I AUTORITE DE L'ECRIT ? | |
II LA FABRICATION D'UN TEXTE SACRE | |
III QUEL
ANCIEN TESTAMENT ? |
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IV Y A-T-IL UNE TRADITION APOSTOLIQUE ? | |
V QUEL NOUVEAU TESTAMENT ? | |
I L'ANHISTORICITE
DES EVANGILES 1 Le pouvoir et l'écrit
2 Autonomie -Hétéronomie 3 Lectio divina en France après la Révolution 1 -La Restauration de la Foi; ses contradictions
2 -Quel est le contenu du Canon? 3 -L'historique de la fabrication a) Illusions de l'Union b) L'époque Carolingienne c) L'époque Féodale d) A partir du XIllème siècle e) Le Concile de Trente f) Et le livre fut ... 1 La doctrine
de l'église
2 La septante 3 Monothéisme ou monolâtrie ? 1 La
doctrine de l'Eglise
2 Qu'est-ce qu'un apôtre ? 3 Jésus a-t-il créé uneEglise ? 4 L'avènement de l'Eglise 5 L'avènement des faussaires 6 Qu'est-ce qu'une tradition? |
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SOMMAIRE
1 Le pouvoir et l'écrit
2 Autonomie -Hétéronomie
3 Lectio divina en France après la Révolution
L'AUTORITE DE L'ECRIT ?
1
Le pouvoir et l'écrit
Dans les sociétés antiques d'Europe, Asie Mineure,
Egypte, Afrique du Nord. qui formeront plus tard l'Empire Romain; pour des populations
pratiquement illettrées; l'écrit, sous ses formes successives: pictogrammes,
idéogrammes, tablettes cunéiformes, hiéroglyphes, écritures alphabétiques consonantiques
ou vocalisées ; l'écrit apparaissait comme un attribut magique du pouvoir; il
restituait à chaque lecture à voix haute par un fonctionnaire de la cour ou
d'un temple, des paroles généralement gravées sur des rochers, des murs de sanctuaires
ou des tables de pierre:
- Soit attribuées
directement au détenteur suprême de l'autorité: code législatif (code d'Hamourabi,
tables de la Loi juive), listes de biens appartenant au roi ou propriétés de
Temples désignés....
- Soit burinées
à son instigation pour enseigner à l'avenir les hauts faits de son règne,
gravés indélébilement pour sa plus grande gloire (1)
La lecture de ces enregistrements
perdurables, les tonalités et la musicalité de la voix des interprètes attestaient
la présence universelle du Roi et ses qualités "divines". En ces temps primitifs
de "religiosité à fleur de peau" les dieux se manifestaient sur Terre par le
tonnerre et l'arc-en-ciel les vertus curatives de l'eau courante, "le langage"
du vent dans les futaies, les mystères d'une lumière en contre-jour. Tout prince,
roi ou empereur s'ennoblissait d'une origine divine, soit parce que directement
fils d'une divinité, dieu ou déesse, soit parce que "oint" du dieu de sa nation
par le ministère d'un Mage, prêtre ou prophète. Littéralement toute parole du
détenteur de l'autorité était "divine"
"C'est la voix d'un dieu et non d'un homme" (Actes d'apôtres XII -22)
Les auditeurs la recevaient avec vénération, la respectaient et lui réservaient
une obéissance aussi empressée qu'au Roi lui-même; non seulement soumis, mais
quêteurs de servitude.
Pourtant, à l'évidence, les caractères de l'écriture, les signes gravés sur pierre, tablettes d'argile, papyrus ou autres supports ne possèdent aucune autre qualité intrinsèque qu'une valeur esthétique plus ou moins sensible; leur "autorité" et leur "divinité" n'existent que par et pour leurs lecteurs interprètes et auditeurs, qui projettent sur ces signes les attributs dévolus universellement, même en Chine, à leur auteur supposé, leur Prince, Roi ou Empereur. Ces attributs du texte résultent de cette démarche, psychologique, intersubjective, manifestant l'hétéronomie des lecteurs-auditeurs, déterminée alors essentiellement par leur état social et leur illettrisme.
Certes, rapidement, se développa le nombre de personnes sachant écrire et lire hors du cercle politico-religieux, pour créer une littérature qui se diversifia en multiples genres: poésie épique, théâtre, poésie lyrique, traités de divination, de philosophie, historiographies. Mais le Prince pouvait difficilement accepter que fût écrit un ouvrage qui attentât à son pouvoir. La censure apparut d'autant plus nécessaire que ce pouvoir était plus étendu; jamais dans l' Antiquité elle ne fut plus vigilante et tatillonne que sous l'Empire romain; elle s'y développa de manière paroxystique pour veiller au respect d'une lex majestatis qui relevait de la seule appréciation de l'Empereur. L'exil d' Ovide par Auguste, l'assassinat d'Hermogène de Tarse par Domitien, la destruction des livres chrétiens ordonnée par Dioclétien et la persécution des réfractaires, sont des exemples bien connus pour qu'il soit utile de s'étendre à ce sujet; ni sur le régime de répression mis en place progressivement à partir du 8ème siècle par l'Etat théocratique romain d'autant p1us féroce que le Pape prétendait à un pouvoir "universel"', c'est-à-dire à un pouvoir absolu sur l'Europe Occidentale; cette censure pontificale s'exerça préventivement et a-posteriori, elle autorisa les débordements les plus inhumains de l'Inquisition dans ses fureurs de vengeance "divine" pour assurer l'assise du trône du Vicaire de Jésus-Christ sur Terre; agrandie à partir du 15ème siècle par les découvertes des navigateurs portugais, espagnols, génois, parmi d'autres.
Finalement l'on ne peut écarter l'idée que François 1er., rendant obligatoire en 1537 un dépôt préalable de tout livre imprimé, n'ait pas songé à instaurer une forme de censure, même si l'application étroite de cette disposition dans les siècles suivants devait aboutir à la création et au développement d'un extraordinaire lieu de "mémoire" , la Bibliothèque Nationale Française. De fait, le régime monarchique maintint en France une censure très étroite jusqu'au début du 18ème siècle. Malgré l'extrême brièveté de cette histoire de l'écrit, on ne saurait manquer de s'attarder sur l'invention de l'imprimerie, aux conséquences tout à fait inattendues sur l'augmentation formidable des textes à lire et l'appel inhérent non seulement à une alphabétisation des masses jusque là illettrées mais à un mouvement d'acculturation aux suites incommensurables. Sans l'imprimerie sans la diffusion simultanée d'un très grand nombre de ses traités et traductions en langues vulgaires, allemande, française, anglaise, que serait devenue la Réforme?
L'augmentation considérable des lecteurs, relativement à l'état précédent, hors du cercle des lettrés, obligea les humanistes de la Renaissance à quitter leur Olympe grec ou Capitole romain, pour condescendre à se préoccuper de ce nouveau public, sans oublier que le génie d'un Rabelais le poussa à monumentaliser en sa langue vernaculaire la geste des personnages de son Monde de Géants. La langue de l'Eglise romaine abandonna peu à peu de sa superbe, son caractère de langue sacrée et de langue internationale, surtout de langue philosophique et scientifique pour devenir une simple langue morte, objet d'étude dans les écoles, sclérosée dans les rites dérivés de la Contre-Réforme.
2 Autonomie
-hétéronomie
L'évolution du mouvement, l'assouplissement de
la censure aboutit au 18ème siècle à une véritable explosion du livre et du
lectorat, c'est-à-dire à un taux élevé d'alphabétisation dans les diverses catégories
sociales aussi bien dans les campagnes que dans les villes. Or, suivant la formule
de Kant, la lecture est un moyen d'apprentissage de l'autonomie. En bref, les
hommes de ce temps se sentirent si autonomes qu'en France ils renversèrent la
monarchie de droit divin et rabaissèrent le Clergé catholique au rang de simples
fonctionnaires liés à l'Etat révolutionnaire par un serment. L'autorité n'appartenait
plus à Dieu - entendons la papauté et la monarchie - elle relevait du droit
des citoyens élisant une Assemblée représentative. Même si la Révolution et
l'Empire ne durèrent que 25 ans, la reconnaissance universelle des droits de
l'homme et du citoyen du 10 Décembre 1948 constitue actuellement le fondement
des Etats, à l'exception de celui du Vatican.
Face, donc, à une autorité supposée de l'écrit, l'autonomie du lecteur, notre contemporain, représente une donnée nouvelle qui lui permet d'apprécier le jeu de sa propre subjectivité dans sa compréhension d'un texte lu. Il peut se complaire à parcourir les poèmes de Charles Péguy sans croire entendre Dieu énumérer les caractéristiques de la vertu Espérance. Il le sait: si Péguy met Dieu en scène, s'il l'utilise comme interprète de son imaginaire, c'est pour accentuer les effets de son écriture par l'utilisation d'un genre littéraire laissé à la disposition de chaque auteur; on fait parler Dieu ou ses Anges d'autant plus aisément que personne ne sait ce qu' il est, ni ce qu'ils sont. Schopenhauer dans son pamphlet contre la philosophie universitaire va jusqu'à railler ces philosophes appointés qui font un long compte-rendu sur ce Bon-Dieu, "de sorte qu'ils semblent recevoir de lui tous les six mois des nouvelles fraîches". Dieu, s'il existe, totalement immanent et transcendant est définitivement absent des écritures. (Saint) Augustin, évêque d'Hippone avait anticipé les affirmations de Madame F.Dupont.(2) Ses Confessions expriment sa profonde tristesse du silence absolu de Dieu; Dieu demeure le Grand Muet. L'on considère trop vite une révélation comme étant "divine", pour ne pas reconnaître l'intrusion souvent brutale d'intuitions et d'images premières dans la conscience, et par là une révélation à l'homme d'une partie jusque là cachée de sa personnalité.
Si le savoir-lire est une condition de l'apprentissage de l'autonomie, son acquisition reste, à elle seule, très insuffisante pour assurer le plein épanouissement des individus. Le couple hétéronomie-autonomie signale un phénomène complexe à tel point que le même sujet peut être, à la fois, autonome et aliéné pour des objets différents. Ce n'est plus une question de simple culture mais de disposition psychologique façonnant une personnalité. Un philosophe de renommée internationale pourra par exemple développer des raisonnements agnostiques mais éprouver le besoin de prier le Dieu de la Bible de ses parents à cause de la puissance affective des sentiments liés à son passé, à son éducation d'enfant; ces sentiments ont pétri son identité et le retiennent emprisonné dans un réseau de textes, dits sacrés, porteurs de légendes répétées depuis des siècles, que ne fait-on dire et faire au dénommé Paul ! la Réforme a placé ces récits à l'origine de la Religion; ils procurent à de nombreux êtres l'apparence de certitude et de sécurité réclamée par les plis infantiles de leur psychisme inconscient. Leur reconnaissant l' autorité "sacrée" de la tradition familiale, ces personnes choisissent pour leur tranquillité d'obéir à un dieu, simple porte-parole des auteurs humains de ces récits mythiques; elles manifestent un réel désir de servitude coexistant avec une pensée aiguisée.
L'autorité d'un écrit
n'existe que par et pour son lecteur ou auditeur, elle n'est qu'une donnée subjective
ou intersubjective, sans fondement intrinsèque.
La définition au Moyen-Age des divers sens dévolus
aux textes sacrés exprime bien la volonté de l'Eglise romaine de codifier leur
lecture pour écarter toute interprétation déviante, qui ruinerait sa doctrine
et son emprise sur les consciences. Depuis la Révolution Française, une véritable
lutte pour le pouvoir s'est engagée en France entre l'Eglise Catholique de moins
en moins influente et la laïcité. De nos jours, l'actuel Cardinal de Paris vitupère
encore contre les Lumières, il incarne une institution oppressive. même lorsqu'elle
semble défendre les droits de l'homme qu'elle a condamnés absolument dès 1791.
Fondamentalement, la religion ne peut être que
le moyen pour l'homme d'un plus-être, d'un épanouissement total, dans une conscience
de plus en plus élargie, par un mouvement de conversion en la supra-personne
dont il émane, mouvement dont la condition réside dans le plein exercice de
sa liberté en vue de la maîtrise de son destin.
Il n'y a pas de texte sacré, en soi; il
n'y a que des textes sacralisés par des lecteurs-auditeurs.
La conceptualisation du sacré et l'admission de ce sentiment dans une conscience mesure le degré d'hétéronomie d'un sujet, quêteur d'assujettissement, par faim de certitude, d'absolu, et de l'irresponsabilité due à l'infantilisation développée par l'obéissance aux Eglises.
3 Lectio divina en France après la Révolution
La Restauration,
en 1815, d'un Etat monarchique de droit divin ne put arracher aux Français ces
"Droits de l'homme et du citoyen" que la Révolution leur avait reconnus à son
origine. Malgré les charges de l'armée contre des barricades dressées par un
peuple en mal de liberté, et autres vicissitudes; malgré la répression versaillaise
de la Commune, répression si atroce que la Seine elle-même en rougit, la République
s'installa 60 ans plus tard, apportant avec elle l'instruction gratuite et obligatoire;
ce fut une révolution intellectuelle sans précédent qui réduisit très étroitement
la place de l'Eglise de France dans ce domaine de l'enseignement; les enfants
apprirent à compter et à lire sans avoir à réciter préalablement le "Notre Père",
ou ânonner un chapelet. La Bible devint de plus en plus un livre comme les autres
soumis à l'interprétation de ses lecteurs, et non plus un texte rédigé par Dieu
lui-même grâce au ministère de ses prophètes et scribes inspirés, dont l'interprétation
relevait de la seule autorité de son Eglise.
Déjà sous la deuxième République, les députés
français avaient aboli l'esclavage, que cette Eglise cultivait à sa manière
sans devoir s'insurger contre le "décret noir" de 1685 : son Dieu , ne s'était-il
pas incarné sous les traits d'un esclave? Cet état d'asservissement total, pouvait-il
perdre "son caractère divin" ?
A vrai dire, la situation post-révolutionnaire
présenta des aspects tout à fait contradictoires. Les principes de la Révolution,
par leur dissémination dans les différents pays d'Europe Occidentale, finirent
par substituer le pouvoir des peuples à celui des rois de droit divin, et à
forger une unité nouvelle dans des pays divisés comme l'Italie. Toutefois, il
demeura un souverain de droit divin, le Pape de Rome, dont les attributs de
plenitudo potestatis et d'infaillibilité ne furent plus discutés, puisqu'il
n'y avait plus d'égaux à Sa Sainteté, de rois susceptibles de contester ce que
le vicaire du Christ réclamait ouvertement depuis le XIème siècle. Aussi bien,
après la condamnation en 1864 du rationalisme, entre autres sujets, par le Syllabus,
le Concile œcuménique Vatican l promulgua, le 13 Juillet 1870, comme vérité
de Foi, l'infaillibilité pontificale.
Cette consolidation finale de très vieilles prétentions
marqua une victoire de la Curie romaine et renforça les leçons contre-révolutionnaires
développées par les responsables de l'enseignement du clergé français en l'occurrence
les prêtres de Saint-Sulpice, formés suivant les principes du Supérieur de leur
Institution sous Louis -Philippe : A.GARNIER.
Cet ecclésiastique de haut rang avait vécu, avec stupéfaction peur et honte, les premières années révolutionnaires, qui remplacèrent en France par le culte de la Raison celui du Christ-Roi, et transformèrent le clergé en un corps de fonctionnaires civils assermentés. Il émigra à Baltimore puis revint en 1803, il réintégra la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice et enseigna l'Ecriture Sainte; ses leçons manuscrites conservées dans les archives du séminaire forment un ensemble d'environ 5.000 feuillets(3). Pour son professorat, A.GARNIER pratiquait quotidiennement la langue hébraïque, dont le caractère de langue écrite et non vernaculaire, l'étrangeté, la rareté, confirmaient à ses yeux son origine divine, en même temps que l'exercice habituel de la traduction lui procurait des sentiments d'exception, d'élitisme, et finalement de profonde satisfaction, non dénuée de la fatuité inconsciente de l'intellectuel assuré de sa supériorité vis à vis du vulgaire. La langue hébraïque se mua en langue maternelle, qui entraînera non seulement une judéophilie active mais la certitude de posséder dans ses livres les messages de Dieu à son peuple élu. Guidé par sa recherche personnelle d'une "pure Foi en Jésus", il transforma Celui-ci, à l'encontre des textes évangéliques, de Galiléen en Hébreu; il considéra de fait la Bible hébraïque comme l'Ancien Testament des Chrétiens, au lieu de la Septante alexandrine; emporté par sa quête d'un texte de plus en plus épuré apte à remplacer une traduction grecque souvent fautive.
Ce véritable retour aux
sources, (croyait-il!), ce fondamentalisme dont il ne pouvait analyser le caractère
hallucinatoire, manifestait un anti-rationalisme viscéral, d'autant plus contraignant
que ses peurs antérieures avaient été plus vives; sa façon personnelle d'être
contre-révolutionnaire. Aussi bien, lui était-il impossible de questionner ces
textes hébraïques pour connaître les voies et moyens de la transmission des
messages divins, afin de consolider sa Foi par la raison.
Ce processus de
transmission, commençant chaque fois par le choix d'un intermédiaire unique,
ne le frappait pas par son étrangeté même, qui pétrissait en quelque sorte le
futur prophète en cire à enregistrer et annihilait sa personnalité d'humain.
En tous temps et en tous lieux, toute perception, visuelle auditive ou autre,
est une interprétation; un homme, même futur prophète, ne peut exprimer que
ce qu'il a cru entendre et cru comprendre. De plus, le message, étant destiné
à un peuple entier, sera répété des milliers de fois et donc interprété des
milliers de fois, avant d'être écrit et copié des milliers de fois. Comme les
copistes ne sont pas plus des machines à photocopier que les auditeurs des magnétophones,
le message divin d'origine, certainement défiguré et trahi, ne sera jamais connu.
Ce que le Dieu des Juifs, dans son omniscience - prescience, aurait dû savoir! et, de même les conditions nécessaires à la reconnaissance de son messager comme prophète, par les auditoires devant lesquels il devait s'exprimer.
Pour être reconnu, il faut être entendu et compris, c'est-à-dire, pour le moins partager le langage de l'auditoire, non seulement la langue vernaculaire mais le même fond, les mêmes images, les mêmes sentiments et émotions, finalement la même identité, de telle sorte que le locuteur apparaisse comme un parent proche. Son discours tiendra compte aussi de la situation politico-sociale de l'auditoire au moment de l'élocution; il empruntera la voie de l'eschatologie pour le conduire de l'aliénation dépersonnalisante subie dans l'immédiat à l'espérance de "lendemains qui chantent" sur Terre (le millénarisme) ou après la vie. Bref, la question de l'identité demeure l'essentiel; identité nationale pour les Juifs subissant le joug serré de leurs envahisseurs successifs: Assyriens, Babyloniens, Perses, Egyptiens, Séleucides, Romains, suivant les époques; identité nationale forgée à partir de l'image mentale d'un dieu national garant de la victoire finale de son peuple contre ses ennemis. Le locuteur "inspiré" sera reconnu comme le porte-parole de ce dieu, si par son discours il sait raviver cette identité en danger; il sera, alors, loué comme un vrai prophète, et ses paroles recueillies avec ferveur comme des paroles "divines".
Finalement, A.GARNIER ne disposait d'aucun moyen pour apprécier les discours de ces prophètes successifs, puisqu'il n'en connaissait que les traces écrites, des siècles après, par des scribes chargés d'établir progressivement le Pentateuque et autres livres bibliques. A.GARNIER restait totalement persuadé que cette Bible juive constituait le plus ancien livre existant et la Loi divine enseignée aux humains dans le cadre d'un plan de leur Salut pour effacer les suites de la faute originelle du couple premier créé. L'Histoire Critique du Vieux Testament rédigée par R.SIMON, en 1678, n'allait pas jusqu'à le conduire à s'interroger sur les conditions de l'écriture de la Torah; on savait pourtant, depuis lors, que son Auteur n'était pas Moïse, mais qui? L'inspiration divine des textes, telle que GARNIER la concevait, nécessitait le miracle permanent d'un Esprit guidant successivement ou simultanément les mains de combien de copistes? A quelles époques? Que ce miracle permanent signalât des phénomènes naturels, il n'en avait cure. Si la préhistoire ou l'archéologie n'avait pas encore dévoilé l'Antiquité et des civilisations beaucoup plus anciennes et riches que la civilisation juive, A.GARNIER connaissait suffisamment l'Histoire romaine pour estimer les conséquences de la chute de Jérusalem en 70, et le travail scripturaire mis en chantier par les rabbis pour créer une nouvelle religion..
Son animosité, pour ne pas parler de haine, à l'encontre des libertés révolutionnaires, des "Droits de l ' homme" condamnés par Pie VI en Mars 1791, sa profonde répulsion pour tout ce qui pouvait mettre en doute sa Foi en "Jésus l'Hébreu", bref, tout son être était trop conditionné par son anti-rationalisme pour ne pas figurer le prototype du "professionnel du divin" Ses élèves répétèrent ses leçons, et les élèves de ses élèves, jusqu'à nos jours, malgré les données historiques récentes (4) -(5), et les travaux incontestables sur la variabilité des textes jusqu'à l'invention de l'imprimerie (6)
La lectio divina enfanta ce professionnalisme du divin qui se gonfle actuellement d'un nouveau "retour du religieux" alimenté par les peurs extrêmes enfiévrant notre planète par le fait de conflits sans fin. Tous les professionnels du divin, théologiens, traducteurs, exégètes, linguistes, universitaires ou simples prêtres de l'Eglise romaine, parlent continuellement d'un Dieu, déclaré préalablement Ineffable: ils disent ce qu' Il fait ou ne fait pas, ce qu' Il aime ou n'aime pas, ce qu' Il veut ou ne veut pas, comme si Il était relié à chacun d'eux par téléphone etlui donnait régulièrement de ses nouvelles au moins une fois par semaine.
Un des aspects ignoré volontairement du mouvement intellectuel initié par A.GARNIER chez les Chrétiens romains, et E.REUSS chez les Réformés, consiste en l'élaboration du Judéo-Christianisme suscité par la pratique continuelle de la langue hébraïque chez ces Chrétiens, et reconnu comme tel en 1867 par LITTRE. Ce Judéo-christianisme contredit formellement l'histoire des origines romaines de la religion chrétienne (autant qu'on puisse la connaître). Mais les relations de maîtres à élèves dans les séminaires romains ou les Facultés de théologie protestantes, le respect dû à l'Autorité, la religion de l'obéissance ont fini par imposer cette notion au sein même de la Sorbonne à Paris, précisément à la 5ème Section, Direction d'études des Origines du Christianisme, de l'Ecole Pratique des Hautes Etudes; on y professe actuellement l'antiquité d'un Judéo-christianisme créé au milieu du XIXème siècle.
La lectio divina se nourrit de plus en plus, il est vrai, du souci d'une communication destinée à influencer un public aussi étendu que possible persuadé, dès le départ, que les professionnels du divin ne peuvent mentir. Ces experts s'expriment avec assurance sous le couvert de la vérité absolue, et peuvent promettre les récompenses attendues si l'on veut bien obéir à leurs directives. Cependant, ils fabriquent leurs livres et discours par la projection permanente de leurs présupposés, de leurs concepts, de leur imaginaire; ils créent, phrase après phrase, à partir de leur psychisme, ce dieu qu'ils instituent garant de leurs doctrines. Ils fournissent ainsi la preuve que l'homme n'est pas la création de Dieu, mais que tout dieu est la créature d'un homme.
Actuellement la lectio
divina présente des aspects tout à fait contradictoires. Dans le domaine de
la communication et de la publicité, elle se réduit au titre de la collection
de livres rédigés par des experts du divin qui manifestent ainsi leur suffisance.
Fondamentalement, elle est la révélation progressive,
à lui-même, du psychisme de l'homme; celui-ci, étonné de ses propres facultés,
s'est donné un ancêtre "divin", lumière de lumière, qu'il crée en objectivant
les contenus de sa conscience.
(1) Par exemple le rocher de Béhistun ou Bisotun,
portant, gravée, la légende de Darius Premier retour
(2) Cf. F.DUPONT -"L'invention de la littérature"- Editions La Découverte -Paris
retour
(3) Cf. F.LAPLANCHE -"La Bible en France" -op.cit. retour
(4) Cf. A. DE PURY -"Israël construit son Histoire" - Editeur E.Labor et Fides-
Genève
(5) Cf. F.DUPONT -"L'invention de la littérature" - Edition La Découverte -
Paris. retour
(6) Cf. R.MENENDEZ-PIDAL -"La chanson de Roland et la Tradition épique des Francs"
- Edition à Paris .
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