| I L'Eglise, administration religieuse de l'Empire ( 325 - 750 ) |  | 
| II Les premiers temps de l'Etat pontifical ( 754- 1054 ) | |
| III Après les accords de Latran (1929 ) | |
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 1 L'EFFACEMENT PROGRESSIF DE L'EMPIRE 
          D'ORIENT 1    La religion chrétienne au 
          IVème siècle 2 Constantin, l'homme divin de l'Empire 3 Constantin, Chef de l'Eglise catholique 4 L'Eglise romaine. après la dynastie constantinienne (364 -754)   EN 
        COURS  | |
  L'Empire Romain d'Orient dans sa plus grande extension, 
  après les reconquêtes ( 537-550 ) de Justinien Ier
            SOMMAIRE
  
    1 L'EFFACEMENT PROGRESSIF DE L'EMPIRE D'ORIENT
    2  ETIENNE II -HERITIER DE CONSTANTIN 
    3   L'ETAT 
  PONTIFICAL JUSQU'AU SCHISME D'ORIENT
  
1 L'EFFACEMENT PROGRESSIF DE L'EMPIRE D'ORIENT
  
       Après sa victoire sur Maxence au Pont Milvius 
  le 28 Octobre 312, Constantin fit ériger au centre de Rome, durant l'hiver 
  312 -313, une statue équestre le représentant portant le labarum, 
  qui proclamait triomphalement son caractère d' ''Auguste", de béni 
  de Dieu. Il s'était déjà déclaré Pontifex 
  Maximus en 307; sa statue équestre signifiait clairement son origine 
  divine. C'était la première fois qu'un Empereur d'Occident s'affichait 
  ainsi, mais Constantin fut rapidement imité par son grand rival en Orient, 
  Licinius. En 324, Constantin devint le seul maître de l'Empire dans sa 
  globalité, après l'élimination de son rival.
       La révolution politique intervint en 325, 
  lors de la création de l'Eglise catholique et apostolique à Nicée, 
  par la déclaration solennelle de l'unicité de Dieu; en conséquence, 
  l'Empereur devenait, non pas le "béni" d'un des dieux de l'Olympe, 
  mais le seul "béni" du seul Dieu. L'Eglise néo-chrétienne, 
  christianisée, eut pour tâche de diffuser le nouveau culte dans 
  tout l'Empire, ce qui devait renforcer son unité. Nous avons précédemment 
  signalé les monuments édifiés durant la vie de Constantin, 
  dieu solaire éclairant de ses rayons jusqu'aux extrêmités 
  de ses possessions.
       La question se posait toutefois de la poursuite 
  de cette action ecclésiale après la mort de son fondateur. Celui-ci 
  devança les difficultés en dotant richement son Eglise de biens 
  fonciers importants pour lui assurer en toute circonstance les ressources nécessaires 
  à la diffusion de son culte, célébré dans des basiliques 
  construites sur des terrains appartenant personnellement à l'Empereur, 
  et à Rome hors des murs de la Ville. Ce culte le statufiait post mortem 
  en une hypostase céleste du Pouvoir; on adorait désormais le Christ-Constantin 
  en tant que "Empereur céleste et Seigneur de Majesté". 
  Contentons-nous de rappeler que "Christos", adjectif de la langue 
  grecque, ne se confond pas avec "Chrestus", nom de personne latin; 
  il ne peut s'appliquer qu'à un Roi ou Empereur et non à un prédicateur 
  galiléen, fut-il thaumaturge, ou à Dieu lui-même puisque 
  c'est lui qui bénit; il ne lui servirait à rien de se bénir 
  lui-même. La religion néo-chrétienne, le christianisme, 
  s'établissait comme la religion du Pouvoir, et devait obtenir les concours 
  les plus richement dotés de la part des successeurs de Constantin et 
  des personnes exerçant une autorité plus ou moins étendue. 
  Au fil des siècles, l'Eglise, spécialement l'Eglise romaine, devint 
  un propriétaire foncier très important, et en conséquence 
  un acteur politique d'autant plus influent que l'Empire, après 476, s'éloigna 
  progressivement de Rome et de l'Italie. La conclusion naturelle fut,dans le 
  temps, la reconnaissance officielle de l'Eglise romaine en tant qu'Etat par 
  la puissance politico-militaire la plus importante d'Europe occidentale, en 
  la possession du Roi carolingien Pépin le Bref.
  
       L'on peut résumer comme suit les relations 
  entre Rome et Constantinople:
  Après la proclamation du Royaume d'Italie par Odoacre en 476, l'Empire 
  d'Orient suscita contre lui une action d'envergure des Ostrogoths conduits par 
  Théodoric en 488; celui-ci réussit à éliminer Odoacre 
  en 493. Théodoric s'établit à sa place à Ravenne 
  où il se manifesta comme un grand roi, tout en cultivant une méfiance 
  rancunière à l'égard des familles romaines de l'ordre sénatorial; 
  c'est ainsi qu'il accusa Boèce de trahison et le fit exécuter 
  en 524. La mort de Boèce précédée de la rédaction 
  de sa "Consolation philosophique" devait marquer la fin de l'Antiquité 
  Tardive et la naissance du Haut Moyen-Age.
  Le royaume ostrogoth de Ravenne se maintint après le décès 
  de Théodoric en 526, jusque dans les années 550. Justinien en 
  527 devint Empereur à Constantinople et décida en 535 la reconquête 
  de l'Afrique du Nord aux mains des Vandales, et de l'Italie.
  Bélisaire commanda les diverses expéditions qui aboutirent à 
  la destruction du royaume ostrogoth, l'envoi en exil à Constantinople 
  de ses dirigeants dont Cassiodore, et l'établissement à Ravenne, 
  à partir de 550, d'un Exarque ou Vice-Roi, représentant l'Empereur 
  de Constantinople. Les opérations politico-militaires s'étaient 
  terminées sous la direction de Narsès, qui avait remplacé 
  Bélisaire. Pratiquement, l'Exarque n'eut aucun moyen d'action alors qu'il 
  eut à lutter dès 568 contre les envahisseurs lombards. Ces derniers 
  firent refluer les Orientaux sur Ravenne et quelques points de la côte 
  adriatique. Dans le climat d'anarchie qui s'en suivit, le seul adversaire résolu 
  avec lequel les Lombards traitèrent fut l'Evêque de Rome, le pape 
  Grégoire Ier. dit le Grand.
  La situation devint encore plus critique au siècle suivant du fait des 
  invasions musulmanes après 632. L'ancien Empire romain avait définitivement 
  disparu. L'Empire d'Orient se réduisit à l'Asie Mineure, la Grèce, 
  le Sud des Balkans, et temporairement à des possessions en Sicile et 
  Italie du Sud. L'Exarchat de Ravenne, lui, se réduisit de fait à 
  une appellation, d'autant qu'en 636 les Lombards avaient envahi le Frioul, la 
  Ligurie et Gênes. La ville de Constantinople eut à soutenir directement 
  les attaques des Musulmans en 674 -678. A l'avènement du VIIIème 
  siècle, les Empereurs byzantins acceptèrent la nouvelle situation 
  et abandonnèrent leur rêve de rétablir l'ancien Empire; 
  l'usage du latin cessa à Constantinople et l'Imperator devint Basileus.Profitant 
  de ces circonstances, dès 712, le Roi des Lombards Liutprand chercha 
  à unifier l'Italie à son profit; le Roi Astolf en 749 prit l'Exarchat 
  de Ravenne et les territoires qui lui étaient encore rattachés;cette 
  dernière action devait laisser face à face les Lombards et le 
  Pape de Rome, dont l'élection était affranchie depuis 731 de l'approbation 
  de l'Empereur byzantin. Comme celui-ci n'avait depuis longtemps aucune possibilité 
  d'affronter les Lombards, le Pape Grégoire III, en 739, sollicita par 
  trois lettres le secours de Charles Martel; mais en vain, puisque ce dernier 
  était l'allié des Lombards. L'envoi d'un reliquaire contenant 
  de la limaille des clés et chaînes de Saint Pierre n'obtint aucun 
  résultat.
  
       Entre-temps, quelle avait été l'évolution 
  de la ville de Rome?
  Aux yeux des théologiens romains, le règne de Constantin apparaissait 
  comme "l'avènement du Royaume de Dieu sur Terre" (1) 
  .Même si la Ville n'était plus depuis le début du IVème 
  siècle le lieu du domicile des Empereurs, elle restait pour ses habitants 
  la Capitale de l'Empire, Caput Mundi. L'anarchie militaire qui règna 
  de 235 à 284 l'avait vidée d'environ un quart de sa population, 
  qui, à l'arrivée de Constantin, comptait à peu près 
  900.000 personnes au lieu de 1.200.000 au IIème siècle. En outre, 
  une série de catastrophes survint à partir du Vème siècle, 
  notamment le sac de la Ville en 410 (et peut-être aussi en 412) (2), 
  l'invasion des Huns en 452, puis les saccages des Vandales en 455 et de Ricimer 
  en 472. Au siècle suivant, l'invasion des Lombards ne fit qu'accélérer 
  le processus de dégradation déjà fortement engagé. 
  De surcroît, la malaria ravagea la Campagne romaine, bientôt suivie 
  d'épidémies de peste et de choléra; survinrent alors les 
  crues du Tibre, dévastant la Ville, inondant les terres cultivables , 
  amenant des famines. Le tissu social de la Ville était menacé 
  de destruction, les familles nobles fuyaient à Constantinople ou à 
  Ravenne. Ces événements dramatiques eurent des conséquences 
  démographiques malheureuses: la population se réduisit à 
  500.000 habitants en 452, 100.000 au début du VIème siècle, 
  puis 90.000 après l'invasion des Lombards (3).
  A l'époque de Grégoire le Grand, la Rome impériale était 
  en ruines, dans un état de délabrement insoupçonnable, 
  mais Rome subsistait. Les rues principales et les places étaient dégagées, 
  quelques aqueducs fonctionnaient encore et les moulins à eau du Janicule 
  fournissaient toujours leur énergie. Le commerce sur le Forum était 
  très ralenti certes, mais il y avait toujours des esclaves à acheter. 
  La Ville, chef-lieu du duché de Rome byzantin, abritait des cohortes 
  de fonctionnaires grecs, qui finalement travaillaient sous les ordres du Pape. 
  Celui-ci, en tant que propriétaire d'immenses domaines, situés 
  en Sicile, Sardaigne, Italie du Sud et Italie Centrale, sauva les Romains en 
  assurant non seulement l'approvionnement de la Ville par l'institution des diaconies, 
  mais aussi l'entretien des bâtiments utilisables et la construction de 
  nouveaux édifices. L'Evêque de Rome, et d'abord Grégoire 
  Ier., maintint les structures économiques, sociales et politiques de 
  la Ville dont il devint de facto le chef. Les possessions de l'Eglise romaine, 
  outre les domaines situés dans le Sud, s'étendaient d'un seul 
  tenant barrant toute l'Italie Centrale des côtes de la Méditerranée 
  à celles de l'Adriatique. L'Eglise était à cette époque 
  le propriétaire foncier le plus important de toute la Péninsule; 
  compte tenu de la vacance du Pouvoir byzantin, son rôle politique s'en 
  trouva effectivement renforcé, car elle était obligée de 
  se substituer pratiquement à l'Autorité impériale défaillante.
  Des éléments de natures diverses vinrent s'associer pour "ressusciter" 
  Rome, Caput Mundi; même si le Monde se réduisait à l'Italie 
  puis à l'Europe Occidendale.
            - D'une part, la 
  situation, ô combien dramatique et désespérante de la Ville, 
  provoqua en compensation des phénomènes socio-psychologiques analogues 
  à ceux que connurent très antérieurement les Juifs de l'exil 
  à Babylone. L' abomination de la situation déclencha, pour surmonter 
  le désespoir, la croyance en une certitude eschatologique, celle de la 
  résurrection de la Rome impériale; une croyance de cette sorte 
  fut aussi celle des "archéo-chrétiens" assurés, 
  en leur temps, de leur revanche finale sur les propriétaires romains 
  vaincus par leur Sauveur, qui viendrait, enfin, établir ses élus 
  dans un régime de bonheur parfait.Ces sentiments d'une croyance continue 
  en la "résurrection" de la Ville en tant que Capitale impériale, 
  étaient partagés par tous y compris son Evêque.
            - D'autre part, 
  l'inefficacité totale de l'Autorité byzantine renforça 
  ces rêves de grandeur retrouvée puisque les actions du Pape, et 
  spécialement les accords de trêve passés entre Grégoire 
  1er et les Lombards (cette trêve devait se prolonger jusqu'au milieu du 
  VIIIème siècle), ces actions démontraient à chacun 
  le pouvoir de son Evêque, et que la Ville disposait encore de ressources 
  suffisantes pour réduire les conséquences des catastrophes.
  En quelque sorte, les Romains pensaient déjà: Italia (Roma) fara 
  da se.
            - Mais enfin, rien 
  n'aurait pu se concrétiser si Rome n'était devenue entre-temps 
  la Ville de Pierre, et du fait des Missions envoyées successivement en 
  Angleterre et en Allemagne, le centre spirituel ou mieux "le Centre magique"(4) 
  de l'Occident. La prise de Jérusalem par les Musulmans en 638 mit fin 
  pratiquement aux pélerinages en Terre Sainte. Rome s'érigea, selon 
  Bède le Vénérable, en "Lieux Saints" de l'Occident. 
  La vie de Pierre, fondateur supposé de l'Eglise romaine et porteur des 
  clés du Ciel, ne repose sur aucun fait historique. Les "Actes d'Apôtres" 
  ne mentionnent aucun voyage de Pierre à Rome. C'est l'hagiographie connue 
  sous le nom de "Liber pontificalis", qui indiqua un séjour 
  de Pierre à Rome dans les années 42 à 67 de notre ère. 
  Les "Actes" ne disent rien de la vie de Pierre après la réunion 
  qui aurait été tenue à Jérusalem avec Paul au sujet 
  de la circoncion; or cette réunion est présentée postérieurement 
  à la mort spectaculaire d'Hérode Agrippa 1er. en l'an 44. Quant 
  au contenu du "Liber Pontificalis", il suffit de rappeler le jugement 
  de Mgr. Duchesne : "C'est à la querelle de Symmaque et de Laurent 
  (en 514) que nous devons le "Liber Pontificalis" , un recueil de biographies 
  des papes". Il y eut au moins deux versions de ce livre. La première 
  ne relate plus que la vie de Symmaque avec la fin de celle d'Anastase. La seconde 
  a été compilée:
            "par une personne 
  peu qualifiée pour faire de l'Histoire sérieuse. Jusqu'à 
  la fin du Vème siècle c'est un mélange bizarre de renseignements 
  puisés à bonne source, de légendes et de fantaisies 
  diverses L'auteur est un clerc de condition inférieure; il nous présente 
  les choses comme les pouvait voir un homme du peuple. C'est ce qu'on appelle 
  le Liber Pontificalis" (5).
  
  Le peuple romain, comme tous les autres peuples en masses illettrées, 
  était taraudé par la peur de vivre: les peurs des invasions et 
  d'être capturé et vendu comme esclave; les peurs des abominables 
  épidémies et des maladies, des inondations du Tibre rendant la 
  terre incultivable et amenant les famines, les peurs de la foudre, du feu ravageur, 
  sans oublier le bruit des voix éoliennes dans les arbres, et tant d'autres 
  craintes qui rendaient la vie si difficile à supporter. Toutes ces peurs 
  conditionnaient si fortement les pensées et la conduite des hommes, qu'ils 
  créaient nécessairement pour les compenser une imaginaire Surréalité, 
  gage de paix et d'un bonheur final malgré les désespoirs de la 
  vie quotidienne. Cette Surréalité naissait dans les imaginations, 
  comme un fruit de l'inconscient collectif et individuel; elle s'exprimait par 
  la voix de ses "prophètes" et prêtres qui, en professionnels 
  du "divin" , proclamaient ce qu'il fallait croire et faire pour être 
  sauvé, détaillaient les rituels du culte approprié, et 
  décrivaient précisement la lutte éternelle engagée 
  par cette Surréalité, désignée par Bien, contre 
  ses ennemis occupés à perdre les hommes en se camouflant sans 
  cesse sous les attraits du plaisir.
  
       A Rome, la légende de l'apôtre Pierre 
  semble s'être développée à dater de la fin du règne 
  de Marc-Aurèle, vers 180. Les restes supposés de Pierre auraient 
  été enterrés sous un "Trophée" décrit 
  à la fin de ce second siècle par un prêtre nommé 
  Gaïus. Quoi qu'il en soit, la Depositio martyrum Romae, dont la rédaction 
  remonterait à l'année 336, précise que le culte de Pierre 
  et Paul daterait de l'année 258. Le culte des martyrs, le commerce consécutif 
  inimaginable de reliques -ossements, les foules de pélerins se rendant 
  à Rome" ad sanctos" pour obtenir leur aide en telle ou telle 
  circonstance concrétisaient la religiosité des masses néo-chrétiennes. 
  La basilique Saint Pierre fut édifiée par Constantin, hors les 
  murs, sur le cimetière le plus important de la Rome antique; la basilique 
  accueillit, donc, les restes mélés de chrétiens et "païens"; 
  elle fut inaugurée selon.J.Carcopino (6) 
  le 18 Novembre 350 après avoir reçu les restes dits de Pierre.Mais 
  peu après elle était assiégée par une foule de pélerins, 
  attirant avec eux une armée de mendiants.
        Peut-on supposer une imposture de la part 
  des évêques de Rome et des auteurs ecclésiastiques reconnus, 
  célébrés comme Bède le Vénérable? 
  Vraisemblablement non. Grégoire 1er. était si persuadé 
  de la lutte incessante du bien contre le mal, et de la nécessité 
  de solliciter la divine providence pour chasser les maladies ou faire refluer 
  les eaux du Tibre, qu'il organisait fréquemment,dans la Ville, des processions 
  propitiatoires, exprimant ainsi ses croyances profondes.
     Comme un élément déterminant 
  de la pratique religieuse d'alors, il faut souligner l'influence puissante du 
  monachisme occidental, de son rêve d'instaurer une vie angélique 
  sur terre par une continence absolue, conduisant un moine à guerroyer 
  sans cesse contre lui-même, et lui rendant impossible l'acceptation d'autrui 
  dans sa différence tant il était persuadé de sa supériorité 
  (angélique), élément de sa volonté de puissance.  La 
  sévérité exagérée des pratiques monastiques, 
  particulièrement une ascèse excessive et dangereuse pour l'équilibre 
  humain, conférait à leurs discours un caractère normatif, 
  qui faisait d'eux les intermédiaires de choix entre la Surréalité 
  imaginée dans l'Absolu et le commun des mortels. Les monastères, 
  heureux possesseurs de reliques authentifiées par la naïveté 
  et la crédulité populaires, devenaient des centres d'attraction 
  pour les foules fidèles. Nobles, manants et esclaves vinrent y chercher 
  remèdes à leurs souffrances et à leurs peurs par le truchement 
  de dotations et offrandes diverses dont l'accumulation établissait ces 
  institutions, à l'instar des établissements romains, en coffres-forts 
  de l'Occident. Ces dons accumulés soulignaient la nature de fécondateur 
  du Christ néo-chrétien et rétablissaient la pratique millénaire 
  du contrat païen: " Je donne pour que tu donnes" Plusieurs moines 
  devinrent membres éminents de l'Administration pontificale. Plusieurs 
  moines devinrent évêques de Rome, comme Grégoire Ier. Leur 
  action encadra l'épanouissement de la religiosité et des superstitions 
  populaires, nées des peurs antiques devant le déroulement de la 
  vie. La religion néo-chrétienne n'avait pas été 
  divinement révèlée mais humainement fabriquée.
  
       Un événement significatif de la 
  prise de conscience par l'Evêque de Rome de son pouvoir grandissant consista 
  dans l'organisation des Missions, dès le Pontificat de Grégoire 
  Ier., vers l'Angleterre puis ensuite l'Allemagne par Boniface, pour diffuser 
  le culte romain, sa théologie et ses rites. Cette action s'étendit 
  sur un long temps et signala clairement la volonté de l'Evêque 
  de Rome d'étendre son influence et celle de son Eglise bien au-delà 
  des limites de ses propriétés. Il y avait là une manière 
  non déguisée de "ressusciter", sous une forme nouvelle, 
  l'antique Empire occidental. L'Eglise romaine, principalement, avait été 
  fondée pour répandre le culte du Christ-Empereur jusqu'aux limites 
  de l'Empire. L'Orient s'étant détaché, il incombait aux 
  Papes romains de rétablir, grâce au nouveau culte, l'Empire d'Occident.
       Enfin, le moment vint pour le Roi le plus puissant 
  d'Occident, Pépin le Bref, de reconnaitre le pouvoir politique et temporel 
  du Pape romain, en transformant en 754 et 756 le patrimoine de Saint Pierre 
  en véritable royaume.
          2  ETIENNE II -HERITIER 
  DE CONSTANTIN
  
       Le Pape Grégoire III mourut en 741, après 
  l'échec de sa demande d'aide à Charles Martel. Son successeur, 
  Zacharie, forte personnalité dotée d'une éloquence persuasive, 
  entama immédiatement des négociations avec le Roi lombard Liutprand, 
  qui aboutirent en 742 à la signature, à Terni, d'une paix de 20 
  ans, et à la restitution à Rome des patrimoines situés 
  dans les territoires annexés les années précédentes 
  par les Lombards. Liutprand décéda au début de l'année 
  744, et fut remplacé par Ratchis; celui-ci renouvela la paix de 20 ans 
  conclue entre le Roi défunt et Zacharie. Mais, "touché par 
  la grâce", en 749, le Roi Ratchis abandonna son trône pour 
  une vie monastique au Mont Cassin. Son successeur fut le Roi Astolf (Aistulf). 
  Ce dernier reprit le dessein de Liutprand d'unifier l'Italie à son profit. 
  Il envahit rapidement Ravenne et les villes dépendantes, chassa l'Exarque 
  et mit fin pratiquement à la présence de l'Empire grec en Italie 
  du Nord. Le Pape Zacharie, mort en 752, fut remplacé par Etienne II. 
  Astolf commença par discuter avec lui, puis manifesta ses prétentions 
  sur le duché de Rome qui faisait encore partie nominalement de l'Empire 
  byzantin; il réclama au Pape un tribut calculé à raison 
  de un sou d'or par habitant.
  Le dilemme se posait à Etienne II de savoir s'il choisirait d'être 
  annexé ou non par les Lombards. Sur un plan strictement "religieux" 
  il ne semblait pas y avoir de réelles difficultés car les Lombards 
  s'étaient déjà convertis au Christianisme romain, et la 
  piété de leurs rois et nobles se manifestait par de nombreux dons 
  aux monastères et églises. Sur un plan de politique générale, 
  Etienne II, en tant que chef spirituel de l'Occident, et Maître véritable 
  du duché de Rome, ne pouvait accepter de devenir un sujet lombard.
             - D'une part, 
  Rome se rêvait plus que jamais en Caput Mundi.
             - D'autre 
  part, la Ville avait pratiquement rompu avec l'Empire grec dès 726, à 
  l'occasion de la guerre des images, et l'élection du Pape était 
  désormais affranchie de l'approbation de l'Empereur; Constantinople 
  restait malgré son éloignement une puissance plus imposante que 
  celle des Lombards.
             - Enfin, le 
  successeur des Apôtres Pierre et Paul ne reconnaissait pas d'autre Maître 
  que le Christ-Empereur, et ne pouvait obéir à un roi "barbare" 
  qui devait recevoir par son intermédiaire personnel les lois "christianistes".Etienne 
  II se considérait comme un souverain à Rome, le successeur d'Auguste 
  et de Constantin.
       La situation s'envenima à partir 
  de l'automne 752. Les Lombards multiplièrent les pillages dans la Campagne 
  romaine et les vols de reliques dans les églises situées hors 
  les murs de la Ville. Durant l'hiver 752 -753, le Pape fit succéder les 
  prières et les processions derrière une image "achiropoïète" 
  du Sauveur, c'est-à-dire non faite de main d'homme. Entre-temps, il avait 
  sollicité une intervention militaire des Grecs, mais en vain. "Que 
  les Romains s'en tirent comme ils pourraient !". Cette réponse brutale 
  conduisit l'intéressé à se tourner, une nouvelle fois après 
  Grégoire III, vers les Francs.
  Les Francs étaient chrétiens romains depuis Clovis, depuis deux 
  siècles et demi; Rome avait à plusieurs reprises noué des 
  relations avec eux. L'Empire romain ayant disparu, il apparaissait clairement 
  aux Princes francs que la Ville était le Siège de l'Autorité 
  religieuse à laquelle ils obéissaient, sous peine d'encourir de 
  graves dangers personnels: Pierre était non seulement le fondateur de 
  l'Eglise romaine, mais le "portier" céleste; il fallait donc 
  suivre ses commandements si l'on voulait gagner post mortem le lieu du bonheur 
  divin. La même crédulité règnait dans les Cours franques, 
  anglo-saxonnes, bavaroises !
       En même temps qu'il intervenait en vain 
  auprès de Constantinople, Etienne II avait secrètement entamé 
  des pourpalers avec Pépin le Bref. Il désirait se rendre auprès 
  de ce dernier, et lui demandait de l'envoyer prendre et d'assurer son voyage 
  à travers le Royaume lombard. Pépin répondit favorablement 
  et dépêcha deux ambassadeurs auprès du Pape. A leur arrivée 
  à Rome, ils trouvèrent Etienne II prêt à partir, 
  après avoir obtenu un sauf-conduit pour se rendre en la capitale des 
  Lombards, Pavie. La caravane quitta Rome le 14 Octobre 753. Outre les ambassadeurs 
  et leurs escortes, la suite pontificale se composait de nombreux clercs de haut 
  rang, de militaires, membres de l'aristocratie romaine; elle comprenait aussi 
  un ambassadeur de l'Empereur grec, porteur de lettres de ce dernier à 
  l'adresse de Astolf, lui demandant de restituer Ravenne et les territoires de 
  l'ancien Exarchat. La réponse fut totalement négative malgré 
  les interventions d'Etienne II en appui de la demande byzantine.
       La question de Ravenne ainsi écartée, 
  le Pape demanda qu'on le laissa aller en Gaule. Les ambassadeurs francs parlèrent 
  assez fort pour que tombent les obstacles. On quitta Pavie le 15 Novembre 753. 
  L'ambassadeur grec et les militaires romains revinrent dans la Ville. Etienne 
  II continua, escorté de ses clercs et des envoyés de Pépin 
  le Bref. Il atteignit Aoste, puis traversa le Grand Saint Bernard, et s'arrêta 
  à l'abbaye de Saint-Maurice, où deux autres personnages de qualité 
  l'attendaient. Finalement, il fut reçu à Ponthion, aux alentours 
  de Vitry-le-François, la résidence royale, à l'Epiphanie 
  754.
       Le Pape séjourna en Gaule durant environ 
  quatre mois. A peine arrivé, Etienne II eut un premier entretien avec 
  Pépin, dans son oratoire; les larmes aux yeux, il supplia le Roi de délivrer 
  Rome des menaces lombardes. Il y eut aussi de véritables scènes 
  collectives, où l'ensemble des clercs de l'Ambassade romaine et le Pape 
  se présentèrent devant la Cour ,"vêtus de cilices et 
  couverts de cendres se prosternèrent à terre, invoquant la miséricorde 
  de Dieu, attestant les bienheureux apôtres Pierre et Paul, et refusant 
  de se lever tant que Pépin, ses fils, et les nobles Francs ne leur eussent 
  tendu la main en signe de concours et comme une promesse de délivrance" 
  (7).
       Pépin ne pouvait renvoyer le Pape à 
  Rome avant de voir quelle tournure définitive les événements 
  allaient prendre; compte tenu aussi de l'âge du visiteur et du temps hivernal. 
  Il le conduisit à l'abbaye royale de Saint-Denis où Etienne II, 
  fatigué, s'alita, tomba dit-on gravement malade, faillit mourir, puis 
  se releva miraculeusement guéri par l'intervention de Saint Denis, patron 
  très efficace de l'Institution. Est-ce crédible? La question importe 
  peu, mais la prétendue guérison miraculeuse renforçait 
  considérablement le prestige du Pontife, et rendait plus impérative 
  sa pétition.
  C'est aussi vraisemblablement dans cette période que fut distribué 
  en Gaule le document connu sous l'appellation de "Donation de Constantin" 
  (8). Ce document rattaché au nom 
  de l'Empereur Constantin et adressé à l'Evêque de Rome Sylvestre 
  1er., sous le quatrième consulat de Constantin en 315, aurait pour origine 
  la guérison , par Sylvestre, de la lèpre dont Constantin était 
  affligé.
  On y distingue deux parties; la première, dite Confessio par la critique, 
  établit les croyances que Sylvestre aurait inculquées à 
  Constantin; la seconde, la Donatio à proprement parler, détaille 
  pèle-mèle tout ce que lèguerait à Sylvestre et à 
  ses successeurs l'Empereur d'Occident, particulièrement la ville de Rome, 
  l'Italie et toutes les régions occidentales de l'Empire. Constantin aurait 
  déclaré, dans le texte, devoir se retirer dans la partie orientale 
  de l'Empire pour ne pas empiéter sur la souveraineté de l'Evêque 
  de Rome.
       A l'évidence, il s'agit d'un faux compte 
  tenu des nombreux anachronismes contenus dans la " Donatio" , notamment 
  le legs d'églises à Rome, qui n'existaient pas en 315 -317, date 
  supposée de sa rédaction. D'autre part, la "Donatio" 
  établissait une primauté absolue de Rome sur les églises 
  d'Orient, principalement celle de Constantinople qui n'existait pas encore; 
  l'on imagine aisément ce qu'un Léon 1er. en son temps (440 -461), 
  aurait pu tirer d'un texte de cette importance forcément connu s'il avait 
  existé! En outre, la création de la ville de Constantinople s'est 
  imposée à Constantin comme une donnée politique et stratégique, 
  du fait de la présence aux frontières orientales de l'Empire, 
  redoutable et permanente, des Perses. Dioclétien lui avait montré 
  l'exemple en s'établissant à Nicomédie à la fin 
  du IIIème siècle.
       Ce document constitue "le faux le plus célèbre 
  de l'histoire de la Papauté"(9) 
  , ou suivant A.Grafton : "le faux médiéval le plus littéraire 
  et le plus complexe", ou encore selon J.Carcopino : "un faux éhonté 
  de fabrication romaine" (10). 
  Là, git bien la question. On le conçoit sans peine, la "fausse 
  Donation" a été commandée (11) 
  par celui ou ceux qui en attendaient des suites favorables en la produisant 
  au moment opportun. Il n'est toutefois pas assuré qu'elle ait été 
  fabriquée à Rome. Les spécialistes pensent généralement 
  qu'elle a été écrite au milieu du Vlllème siècle, 
  c'est-à-dire dans les années 75O, et diffusée d'abord en 
  Gaule, où elle aurait été rédigée vraisemblablement, 
  compte tenu des moyens faiblement développés de transmission à 
  l'époque. Mais, il convient de le rappeler, ce faux ne constitue pas 
  un cas unique; il s'inscrit dans une tradition illustrée par de célèbres 
  fausses "Donations", telle la "Donation de Dagobert" produite 
  à Saint-Denis. La richesse accumulée par les grandes institutions 
  monastiques aiguisait la convoitise et appétits d'évêques, 
  et autres seigneurs féodaux. Les moines se servirent pour leur défense 
  de l'arme en leur possession presque exclusive: la culture; les scriptoria conventuels 
  représentaient, à l'époque, les seuls conservatoires de 
  la lecture et de l'écriture; cette dernière gardait un caractère 
  "sacré" tel, que ce qui était écrit exprimait 
  la vérité, ce qu'il fallait croire. En outre, l'introduction de 
  la minuscule caroline révolutionnait l'art d'écrire et rendait 
  progressivement illisibles les documents authentiques mérovingiens.Il 
  existait donc dans les scriptoria des grands établissements monastiques 
  un certain nombre de manuscrits inutilisés, anciens ou très anciens, 
  qui permirent à quelques rares spécialistes antiquisants, à 
  partir de ces parchemins, après les avoir lavés, de fabriquer 
  littéralement une histoire utile à la défense de leurs 
  intérêts.Le volume de ces contrefaçons ne fut jamais négligeable. 
  A.Grafton précise:
              "parmi 
  les actes que nous possèdons, on peut sans doute considérer comme 
  frauduleux la moitié de ceux qui datent de l'époque mérovingienne, 
  et les deux tiers de tous ceux qui ont été dressés 
  avant 1100 par des clercs. Leur nombre s'accrut considérablement lorsque 
  la science juridique se fut solidement implantée en Occident, et 
  qu'il fallut des pièces justificatives pour établir tous les usages 
  et tous les droits de propriété " (12).
  Patrick Geary a démontré lumineusement les mécanismes de 
  cette fabrication du passé, ayant pour seul but l'utilité et la 
  défense des droits acquis (13).
  Carlo Ginzburg stigmatise, lui, cette culture d'antiquaires, de vulgarisateurs, 
  de fabricants de copies et de faussaires (14).
       Bref, c'est une hypothèse bien vraisemblable, 
  la "Donation de Constantin" aurait été rédigée 
  par un ou plusieurs moines de Saint-Denis et copiée dans le scriptorium 
  en quelques exemplaires distribués à la Cour franque; ils auraient 
  eu trois mois environ pour exécuter ce travail, à la demande de 
  l'entourage pontifical durant le séjour d'Etienne II à l'abbaye 
  royale; c'était une contribution à la cause de Saint Pierre parachevant 
  la guérison miraculeuse du Pape. Ne dit-on pas que l'Abbé de Saint-Denis:  "s'était 
  signalé par le plus grand zèle pour le Saint-Siège" 
  (15).
       Mais l'Histoire poursuit son cours. Deux Assemblées 
  nationales franques se tinrent le 1er. Mars 754 et le 14 Avril à Braisne 
  et à Quierzy-sur-Oise. La guerre fut décidée, non sans 
  opposition, contre le roi des Lombards pour l'obliger à satisfaire aux 
  demandes d'Etienne II. L'armée franque traversa les Alpes par la Maurienne 
  et le col du Mont-Cenis. Pépin investit Pavie la capitale d'Astolf; celui-ci 
  dut finalement cèder et traiter sur la base des revendications romaines,y 
  compris la rétrocession, au Pape, de Ravenne et des territoires formant 
  l'ancien Exarchat; la "Donation de Constantin" avait en effet établi 
  très clairement que ces terres italiennes étaient comprises dans 
  l'héritage du Pontife bien avant l'installation des Grecs; il fallait 
  respecter la volonté du grand Empereur défunt, qui pour tout le 
  monde avait fondé le Christianisme romain.
       Pépin fit raccompagner Etienne II à 
  Rome par des aristocrates de son entourage, à la fin du mois de Novembre 
  754. Ce dernier fut accueilli triomphalement par la population de sa Ville; 
  après l'absence d'une année, il revenait en souverain, héritier 
  de Constantin, son grand Patron. Son bonheur fut de courte durée. Certes, 
  Astolf commença par rendre quelques unes des possessions inscrites au 
  traité de paix signé. Toutefois, dès que les Francs, après 
  s'être retirés, furent assez éloignés pour ne plus 
  constituer de menace, il reprit, dans le courant de l'année 755, ses 
  incursions dans les Etats pontificaux et ses pillages dans la Campagne romaine. 
  Il vint presque sous les murs de la Ville et vola les reliques de Saint Sylvestre 
  dont il fit cadeau à un ancien duc lombard, Anselme, devenu moine, et 
  dont il avait épousé la fille. Les restes de Saint Sylvestre furent 
  amenés au monastère de Nonantula; plus tard les moines essayèrent 
  de régulariser l'affaire en fabriquant des lettres de cession.
       Etienne ne put que s'en plaindre par lettres adressées 
  à Pépin, qui se renseigna. Astolf préparait une invasion 
  de Rome, et, le 1er. Janvier 756, attaqua la Ville en trois points. Le Pape 
  réussit à faire sortir des messagers qui prirent la mer pour se 
  rendre en Gaule; ils étaient porteurs de trois lettres:la première 
  était rédigée par Etienne en son nom personnel, la seconde 
  exprimait les peurs du peuple romain tout entier et ses appels au secours, la 
  dernière venait de l'Apôtre Pierre lui~même qui en tant que 
  porteur des clés du Ciel s'adressait directement à Pépin; 
  il était, disait-il, menacé directement dans son sanctuaire; lui 
  venir en aide, assurerait à son sauveur des droits spéciaux à 
  sa reconnaissance. En d'autres termes, Pierre promettait le Ciel à Pépin 
  s'il venait au secours de Rome (16) !
       Pépin se remit immédiatement en 
  campagne et traversa les Alpes au Mont-Cenis; Rome fut alors entièrement 
  dégagée. Les Francs investirent à nouveau Pavie, battirent 
  Astolf, le condamnèrent à cèder des villes non comprises 
  dans le traité précédent, et à verser une forte 
  contribution de guerre; de surcroît, le tribut versé jadis par 
  les Lombards aux Rois francs fut rétabli. Pour assurer l'exécution 
  de ce nouvel accord, l'Abbé Fuald, un proche de Pépin, demeura 
  en Italie avec un corps d'armée suffisant; il visita chaque cité 
  stipulée dans les actes, accompagné de Commissaires lombards; 
  il s'en fit remettre les clés, qu'il vint déposer à Saint-Pierre 
  de Rome, avec une attestation par laquelle Pépin en faisait don à 
  l'Apôtre Pierre et à tous ses successeurs. Le Roi des Francs reçu, 
  en contrepartie, le titre de Patrice des Romains, sans savoir exactement quelle 
  signification lui donner.
       La pièce était jouée. Cependant, 
  des questions demeurent et sur la crédulité de Pépin et 
  sur le manque de savoir-faire de l'Apôtre Pierre. Pépin était-il 
  assez naïf pour penser recevoir une lettre personnelle de Saint Pierre, 
  Portier du Ciel? S'était-il mis en campagne uniquement pour l'amour de 
  l'Apôtre, la rémission de ses péchés, et assurer 
  son entrée au Paradis? On peut estimer, plus justement, que la trahison 
  d'Astolf constituait une grave offense et une véritable provocation, 
  qu'il devait payer fort cher. Les pieuses protestations de Pépin sont 
  toutefois caractéristiques du climat général de superstition 
  et de faim de magie qui règnait en Europe Occidentale; alimenté 
  par l'Eglise romaine, il conditionnait les esprits des plus hauts aristocrates. 
  Pépin agissait comme Oswy, Roi de Northumbrie; selon Bède le Vénérable, 
  ce Roi aurait déclaré, à propos de la fixation de la date 
  de Pâques, et de Pierre:   "Voilà un portier 
  auquel je refuse de m'opposer Je désire obéir en tout à 
  ses prescriptions; j'ai trop peur qu'à mon arrivée aux portes 
  du Ciel il n'y ait personne pour m'ouvrir" (17).
       L'on peut s'étonner alors du manque de 
  savoir-faire. d'un tel personnage "divin" ! Pierre aurait pu envoyer 
  directement sa lettre à Pépin par les airs;l'effet eut été 
  plus saisissant et la réaction de secours plus rapide. Passer par l'intermédiaire 
  d'Etienne faisait perdre au moins deux mois, et faisait peser sur son sanctuaire 
  la menace furieuse d'un saccage par les Lombards. Serait-ce la preuve que la 
  Providence écrit droit avec des lignes brisées? Mais nous quittons 
  le domaine de l'histoire pour celui de l'hagiographie.
       Le rideau du théâtre lombard tomba 
  à l'automne 756 avec la mort d'Astolf, tué dans un accident de 
  chasse. Sa succession opposa deux compétiteurs : Ratchis,son frère, 
  qui avait antérieurement,en 749, abandonné le trône pour 
  la vie monastique au Mont Cassin; et Didier, duc de Toscane.  Ce dernier 
  se mit en rapport avec le Pape pour obtenir son soutien, contre la promesse 
  de cession de plusieurs cités importantes, promesse dûment signée 
  en présence des représentants du Pontife, dont l'Abbé Fuald. 
  C'était un complet retournement de situation. Il n'était pas très 
  difficile pour l'Administration pontificale de persuader Ratchis de retourner 
  au Mont-Cassin; Didier fut donc proclamé roi des Lombards, mais se montra 
  finalement peu enclin à exécuter rapidement ses promesses.
       Etienne II s'était montré comme 
  un Souverain apprécié, suffisamment puissant pour arbitrer les 
  candidatures à la royauté lombarde. Il exultait et exprima sa 
  joie en une lettre à Pépin. C'est sur ces entrefaites qu'il mourut 
  le 26 Avril 757.
       Une courte période de cinq ans fut suffisante 
  pour dénouer une situation multiséculaire. L'accession du Pape 
  de Rome à la royauté élective manifestait simultanément 
  le déclin de l'Empire romain d'Orient et l'avènement de puissances 
  impériales en Europe Occidentale, d'abord les Carolingiens, puis les 
  Ottoniens. Rome se voyait à nouveau "Caput Mundi", et ses rêves, 
  pour se concrétiser, avaient fabriqué le subterfuge de la "Donation 
  de Constantin". Ce faux avéré fut dénoncé à 
  maintes reprises après sa parution, et particulièrement en 1440 
  par un humaniste italien, Lorenzo Valla. L'Etat pontifical réagit en 
  fonction de ses intérêts; il inscrivit cette fausse "Donation" 
  dans les collections canoniques, en la transformant en acte juridique de restitution, 
  "un privilège fondateur de droit" (18). 
  C'était un moyen royal de protèger ses biens par l'écriture, 
  un parachèvement de la "Donation". L'on prône la pauvreté 
  comme moyen de sanctification, mais l'on s'ingénie à protèger 
  et accroître ses possessions terrestres, tant l'attirance de l'or, chair 
  du Soleil, pousse au double langage et à des attitudes extrêmes.
       La fausseté du document fut officiellement 
  admise en plein XIXème siècle par l'Etat-Eglise pontifical, au 
  moment où ce dernier était totalement dépouillé 
  par l'effet du Risorgimento et de l'unification italienne. La réalisation 
  par la Maison de Savoie du très vieux rêve du roi lombard Liutprand 
  avait ôté toute utilité à la "Donation". 
  . 
       Constantin, malgré l'adoration de son vivant 
  par les populations de son Empire, malgré ses titres de Pontifex Maximus 
  et de Christos, Contantin était hypostasié en une idole, dont 
  la puissance supposée naissait des rosaires de superstitions égrenées 
  par l'Eglise romaine. L'attrait du Pouvoir dit temporel, de la possession de 
  territoires très importants, de la richesse sous toutes ses formes, muait 
  ses fonctionnaires en agents d'une volonté de puissance collective par 
  laquelle le Pontife romain se montra non plus le Vicaire d'un dieu-esclave, 
  mais l'heureux héritier des Empereurs du passé.
| Cette 
      composition veut illustrer l'origine mensongère de la fausse " 
      Donation de Constantin ". L'Empereur est représenté dans la situation d'un humble serviteur de l'Evêque de Rome; Constantin, à pieds, conduit par une rêne le cheval qui porte Sylvestre I er. Or, du temps de Constantin, tous les Evêques, y compris ceux de Rome, étaient des fonctionnaires salariés, chargés de développer dans les basiliques, collégiales ou autres édifices, le culte impérial, le culte de l'Unique Maître de l'immense Empire romain, toujours en quête d'unité, le Christ, représentant unique du Dieu unique défini par le Concile de Nicée en 325. On a ici un exemple typique des manipulations opérées sans cesse par l'Eglise de Rome, en particulier, pour affirmer sur Terre sa primauté sur toutes les Autorités. Depuis Grégoire Ier, elle utilisait sciemment les images peintes ou sculptées comme moyens d'instruire les foules des illettrés, dont l'imagination et l'inconscient étaient totalement subjugués par la puissance de suggestion des icônes et statues. On comprend ainsi que l'Eglise de Rome ait été, dès 726, hostile à l'iconoclasme bysantin; elle aurait été privée de son principal instrument de propagande, au service de sa volonté passionnelle de représenter ici-bas, sans contestation, l'autorité qui vient du Dieu " Empereur celeste ", hypostase constantinienne. | 
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
  (1) - Cf.. Richard KRAUTHEIMER -"Rome portrait d'une ville" Editeur 
  le Livre de Poche - Paris Voir page 110.      RETOUR
  .(2) - Cf. JORDANES - "Histoire des Goths" - Editeur Les Belles Lettres 
  Paris.       RETOUR
  (3) - Cf. Richard KRAUTHEIMER - Op.cit. Pages 171 et 172         RETOUR
  (4) - Cf. Richard KRAUTHEIMER - Op.cit. Page 201             RETOUR
  (5) - Cf. Mgr: DUCHESNE -"L'Eglise au VIème siècle" 
  Editeur de Boccard - Paris pages 127 et 128.          RETOUR
  (6) - Cf. Jérôme CARCOPINO -"Etudes d'Histoire chrétienne 
  -Les fouilles de Saint-Pierre" Editeur Albin Michel -Paris Pages 132 -133. 
        RETOUR
  (7) -Cf. Mgr. DUCHESNE -"Les premiers temps de l'Etat Pontifical"Editeur 
  Fontemoing et Cie -ParisPage 59          RETOUR
  (8) -Cf. DICTIONNAIRE HISTORIQUE DE LA PAPAUTE -Op.cit.Article "Donation 
  de Constantin" Pages 581 et suivantes    RETOUR
  (9) -Cf. DICTIONNAIRE HISTORIQUE DE LA PAPAUTE -Op.cit.         RETOUR
  (10) -Cf. A.GRAFTON -"Faussaires et critiques" -Editeur Les Belles 
  lettres -Paris. Page 33.       RETOUR
  (11) -Cf. J.CARCOPINO -"Etudes d'Histoire chrétienne" -Op.cit. 
  -Page 211      RETOUR
  (12) -Cf. A.GRAFTON -"Faussaires et critiques" -Op.cit. -Page 33        RETOUR
  (13) -Cf. Patrik J.Geary -"La mémoire et l'oubli à la fin 
  du premier millénaire"Editeur Aubier -Paris.   RETOUR 
  (14) -Cf. CARLO GINZBURG -"La Donation de Constantin" -Préface. 
  Editeur Les Belles Lettres -Paris       RETOUR       
  (15) -Cf. Mgr. DUCHESNE -"Les premiers temps de l'Etat Pontifical" 
  -Op.cit Page 83.       RETOUR
  (16) -Cf.Mgr. DUCHESNE -"Les premiers temps de l'Etat Pontifical" 
  -Op.cit Page 72.        RETOUR
  (17) -Cf.BEDE LE VENERABLE -"Histoire ecclésiastique du peuple anglais" 
  
              Editeur Les 
  Belles Lettres -Paris. Livre III -Chapitre XXV -Page 188     RETOUR
  (18) -Cf. DICTIONNAIRE HISTORIQUE DE LA PAPAUTE -Op.cit. -Page 582.       RETOUR
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