis par leur origine
apostolique et la tradition transmise aux Eglises par les Apôtres auxquels ont
succédé les Evêques. La constatation de ces critères d'authenticité est
particulièrement importante puisqu'ils seront repris ultérieurement, tels quels,
par les Conciles de Trente et de Vatican II.
Malheureusement, toutes les Eglises du temps
d'Augustin ne pouvaient partager son opinion sur la canonicité des livres "inspirés",
du fait même de leur éparpillement géographique. En d'autres termes puisque
des différences apparaissaient inévitablement d'une communauté à l'autre, les
origines de ces dernières différaient également, suivant la pensée augustinienne.
A la limite elles pouvaient relever d'autres apôtres que les douze reconnus
généralement. En effet, Jésus, Sauveur de l'humanité, dans sa prescience divine,
savait bien que les pays les plus peuplés au monde se situaient à l'est, l'Inde
et surtout la Chine.
"La Chine existe et formidablement" ( 1 )
Jésus aurait dû former une armée d'enseignants, orateurs pris parmi les gens
les plus intelligents et cultivés pour agir le plus efficacement possible. Or,
si l'Apôtre Thomas a séjourné, dit-on, quelques temps en Inde, personne parmi
les catholiques romains ne s'est aventuré en Chine avant la fin du Moyen-Age.
Il convient d'en déduire que
-D'une part,
le nombre,douze,des Apôtres est un pur symbole, ce qui a été démontré il y a
une soixantaine d'années par Saintyves : "Le nombre des apôtres ne répond pas
à une réalité historique mais repose avant tout sur des fondements astrologiques"
( 2 )
-D'autre part,
c'est outrancièrement que l'Eglise catholique romaine se qualifie d'universelle;
son champ d'action se réduisait avant les grandes découvertes de Colomb et autres
navigateurs, à l'Europe occidentale.
Avant même la liste d'Augustin, les évêques de Rome, particulièrement Damase, étaient persuadés de la nécessité de faire le tri entre livres canoniques et les autres; une Assemblée tenue en 382 à Rome permit à Damase, selon la tradition, de publier un décret "De libris recipiendis", décret qui sera attribué faussement à un de ses successeurs, Gélase, mort à Rome en 496.
L'oeuvre apocryphe de Gélase, écrite au début
du Vlème siècle (avant 519), comprenait une liste de livres "canoniques"
romains, elle reprenait en dernière partie le décret de Damase avec un index
des auteurs interdits.
A vrai dire, ces considérations sur des listes
de livres -nous n'en connaissons que les titres et non le contenu -reçus au
moins par l'Eglise de Rome risquent de nous cacher l'événement fondamental,
c'est-à-dire la traduction par Jérôme des livres de la Bible à la fin du IVème
siècle et première décade du Vème siècle. Ce travail, à la fois considérable
et de grande qualité, tendait vraisemblablement à pallier la disparition de
la plupart des "Vieilles latines" dûe à la persécution de Dioclétien, et
les insuffisances linguistiques et littéraires de nouvelles traductions de la
Septante en latin au milieu du IVème siècle. Jérôme était le seul, à son époque,
à pouvoir traduire en latin des écrits bibliques rédigés en grec ou hébreu.
Il s'agit véritablement de l'acte fondamental puisque cette traduction de Jérôme,
dite alors la Vulgate, devait devenir en 1592 -après les manipulations de combien
de copistes et de traducteurs? -le texte officiel imposé par le Pape et catalogué
de texte divin.
3-L'historique
de la fabrication
a) -Illusions de l'Union
Pour bien assimiler les conditions proches
et lointaines de la fabrication de ce texte, il convient de se référer à quelques
points d'Histoire:
Après l'abandon de la Terre Sainte par les croisés
au milieu du XIIIème siècle, et la tenue du concile de Lyon II en 1274, diverses
tentatives avaient vu le jour pour réunir les deux Eglises chrétiennes séparées
depuis 1054, la Romaine et celle de Constantinople. Les Grecs de Constantinople
cherchaient à jouer la carte de l'union dans l'espoir d'obtenir de l'Occident
une aide efficace pour se dégager définitivement de la menace turque de plus
en plus précise. Finalement, les deux parties convinrent de se réunir en un
concile, au frais des Latins, convoqué pour le début de 1438 à Ferrare, ville
libre et sûre; ce Concile fut transféré à Florence durant l'hiver suivant. Le
Décret d'Union avec les Grecs fut ratifié au cours d'une cérémonie solennelle,
le 6 Juillet 1439, à Sainte Marie des Fleurs à Florence. Quelques semaines plus
tard, les Grecs quittèrent l'Italie sans avoir reçu l'aide économique et militaire
escomptée. Toutefois, une croisade contre les Turcs fut conduite par le roi
de Pologne Ladislas II; elle subit une défaite totale en 1444 à Varna, en Bulgarie,
d'où elle tentait de chasser les Ottomans dirigés par le Sultan Murad II;
cette défaite rendit inéluctable à moyen terme la chute de Constantinople. L'Empire
romain d'Orient devait sombrer avec le dernier Constantin le 29 Mai 1453,date
conventionnelle de la fin du Moyen-Age; soit approximativement au moment de
l'invention de l'imprimerie.
Cependant, les efforts se poursuivaient pour
réaliser l'union avec les autres Eglises séparées; la Bulle du 4 Février 1442
proclame l'Union avec les coptes, jacobistes de tendance monophysique. La Bulle
"Cantate domino" du 4 Février 1442 constitue un document unique dans la suite
des actes des conciles oecuméniques depuis le premier à Nicée en 325; elle est
la seule pièce attestant la liste des livres de la Bible chrétienne dans ses
deux parties: Ancien et Nouveau Testament. Mais elle ne fait qu'en énumérer
les titres,comme si celà suffisait à garantir un contenu absolument identique
dans les diverses et nombreuses versions existant à la fin du Moyen-Age. La
confusion en ce domaine était telle que le Siège de Rome se trouvait dans l'incapacité
d'imposer ou même de recommander aux coptes, représentés par le supérieur du
couvent de Saint Antoine en Egypte, ne serait-ce qu'un texte agréé par le Vatican,
pour cause de multiplicité contraignante.
b) -L'époque Carolingienne
Déjà à l'époque carolingienne, les manuscrits
bibliques étaient remplis de si nombreuses fautes de copistes -fautes matérielles
sûrement; comment déceler les fautes de sens sinon en suivant sa propre
opinion? -fautes de copistes telles que Charlemagne ordonna, vers 797, d'entreprendre
la révision de la Bible pour effacer:
"un mélange
désolant de textes excellents et de textes détestables, quelquefois deux traductions
du même livre juxtaposées, les anciennes versions
mêlées à la Vulgate dans une confusion indicible et les livres de la Bible copiés
dans chaque manuscrit dans un ordre différent"
.
Alcuin remit sa version à Charlemagne à Noël 801. Le manuscrit d'Alcuin a disparu; cependant, les bibles alcuiniennes se répandirent après sa mort, du fait de la prééminence du scriptorium de Tours en tant que centre de production de manuscrits; Alcuin avait été abbé de Saint-Martin de Tours de 796 à sa mort en 804. Alcuin reprit la traduction de Jérôme, purifiée en partie des interpolations dûes aux autres versions inspirées des "vieilles latines". De cette Bible d'Alcuin date la domination en Occident de la traduction de Jérôme.
Comme les anciennes versions ne disparurent pas,
la révision carolingienne ajouta à la confusion.
Les moines carolingiens empruntèrent à Cassiodore
la distinction méthodologique du livre l de ses "Institutiones", mais ils furent,
non pas des "introductores" c'est-à-dire des auteurs donnant les règles générales
de l'herméneutique, mais des "expositores" commentant les commentaires des Pères
sur les différents livres de la Bible. Par leurs travaux et spéculations théologiques,
ces moines poursuivirent en quelque sorte l'oeuvre des Pères, notamment Augustin,
Jérôme, Ambroise, Grégoire le Grand, sans omettre Bède le Vénérable "Nouveau
Soleil surgi de l'Occident (!) pour illuminer la Terre". Finalement, l'Ecriture
leur apparaissait comme:
"cette forêt
profonde aux branchages innombrables, cette mer immense, cet abîme insondable,
qui offrent une gamme de
sens aussi nombreux que les couleurs de la queue du paon" .(BTT- Tome 4 "La
Bible au Moyen-Age" Edit.Beauchesne)
c) - L'époque Féodale
A la confusion carolingienne succède le véritable
chaos, dans tous les domaines, consécutif à l'institution de la féodalité et
aux invasions scandinaves. L'histoire de la Bible est alors entièrement liée
à l'histoire de chaque monastère important et des familles cénobitiques. La
période des 10ème 11ème et 12ème siècle tend à une décentralisation intellectuelle,
et à une parcellisation du savoir, qui favorise l'infinie variété des textes
sacrés. Cependant, une tendance générale se dessine promouvant la naissance
d'un nouveau texte biblique, résultat de "l'introduction délibérée de leçons
conformes à l'exégèse patristique" .L'on aboutit au 12ème siècle à l'émergence
d'un commentaire qui formalise la glossa ordinaria.
Qu'il s'agisse de manuscrits espagnols remontant peut-être à la recension d'Isidore de Séville (?), du Sud de l'Italie, ou de Rome, la nouvelle Bible monastique se présente sous grand format -les italiennes sont dites géantes -et en plusieurs volumes, bien écrits, illustrés de manière caractéristique, très aérés. L'Angleterre du 12ème siècle produit des exemplaires à l'écriture ample- une grande minuscule -destinés sans doute à la liturgie ou à la lecture au réfectoire. Cependant, comme autrefois, "les écritures étaient corrompues à l'excès par la faute des scribes"; des vocations s'éveillent à nouveau en vue de leur correction; une est certaine; Etienne Harding abbé de Cîteaux (1109 -1133) établit un texte amendé après recherches parmi les manuscrits à sa disposition- mais combien d'autres dans d'autres monastères?- le plus véridique à son avis.
Son désir était de retourner à l'hébreu original -lequel? -mais il ne cherchait pas à rétablir le texte de Jérôme. Cette Bible devint le manuscrit de base de toutes les bibles cisterciennes Un autre cistercien, Nicolas de Manjocaria, émonda la Bible à son tour, en cherchant à supprimer les ajouts et les interprétations qui lui semblaient erronés.
Dans cette période du IXème au XIIème siècle, le plus important résida dans le remplacement de l'écriture onciale ou semi-onciale, dite romana littera - écriture en majuscules ou semi-majuscules, écriture en continu sans séparation des mots et sans ponctuation, destinée à la lecture à voix haute- par la minuscule caroline; en Italie du Sud, par l'écriture bénéventine. La caroline s'imposa petit à petit par la rapidité procurée au geste du copiste; l'onciale se rattachait en fait à celui d'un peintre. Cette évolution technique bénéfique eut une conséquence considérable dans l'histoire des manuscrits: l'illisibilité progressive de toute la production littéraire antique et mérovingienne. Sauf exception, un auteur ou un copiste travaillait à partir du dernier manuscrit en sa possession. Il y eut certes des scribes ou des lettrés capables pendant une ou deux générations, dans un monastère déterminé, de lire des manuscrits anciens et de les transcrire en écriture caroline, mais rapidement il devint impossible de les lire puisque obsolètes, au grand dam de Boniface, d'Anselme, de Simon de Gènes, entre autres. Que peut-on faire de manuscrits inintelligibles? On s'en débarrasse en les détruisant ou tout au moins on les oublie dans un coffre, qui servira de cercueil.
En consultant la description du patrimoine des bibliothèques de France, l'on est frappé par le très petit nombre de manuscrits conservés de l'époque mérovingienne; la plupart des textes, les plus anciens, appartiennent au IXème siècle et suivants. On connait, certes, le lectionnaire mérovingien de Sélestat. et les manuscrits d'Autun, mais ces derniers, selon les bibliothécaires actuels, auraient été conservés parce que peu utilisés. Nous avons subi un véritable cataclysme littéraire, qui nous coupe définitivement de nos racines et justifie pleinement le titre d'un ouvrage connu "Le mirage des sources" ( 3 ); cataclysme accentué par la tradition du faux qui sévissait au moins depuis le IIIème siècl
d) -A partir du-XIIIème siècle
A l'hétérogénéité des trois siècles précédents:
"Autant
de manuscrits, autant de Bibles différentes",
le XIIIème siècle oppose, surtout après 1230, une Bible apparemment uniforme,
un "ordre" dont la cause réside vraisemblablement dans l'intervention de l'Université
à Paris pour la production de manuscrits destinés aux maîtres et étudiants.
Les scriptoria des couvents perdent l'exclusivité qu'ils tenaient depuis Cassiodore
dans la deuxième partie du VIème siècle; ils sont même concurrencés par un commerce
libéral du livre; à Paris, des artisans professionnels : enlumineurs, scribes,
fabricants de parchemin, figurent dans les rôles d'imposition. Ce que l'on désigne
habituellement par "Bible de Paris" est une bible entière en un seul volume
au format de poche du fait d'interlignes resserrés, d'une écriture très fine,
d'un parchemin presque transparent. Cet ouvrage répondait aux besoins non seulement
des universitaires, mais des prêcheurs des Ordres mendiants, qui combattirent
le flot des hérésies sous lequel l'Eglise de l'époque faillit être submergée.
L'ouvrage se caractérisait donc par une réduction de la surface écrite, et des
marges très amples, facilitant l'apparition de gloses- commentaires moraux historiques
ou autres - encadrant le texte; mais on insère aussi des postilles, c'est-à-dire
des notes marginales en continu, à la suite de certains mots dans la Bible.
Les maîtres les dictaient aux élèves avant de donner leurs propres explications.
Enfin, un Anglais professant à Paris, Etienne Langton, divisa la Bible en chapitres, divisions conservées de nos jours. La mise en page était inventée; cette pratique se répandit en Europe compte tenu du progrès décisif apporté dans la lisibilité des textes sacrés.
Dans la présentation de "La Bible de Paris",
l'utilisation de la division par chapitres "moderne" est tout aussi typique
que l'ordre des livres et des prologues, et une interprétation des noms hébreux.
Toutefois, on ne peut en déduire qu'il existait une Bible officielle de l'Université
avec un texte stable; les libraires, dont l'activité était réglementée par l'Université,
ne pouvaient pas du seul fait de la copie manuelle produire des textes absolument
uniformes ou rigoureux. La révision des textes restait donc d'actualité. Roger
Bacon, dans son Opus Minus, fustige les libraires patentés par l'Université.
En fait, le texte parisien ne résultait pas du travail d'un Comité désigné pour
établir un texte standard pour l'Université, il prendrait plutôt la suite du
travail de révision effectué au XIIème siècle à partir de la Glossa ordinaria;
l'uniformité apparente masquait des différences très importantes dans les textes;
entre les Livres, il existait des variations considérables:
"Une véritable uniformité du texte sacré n'apparaitra qu'à une période bien
plus tardive"
Les textes copiés étaient si défectueux que les
Ordres mendiants, Franciscains et Dominicains, établirent des listes de corrections
à apporter, ou "correctoires"; la plus savante fut réalisée à Rome par Hugues
de Saint-Cher. Il collationna tous les exemplaires qui lui furent accessibles,
et créa un système de signes pour individualiser les sources et évaluer les
commentaires. Mais la présentation, trop complexe pour les copistes, de ce travail
remarquable ne lui permit pas de s'imposer; si bien que le texte médiocre du
XIIIème siècle persistera jusqu'au XVème siècle, où il se multipliera dans les
premières Bibles imprimées après 1450. ( 4 )
Avant la phase ultime, il convient d'examiner
deux apports importants du XIIIème siècle pour l'enseignement, l'exégèse et
la prédication: la Concordance et la Glose. Cette dernière certes existait depuis
que le sens des écritures disparaissait derrière un voile d'obscurité
qui nécessitait des explications claires. A l'origine, la glose signifie "synonimie";
déjà les premiers glossaires étaient "de véritables dictionnaires des interprétations
courantes de chaque mot difficile"
Au XIIème siècle les livres contenant des gloses
de la Bible se multiplièrent et aboutirent dans le dernier tiers du siècle à
ce qu'on appelait désormais: la Glose de la Bible.
Au XIIIème siècle, la Glose de la Bible s'imposa;
elle devint pour tous le corpus de l'interprétation caractéristique biblique;
elle était véhiculée par des livres dont les pages étaient disposées en trois
parties:
- Dans une colonne
centrale, on écrivait le texte de la Bible, d'une écriture à gros module;
- Dans les colonnes
à droite et à gauche du texte on recopiait des gloses marginales individualisées
en paragraphes, clairement
séparées les unes des autres;
- Dans les espaces
interlinéaires de la colonne centrale, étaient réparties les gloses beaucoup
plus courtes et localisées juste
au-dessus des mots expliqués.
De surcroît, les gloses marginales ou interlinéaires étaient écrites dans un
module plus petit, la moitié environ de celui du texte central; elles en sont
donc nettement différenciées. Il s'agit là d'un phénomène typique du christianisme
latin; si bien que dès la fin du XIIème siècle le Pape avait indiqué que tout
enseignement de la Bible sans glose devait être prohibé.
En définitive, la glose devint une partie intégrante du texte sacré;
elle devait son autorité à des Maîtres tels Anselme à Laon et P.Lombard, avant d'entrer dans une phase de cristallisation.
Au XIIIème siècle, un des meilleurs professeurs, Etienne Langton par exemple, "ne fait ni plus ni moins que gloser la glose". On tend à l'uniformité. "On voit là l'usure d'un travail scolaire, et c'est peut-être celle qui affecte l'exégèse biblique toute entière au XIIIème siècle".
L'instrument de travail, vraisemblablement le plus important, produit par le 13ème siècle est la Concordance verbale des Ecritures. On accordait généralement une grande attention au sens, littéral ou allégorique, de chaque mot du livre divin; discerner ce sens demandait finalement une comparaison de tous les emplois du mot dans les passages des Ecritures où on pouvait le trouver. On commença par inclure des tables de référence dans les gloses, on les appela concordia, mais c'était un subterfuge peu pratique. Vers 1230, les Frères dominicains du couvent de Saint Jacques à Paris, sous l'impulsion, semble-t-il, de Hugues de Saint-Cher, "qui a produit des postilles sur toute la Bible", ont édité la première concordance en résolvant deux problèmes cruciaux: celui d'un système de références, et celui du regroupement technique et de la mise en ordre des mots.
Une deuxième, puis,vers 1280, une troisième concordance virent le jour à Saint Jacques. La dernière fut publiée par les libraires patentés de l'Université; elle était disposée en petiae et fut diffusée dans toute l'Europe Occidentale; sous forme de livres de luxe, soigneusement rédigée sur parchemin, avec initiales décorées et historiées; livres destinés à des prélats, dont, au 14ème siècle, ceux de la Cour pontificale à Avignon. Jusqu'à la fin du Moyen-Age, cette concordance exerça une influence profonde sur la littérature exégètique et homilétique. Martin Luther en 1513 composa son "Commentaire de Psaumes" avec l'aide de la concordance verbale.
C'est précisément par Martin Luther que s'ouvrit l'ultime parcours,de l'infinie variété des Bibles reproduites une à une manuellement, à l'invariabilité rigoureuse d'un texte imprimé, d'un coup, en milliers d'exemplaires.
e) -Le Concile de Trente
L'invention de l'imprimerie et celle du papier
révolutionnèrent totalement les conditions de diffusion de l'écrit; la Réforme
protestante en profita efficacement pour ses traductions de la Bible en langues
vernaculaires, traductions distribuées abondamment en France et en Allemagne.
Elle lança un formidable défi à la Papauté romaine, si bien que celle-ci dût,
pour conserver entière son autorité,employer toutes les ressources d'un conseil
oecuménique. Ce concile, réuni à Trente le 13 Décembre 1545, sans la participation
des Protestants, examina dès sa quatrième session du 8 Avril 1546 les problèmes
relatifs à la réception des Livres Saints et des Traditions apostoliques, problèmes
traités par le décret "Sacrosancta oecumenica"; un second décret "Insuper eadem"
désigna la "'Vieille édition" de la Vulgate comme texte authentique et institua
un régime de censure préventive par la création de l'Imprimatur. (
5 )
On jugera de l'embarras du Concile devant le
chaos existant au 16ème siècle en matière de littérature "divine" : désigner
comme texte "authentique" - c'est-à-dire inspiré divinement - la vieille édition
de la Vulgate approuvée dans l'Eglise même par le long usage de tant de siècles
c'était avouer que personne ne connaissait cette édition; en effet, il aurait
suffit de montrer du doigt le manuscrit " inspiré" parmi toutes les éditions
latines des Livres Saints en circulation. Le texte est inspiré ou ne l'est pas.
Le Concile n'avait pas à rechercher un texte qui "deviendrait" la
version authentique. L'inspiration "divine" doit naturellement conférer aux
écrits correspondants des qualités exceptionnelles d'éclat et de lisibilité
telles qu'aucun doute ne soit permis pour la reconnaître.
En fait, ce n'est qu'à partir du 9ème siècle
que les traductions attribuées à Jerôme affichèrent une progressive prééminence,
par suite de l'influence de 1a Bible d'Alcuin; celui-ci n'eut jamais en mains
les traductions hiéronymiennes originelles, écrites en onciale, c'est-à-dire
en écriture continue sans ponctuation, qu'il n'aurait pas pu déchiffrer.
Le seul argument pris en compte: "le long usage de tant de siècles", pour déclarer un texte authentique pèse donc d'un poids léger puisqu'il n'est pas fondé historiquement. Quant aux traditions non écrites reçues par les Apôtres de la bouche même du Sauveur, transmises comme de main en main, elles furent, elles aussi, fabriquées, même si recueillies comme venant de l'Esprit Saint.
Quoi qu'il en soit, la question à règler
requérait des soins immédiats vu l'urgence. La Congrégation générale du 17 Mars
1546 "demanda au Saint-Siège de préparer une version vraiment sûre de
la Vulgate",
qui puisse être tenue pour authentique.
Mesurons la prudence de l'Assemblée conciliaire;
elle ne proclame pas que la Vulgate est sans reproche, ni qu'on doit tenir Jérôme
pour son auteur, ni même qu'elle est "inspirée" - mais celà va de soi, du fait
de l'approbation de l'Eglise- l'intention du Concile était d'arriver non pas
à une adaptation par comparaison avec les textes d'origine, mais à une meilleure
version par collation des principaux manuscrits existants; il souhaitait une
opération analogue à celle des bibliothécaires d'Alexandrie pour éditer le texte
de référence d'Homère vers la fin du 3ème siècle avant notre ère.
Il fallut 44 ans pour aboutir à une édition provisoire,
sous Sixte-Quint,en Mai 1590.
f) -Et le Livre fut
Celui-ci avait enfin décidé en 1585 de créer
une Commission ad hoc présidée par le Cardinal A.Carafa et comprenant notamment
le jésuite Robert Bellarmin. Cette Commission travailla deux ans de suite, en
se procurant de nombreux manuscrits possédés par divers ordres religieux italiens,
dont le célèbre Amiatinus du 9ème siècle, propriété des Cisterciens du Monte
Amiato. Toutefois, elle prit pour texte de base la Bible de Louvain éditée en
1583 avec en appendice les variantes recueillies par Luc de Bruges Ce choix
caractérise bien les limites de l'opération engagée; où est "le long usage de
tant de siècles" ?
Lorsque le travail fut terminé et remis
en 1587 au Pape, ce dernier décida de le réviser personnellement; il se mit
au travail persuadé de sa compétence critique - n'était-il pas le Vicaire du
Christ, omnicompétent, infaillible? - Il prit quelques conseils, et publia son
ouvrage en Mai 1590, après également deux ans de travail.
"Le
résultat ne fut pas unanimement apprécié"
Des controverses surgirent notamment à propos
de l'Ancien Testament.
Sixte-Quint avait promulgué sa "Vulgate" par
la Bulle "Aeternus ille", dont les termes étaient sans équivoque:
"De notre science certaine avec la plénitude de notre puissance apostolique, nous déclarons et statuons que la présente édition de la "Vulgate", doit être regardée comme celle que le Concile de Trente a proclamée authentique "
Sixte-Quint mourut le 27 Août 1590, et dès le 5 Septembre les Cardinaux interdirent la vente de l'ouvrage par crainte des moqueries des Protestants.
Après le décès de Sixte-Quint et d'Urbain VIII,
Grégoire XIV, qui leur succéda, entreprit le 7 Février 1591 une nouvelle révision.
Une Commission travailla très rapidement et en revint aux propositions de la
Commission Carafa; on ne supprima pas cependant la totalité des corrections
de Sixte- Quint qui a ainsi laissé son empreinte dans cette révision définitive,
baptisée d'ailleurs la "Sixtine"; ce fut la répartition en versets des bibles
d'Estienne de Paris qui fut adoptée pour le Nouveau Testament.
Grégoire XIV, de santé fragile, mourut en septembre
1591. Son successeur, Clément VIII élu en janvier 1592, promulgua la nouvelle
version le 9 Novembre de cette année par la bulle "Cum sacrorum bibliorum".
Ce texte devint donc la version officielle de l'Eglise romaine; texte à la fois
authentique et "inspiré" puisque approuvé d'avance par le Concile de Trente
en 1546; l'édition-type fut celle de 1598, la troisième, qui comprenait les
errata des deux précédentes, celles de 1592 et 1593, et de la sienne propre.
Que l'on ait voulu ne pas offenser la mémoire
de Sixte-Quint, en baptisant de son nom la version définitive, n'empêcha pas
une certaine polémique de se développer compte tenu des différences entre les
deux livraisons de 1590 et 1592; on en a compté 4.900! Ce nombre d'erreurs très
élevé, concernant deux éditions si rapprochées, pose inévitablement une question
fondamentale sur l'action de l'Esprit-Saint, invoqué tout au long de ses sessions
par le concile de Trente. On ne peut douter de la parole de Sixte-Quint lorsqu'il
évoquait sa science certaine et la plénitude de son pouvoir apostolique: Vicaire
du Christ il possèdait une nature presque divinisée, dans l'impossibilité de
se tromper et de tromper ses fidèles. Si l'on admet la justesse de la révision
de Grégoire XIV, l'on peut ingénument se demander si Satan n'a pas vaincu l'Esprit-Saint
dans l'inspiration de Sixte-Quint; et même, si le deuxième ouvrage n'est pas
aussi falsifié que le premier par rapport à un texte, vraiment authentique,
lui, mais non encore "inventé" ?
L'interrogation parait entièrement fondée. La
publication de la Sixto-Clémentine eut pour effet immédiat de "désacraliser"
les centaines de manuscrits en latin, grec, syriaque, arménien, slavon, copte,
éthiopien etc.. lus jusqu'alors comme écritures ayant Dieu pour auteur; ravalés
subitement au rang de curiosités, de raretés archéologiques ou philologiques
disposées dans les bibliothèques de quelques lieux "sacrés", pour répondre
aux questions de futurs universitaires distingués. Mais la Sixto-Clémentine
connut un sort identique le 30 Septembre 1943, du fait de l'encyclique "Divino
afflante spiritu". Par celle-ci, Pie XII détrônait l'authentique, l'unique texte,
voulu par le Concile de Trente, et le replaçait dans la série des versions dites
anciennes de la Bible. Pie XII invitait à lire la Bible dans les langues modernes
à partir des traductions d'
un
texte scientifiquement fondé et historiquement justifié (6)
Paul VI, pour sa part, confia à une Commission
pontificale le soin d'établir une nouvelle traduction latine de la Bible qui
prenne en compte les acquis de la science biblique ! On s'inquiète de cette
volonté papale de conformer les paroles de l'Auteur divin aux conclusions d'une
science toute humaine, même si appliquée à la Bible; c'est l'Auteur divin qui
devrait donner forme à la science biblique et non l'inverse. Serait-ce le début
d'un aveu de l'inexistence d'un texte "divin" ? Les recherches de l'Eglise soulignent
de fait l'absence à ce jour d'un texte authentique, unique, inspiré, tel que
le voulait le Concile de Trente.
Aveuglée tardivement par le mirage des sources,
Elle se noie dans l'océan des écritures en évolution, avant l'imprimerie, sans
trouver un atoll où se fixer.
Le Concile de Trente a usé outrageusement
de "l'inspiration" du Saint-Esprit. La réforme protestante suscitait une telle
crainte que l'Assemblée conciliaire a inventé une assistance permanente de Dieu,
en quelque sorte un miracle continuel. Mais trop est trop! Le miracle permanent
nie le miracle, phénomène contre nature, forcément unique. Une aide permanente
du Saint-Esprit à l'écriture et à la lecture des Livres Saints transforme "l'inspiration"
en phénomènes naturels, qui doivent s'expliquer par des lois naturelles. Il
n'existe pas, en soi, de texte "divin", sinon pour un "fidèle" acceptant de
le reconnaître comme tel; il s'agit d'une opinion individuelle subjective ou
intersubjective; on ne saurait l'ériger en absolu objectif. Au pis-aller, l'on
tomberait dans l'imposture.
Les conditions de la fabrication de laBible officielle romaine manifestent trop clairement l'oeuvre de simples hommes, et ravalent définitivement les invocations à l'Esprit-Saint au rang de formules d'autosuggestion ou d'exercices à la méthode Coué:
-"Nous n'avons pas de texte originel dont on pourrait dire: voilà la Bible" ( 7 )
- "La Bible est intégralement oeuvre humaine et ne peut prétendre à un traitement de faveur" ( 8 )
- "S'il est prétentieux de vouloir diviniser la raison, il est pervers pour l'homme de prétendre parler au nom de l'Absolu; ce que je dis de Dieu, c'est un homme qui le dit" ( 9 )
Ce qu'on appelle inspiration;ou révélation divine, est la révélation progressive de l'esprit humain à lui-même, par le surgissement à partir de l'inconscient des intuitions de toute sorte, et des images premières dynamiques appelées en compensation ou complément de situations vécues.
Le christianisme et ses écrits dits canoniques
sont nés principalement de ce que d'aucuns ont appelé fort justement
"l'impérialisme
identitaire".
1 Cf. M.DETIENNE -"Transcrire les mythologies -Ouverture" -Ed.Albin Michel retour
2 Cf. P.SAINTYVES -"Deux mythes évangéliques" -Edt. Emile Nourry -Paris retour
3 Cf. R.DRAGONETTI "Le Mirage des sources" -Editeur Le Seuil -Paris . retour
4 Cf. Dictionnaire des Lettres françaises -"Le Moyen-Age" -Le Pochothèque chez
Fayard -Paris 1992. Article Bible au Moyen-Age -Pages 174 à 177. retour
5 Cf. G. ALBERIGO -"Les Conciles oecuméniques -Concile de Trente" Tome II -2
-Edition Le Cerf. retour
6 Cf. -Encyclopédie Universalis -"La Bible" Page 582. retour
7 Cf. BAUBEROT -"Les retours aux Ecritures -Fondamentalismes présents et passés"
-Editeur Peeters -Louvain. retour
8 Cf. F.LAPLANCHE -"La Bible en France" -Op.cit. retour
9 Cf. F.LAPLANCHE -"La Bible en France" -Op.cit.
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