CONCLUSION


  I   L'Eglise, administration religieuse de l'Empire ( 325 - 750 )
  II   Les premiers temps de l'Etat pontifical ( 754- 1054 )
    
  III      Après les accords de Latran (1929 )
     
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                                              LE TRIPTYQUE DE STAVELOT EN BELGIQUE (XIIème siècle)
                                                         Ce magnifique ouvrage est un reliquaire de la "vraie" croix:
 

     Le volet central comporte deux crucifixions
.Celle du haut, la plus petite, est une splendide illustration du thème du dieu fécondateur triomphant; le crucifié est vivant, les bras non fléchis, la tête droite, d'abondants filets de sang stylisés coulent de ses deux mains en pluie fécondatrice sur la terre; au-dessus de la croix, le soleil et la lune, principes de la fécondité, attestent cette signification.
La croix au centre du volet constitue le véritable réceptacle du morceau de bois vendu comme relique de la "vraie" croix par des moines avides et sans scrupule.
A supposer la véracité "historique" des récits évangéliques, aucun d'entre eux n'a jamais signalé le dépôt de la croix du supplice dans le
tombeau du Sauveur, ni la présence d'une croix dans celui-ci à la Résurrection. Une croix latine n'aurait pu, d'ailleurs, y entrer compte tenu des dimensions respectives du sépulcre et de cet arbre du malheur (arbor infelix). En outre, la croix du supplice appartenait à l'armée romaine, qui la maintenait en vue du public sur la colline, pour servir d'avertissement et créer la crainte d'avoir à y être suspendu jusqu'au dernier souffle.
     Le volet de gauche, pour un fidèle en prière, représente trois épisodes de la vie de Constantin, rapportée par l'hagiographie dite "Vie de Constantin", attribuée à Eusèbe de Césarée.
La partie haute décrit le baptême supposé de l'Empereur, alors que l'on ne sait si, à sa mort en 337, il avait reçu ce sacrement; vraisemblablement non; sa "divinite" rendait inutile son immersion.

 

     Le volet de droite, le plus intéressant, illustre l'invention de la "vraie" croix, découverte, dit-on, par l'Impératrice Hélène, mère de Constantin. Celle-ci, à vrai dire, était à l'époque beaucoup trop âgée, si encore en vie, pour supporter un long voyage terrestre très fatigant de Constantinople à Jérusalem et retour.
Le panneau, en bas, résume, en fait, le récit de "l'invention", tiré de la légende du roi Abgar d'Edesse en Syrie. Ce récit attribue " l'invention" à Protonice, épouse supposée de l'Empereur Claude (41 -54). La scène raconte la discussion de Protonice avec les chefs des Juifs pour obtenir d'eux des renseignements sur l'emplacement du sépulcre du Sauveur, sous la menace des flammes d'un bûcher. Mais comment les disciples de Jésus Christ, quinze ans environ après son supposé supplice, auraient-ils pu oublier le lieu de sa sépulture et de sa résurrection? La présence d'un bûcher en flammes est en outre caractéristique d'une mentalité moyenâgeuse selon laquelle, les Juifs, déicides présumés, auraient toujours été soumis à des tortures diverses; ce qui est faux.
L'anti-judaïsme chrétien est né à la fin du XIème siècle à l'occasion de la première croisade, parce que les Juifs étaient devenus si puissants, financièrement parlant, qu'il fallait bien les détruire.
Les deuxième et troisième panneaux illustrent, d'une part la découverte du sépulcre et de trois croix à l'intérieur, et d'autre part la résurrection de la fille de Protonice, morte subitement à l'entrée du sépulcre, et ramenée à la vie par l'imposition sur sa poitrine d'une croix qui se révèla, par ses vertus vivifiantes, la croix du Sauveur.
Les trois croix sont, en fait, non pas trois croix de supplice que des femmes n'auraient pu déplacer, mais trois amulettes en forme de croix, telles que l'on en exportait partout, notamment d'Egypte.
L'invention de la "vraie" croix (une amulette) apparaît comme un récit de faussaires qui abusèrent cyniquement de la crédulité des pélerins à Jérusalem, pour bâtir et orner somptueusement leurs établissements en cette ville.
Jérusalem, capitale virtuelle de la chrétienté, devint une mine d'or, mais la richesse manifestait bien la divinité de Jésus- Christ puisqu'il était le dieu de la fécondité



I              L'EGLISE, ADMINISTRATION RELIGIEUSE DE L'EMPIRE ( 325 - 750 )


         SOMMAIRE
          1    La religion chrétienne au IVème siècle
          2    Constantin, l'homme divin de l'Empire
          3    Constantin, Chef de l'Eglise catholique          
          4    L'Eglise romaine. après la dynastie constantinienne (364 -754)
           
           


1    La religion chrétienne au IVème siècle

     Après le Grand Schisme d'Occident, et le Concile de Bâle, en 1414 -1418, Enea Piccolomini émit une théorie sur le Pouvoir Pontifical, unissant dans la personne du Pape autorité spirituelle et autorité temporelle, afin d'éviter les conflits entre ces deux sphères (1). Il disait en effet: "le Pontife romain sans le patrimoine de l'Eglise n'est rien d'autre que l'esclave des princes et des rois". Ce patrimoine était présenté comme le garant de l'indépendance pontificale.
     Toutefois, la théorie de Piccolomini, comme toutes les théories, s'avérait juste dans des circonstances déterminées mais totalement fausse dans un contexte différent. De fait, le patrimoine de l'Eglise, barrant l'Italie Centrale de la Méditerranée à l'Adriatique, où il se rapprochait de Venise, attisait les convoitises des roitelets, princes, ou nobles de moindre extraction; sa défense obligeait le Pape à se muer parfois en chef de guerre, et toujours en diplomate affairé, le conduisant à délaisser les problèmes concernant son "autorité spirituelle". D'indépendance, point ! Sinon au prix de marchandages incessants, transformant le Pape en souverain ordinaire. Piccolomini lui-même, élu Pie II en Avril 1458, pour assurer la sauvegarde de ses possessions terrestres, mésusa du népotisme; il mourut à Ancône, six ans plus tard, attendant des navires et des troupes qui ne vinrent pas, pour aller combattre les Turcs.

     Quelle "autorité spirituelle" pouvait prétendre manifester l'évêque de Rome? La question nous oblige à redéfinir la religion chrétienne avant sa transformation en christianisme.
     La religion chrétienne est essentiellement le culte d'un Sauveur invisible agissant pour le bien de ses fidèles, malgré les apparences contraires de leur vie terrestre; Sauveur dont le triomphe sur leurs ennemis, à la fin des temps, assurera à chacun de ses fidèles un bonheur parfait et éternel. Mais on ne naît pas chrétien disait Tertullien; on le devenait par la grâce de l'eau et de l'huile du baptême, reçu à la fin d'une initiation doctrinale, qui ouvrait à un impétrant les portes d'une communauté. De communauté à communauté, les pratiques rituelles et la doctrine enseignée pouvaient différer; chacune toutefois regroupait majoritairement une population de prolétaires et d'esclaves exprimant par leur adhésion une opposition irréductible à la Société romaine.
     Le culte chrétien mettait en oeuvre une très forte espérance eschatologique aux racines psycho-sociologiques profondes, nourrissant une certitude de victoire définitive sur les propriétaires romains, certitude d'autant plus forte que cette vision des temps futurs de parfait bonheur, ces lendemains enchanteurs rêvés, compensait une situation concrête plus misérable, désespérante.

     Ce Sauveur campait donc un guerrier victorieux, idéalisant l'image de Spartacus adoré de son vivant comme un impérator divin, et enlevé du champ de sa dernière bataille dans un char conduit par sa compagne, la prophétesse de Sabazius, divinité thrace confondue avec Dionysos. L'attente de son retour triomphal était sans cesse vivifiée par les manifestations orales, hallucinées, des apôtres itinérants, visitant,à la suite de Chrestus, groupe après groupe, pour propager l'espérance chrétienne d'une nouvelle vie, permettant de supporter les infamies de l'existence présente. Bien vite, on se persuada que pour vaincre les Romains oppresseurs, le Sauveur chrétien devait dominer leurs dieux; progressivement, de thérapeute il devint finalement le dieu chrétien de la Fécondité. Il connaissait d'autant mieux les besoins de ses fidèles, qu'autrefois, dans un passé indéterminé, il s'était fait esclave, souffrant comme un esclave d'une situation totalement inhumaine, dont il garantissait la fin, la transformation en un triomphe définitif sur les propriétaires romains.

     La traduction, la lecture et les commentaires de la Septante par les fonctionnaires-esclaves "lettrés" permirent aux communautés:
         - d'une part, d'inclure dans leur système de pensée une cosmogonie, issue de la Genèse; la création consistait selon eux à faire naître quelque chose ou quelqu'un du néant. Ces "lettrés" ne savaient pas que de rien, rien ne vient; ils n'avaient pas lu les Satires de Perse, mort dans la première partie du premier siècle de notre ère.
         - d'autre part, de découvrir dans la Septante la description d'événements intervenant comme des promesses des actes de leur Sauveur.

     Ces lectures et commentaires variaient avec chaque lecteur, d'où l'éclosion rapide, dans la deuxième partie du deuxième siècle de notre ère, d'un sectarisme ravageur, terreau d'une orthodoxie redoutable, qui devint la loi du nombre et non de la raison, mais aussi une cause constante de troubles de l'ordre public. Après les marcionites, les montanistes, les gnostiques égyptiens et autres hérétiques, ces antagonismes intercommunautaires dressèrent au IIIème siècle, Etienne, évêque de Rome, contre Cyprien, Pape de Carthage, Firminien de Cappadoce, et d'autres évêques espagnols. A Carthage même, les "purs", les fidèles de Donat, excommuniaient les membres des autres communautés de la ville; en 313, ils contestèrent violemment l'élection de Cécilien au siège épiscopal. La confusion grandissait à la fin de ce IIIème siècle qui avait vu croître, dans les villes, le nombre des collegia admis à pratiquer leur culte privé, sous le regard d'une administration impériale dont l'évêque-surveillant de chaque association était l'intermédiaire.
      Qu'était donc la sociologie chrétienne au tournant des IIIème et IVème siècle? Un conglomérat d'associations n'ayant en commun que le nom, des rites et des livres. Fréquemment opposées entre elles sur des points de "doctrine", elles signifiaient par là que leur concept d'un dieu, trinitaire, n'avait pas une origine divine mais simplement humaine. Ce dieu conceptualisé reflètait les divergences des lectures de la Septante.
      Le pire vint avec la dispute arienne relative à la nature du Fils de Dieu, assimilé au Logos, et qu'un prêtre d'Alexandrie nommé Arius (environ 260 -337) désignait comme une créature tirée du néant. Cette dispute, alimentée par le caractère intransigeant des adversaires, notamment Arius, Alexandre, évêque d'Alexandrie, Athanase son successeur, sinon leur entêtement, provoqua en Orient, au-delà d'Alexandrie, de véritables troubles; ceux-ci provoquèrent inévitablement les réponses appropriées des Autorités impériales.
     La querelle couvait depuis la fin du IIIème siècle, ce fut vraisemblablement une des raisons qui poussèrent Dioclétien, siègeant à Nicomédie, à décréter la destruction des livres "sacrés" des Chrétiens, puisque ceux-ci trouvaient en ceux-là les occasions de s'entre-déchirer en violant fréquemment cet ordre public, dont le maintien constituait une des préoccupations majeures de l'Empereur.
     La persécution-censure de Dioclétien dura, en Orient, par vagues successives, de 303 à 324. Elle marqua si fortement les esprits qu'en 525, du temps de Denys le Petit, on parlait encore à Alexandrie de l'ère historique de Dioclétien comme de "l'ère des martyrs". Nul doute qu'en Orient et Occident les mesures décrétées par Dioclétien entraînèrent la destruction totale des bibliothèques chrétiennes, au moins dans les agglomérations importantes. On cite le cas contraire, pratiquement unique, d'Abthugni, modeste bourgade au Sud Ouest de Carthage, où une complicité de fait entre Chrétiens et Autorités locales évita aux premiers d'avoir à trahir leur foi (2). A contrario, la destruction de la bibliothèque de l'Eglise de Rome, répartie sans doute en plusieurs locaux, est attestée par un ouvrage "Aux origines du christianisme" (3).
     Rien n'est plus marquant à cet égard qu'une étude, publiée en 1985, sur les plus anciens manuscrits de la Bible latine (4). L'auteur nous rappelle qu'à Cirta, l'actuelle Constantine, la perquisition opérée le 19 Mai 303 a permis de saisir 34 livres; il ajoute, en terme de comparaison, qu'en 471 l'église de Tivoli, localité pratiquement équivalente à Cirta, possèdait seulement 4 évangiles, un livre des " Actes d'Apôtres" et un Psautier. Globalement, 1'auteur décompte 93 manuscrits sur parchemin qui constituent les plus anciens manuscrits de la Bible latine; aucun n'est antérieur à la persécution de Dioclétien. Pratiquement, tous datent du Vème ou VIème siècle; 3 chevauchent la fin du IVème et le début du Vème siècle; un seul appartient au IVème siècle. La première Bible complète, dont nous n'avons que des fragments, est espagnole et du VIIème siècle. Le premier Nouveau Testament complet est constitué par le Codex Fuldensis, de 546 -547.
     La Septante a certainement été retraduite à partir de 313 au plus tard; il faut imaginer que tous les manuscrits ont été tracés sur du papyrus, fragile, comme support. Les généreuses subventions de Constantin aux diverses communautés reconstituées ont été utilisées à d'autres fins qu'à des achats de parchemin. Avait-on si peu de considération pour les textes "divins"?
      En tout état de cause, Victor, évêque de Capoue, à qui nous devons le premier Nouveau Testament complet, daté de 546 547, apparaît dans ce travail comme un correcteur, correcteur d'orthographe, mais surtout correcteur du texte des épitres pauliniennes par l'utilisation d'un manuscrit qui lui paraissait être un original. Il nous introduit dans le monde "des hommes du livre" : scribes, réviseurs, lecteurs, libraires... , de la fin de l'Antiquité Tardive et des débuts du Haut Moyen-Age. Le sens des écritures "sacrées" semblait souvent obscur aux plus instruits; la nécessité d'explications en face du texte laissait pressentir l'irruption de la glossa ordinaria, à la fin du XIIème siècle. Déjà, une partie de ces explications passait dans le texte du temps même de Jérôme (347- 420). Chaque copiste s'évertuait, certes, à la vigilance, mais que pouvait-il contre la pénibilité et la lenteur de l'acte d'écrire? (il fallait introduire l'encre dans le parchemin; on écrivait avec 3 doigts mais tout le corps travaillait ); que pouvait-il contre la fatigue, la somnolence, le désintéret, le froid du scriptorium, l'engourdissement de ses doigts, ou leurs déformations qui empêchaient l'exécution correcte des lettres?.
     Par ailleurs, chaque lecteur devenait, à voix haute, malgré lui, un réviseur; il lisait ce qu'il croyait voir, puisque chaque perception est une interprétation. Déjà, donc, un texte "sacré" ou non, variait pratiquement à chaque copie. Jérôme accusait Rufin d'Aquilée de fausser les écrits d'Eusèbe de Césarée, ses réflexions ne faisant qu'anticiper, à sa manière, les travaux de nos contemporains sur la variabilité continuelle d'un texte avant l'invention de l'imprimerie.
      La persécution de Dioclétien avait ,certes, d'autres raisons que les troubles de l'ordre public causés par des querelles chrétiennes. La plus importante se fondait sur l'opposition absolue des communautés chrétiennes au culte de l'Empereur qui cimentait l'unité de l'Empire. On craignait aussi une contagion chrétienne dans l'armée, car deux soldats s'étaient rebellés au nom de leur foi et avaient subi le châtiment extrême réservé à ces cas d'indiscipline majeure. Aussi bien, la destruction fut particulièrement étendue à tous les biens communautaires; outre les livres "divins", les objets du culte, les autels, les immeubles, voire les stocks des biens à répartir entre les plus pauvres furent saisis, abattus, brûlés. Par contre, il y eut peu de martyrs véritables; comme lors des persécutions précédentes, les foules abjurèrent les croyances chrétiennes et sacrifièrent devant les effigies de l'Empereur; l'impératif était de vivre. Dans ce contexte généralisé de menaces mortelles et de destructions massives, la bienveillance relative de Constantin fit de ce dernier le Sauveur espéré des Chrétiens.

2       Constantin, l'homme divin de l'Empire

      Constantin prit en 307 le titre de Pontifex Maximus, charge exercée par Jules César et chaque Empereur après ce dernier. Les Pontifes constituaient le collège de prêtres le plus important (5); leur groupement compta jusqu'à seize membres sous Jules César. Ils incarnaient la tradition religieuse et organisaient le culte public; ils fixaient les jours fastes et néfastes, ainsi que le calendrier des fêtes; ils gardaient aussi les archives des principaux événements de l'année. Le nom de pontifes donné à ces prêtres tenait, selon Varron le plus instruit des Romains d'après Cicéron, au travail de reconstruction en bois du pont Sublicius, le seul pont de Rome pendant plusieurs siècles, travail ponctué de rites religieux. Le Chef du collège, ou Pontifex Maximus, contrôlait l'ensemble de la religion publique et prenait le pas, en ce domaine, sur le "Rex Sacrorum".
      Comme le pont Sublicius fut emporté par une violente crue du Tibre en l'an 69 de notre ère, le maintien de l'appellation dans la titulature impériale engendra une allégorisation, conforme à la théologie royale décrite dans 1" "Hermes Trismégiste" à la fin du IIème siècle (6). Le prince, roi ou empereur, était définitivement d'origine divine; "dernier des dieux et premier des hommes", il s'établissait comme le grand intermédiaire, comme le grand pont, entre la divinité et la population de son royaume. Dans l'Empire romain, nul ne pouvait douter de la sacralité de l'Empereur, célébré comme un dieu, divus, après sa mort par le Sénat.
      Constantin pour sa part condensait à son époque, par son titre de Pontifex Maximus, toute la sacralité de la religion publique romaine, manifestant ainsi son origine céleste. La preuve certaine en résidait dans les visions "divines" annonciatrices de victoires, qu'il avait reçues au moins en deux occasions:
          - la première fut une vision d'Apollon en 309, qui lui valut de remporter une importante bataille en Gaule.
          - la deuxième, consista,selon Eusèbe de Césarée, dans la vision du chrisme qu'il arbora sur ses étendards au pont Milvius le 28 Octobre 312.
       Ce sigle permit à ses troupes de rester groupées dans une bataille à l'issue fort douteuse, où s'affrontèrent Romains contre Romains, habillés et armés de la même manière, les adversaires se distinguant difficilement les uns des autres. Le chrisme, en signe de ralliement, permit aux troupes constantiniennes de maintenir leur front, de rester soudées, et de remporter une victoire décisive, à la suite de laquelle l'Auguste Constantin se nomma Empereur d'Occident.
      Déjà en 272, l'Empereur Aurélien (270 275) dans sa campagne contre Zénobie, reine de Palmyre, avait été gratifié dans son sommeil d'une vision du dieu d'Emèse en Syrie, le Sol invictus, autrefois célèbré par Héliogabal (218 -222). Il avait obtenu grâce aux renseignements divins de battre Zénobie et de redonner à l'Empire son Unité et grandeur anciennes.
       Nul, donc, ne pouvait mettre en doute l'appui divin dont bénéficiait Constantin, cet appui témoignant, assurément, de son origine céleste. Un seul compétiteur se déclara son égal, en tout : Licinius. Mais il ne suffisait pas à ce dernier d'orner ses bannières du chrisme constantinien pour gagner les batailles et prétendre ainsi à une ascendance "sacrée". La guerre dura 10 ans entre les deux postulants au titre suprême de seul Empereur des Romains. La loi des armes intervint comme une ordalie, un jugement de Dieu, et fit triompher Constantin en 324, en attestant devant tous son origine divine.
      Le chrisme proclamait non seulement cette origine, mais, bien plus, l'exclusivité de celle-ci. Par ses monnaies, ses médailles, ses bannières, Constantin était déclaré, en effet, 0 Christos, c'est-à-dire le seul béni de Dieu, l'unique représentant d'une divinité qu'il devait faire déclarer unique par le Concile de Nicée en 325.
       Auparavant, celà aurait semblé totalement impossible que des Chrétiens en viennent à vénérer en la personne d'un Empereur le représentant unique du Dieu unique, qui concurrençait leur Sauveur.Constantin, depuis 307, et surtout après 313, avait pu non seulement faire cesser les persécutions dans son royaume, mais combler de généreuses subventions les communautés chrétiennes reconstituées dans les villes; il s'était acquis par sa générosité politique l'attachement des fonctionnaires-esclaves "lettrés", qui exerçaient une si forte influence sur les masses serviles et prolétariennes urbaines. En rétablissant les lieux de réunions des Chrétiens, en dotant les basiliques et collégiales d'un riche patrimoine, en autorisant enfin un culte public et officiel de la nouvelle religion, Constantin était devenu son fondateur véritable, le Christ-Dieu des Chrétiens.
      Loin de contester sa divinité, les évêques chrétiens devinrent ses sujets fidèles et empressés, soumettant leurs querelles "doctrinales" à l'arbitrage final de l'Empereur-Dieu. Un siècle plus tard, les esclaves chrétiens apprendront que leur état de servitude manifestait une grâce providentielle (7).


3       Constantin, Chef de l'Eglise catholique

      A l'évidence, aucun évêque chrétien n'osa contester la divinité de Constantin, et lui opposer sa croyance en un autre Sauveur. Trop englués dans leurs querelles "doctrinales", animés d'un esprit sectaire qui les dressait souvent les uns contre les autres, prêts à tous les faux pour discréditer l'adversaire, ces évêques recevaient avec béatitude les dons de l'Empereur, non seulement le don de la vie par l'arrêt des persécutions, mais aussi des compensations pécuniaires importantes aux dommages subis antérieurement, des immeubles, des terres patrimoniales, la reconnaissance officielle de leur culte.
      Bref, ils passaient sans transition du stade d'associations étroitement surveillées,c'est-à-dire suspectes, agglomérées en un mouvement potentiellement dangereux pour l'ordre public, à celui d'une Eglise unitaire sinon unique, sous la direction effective de Constantin. Cette Eglise devint un objet de la politique de l'Empereur, qui la regarda: "comme un élément fondamental de son projet de gouvernement" (8).
      Constantin n'avait qu'un seul but, une seule passion: le Pouvoir; c'est-à-dire l'unification de l'Empire de plus en plus étroite par le culte de plus en plus répandu de sa personne. Possèdant à la fois une autorité temporelle et une autorité spirituelle sans égales, il fonda véritablement le Césaro-papisme; il statufia en lui-même le modèle futur du Pape romain, qui ne se réclamera jamais ni de l'Ecriture "sacrée" chrétienne, ni de la Tradition apostolique pour asseoir son Pouvoir, mais uniquement d'un héritage, supposé, de Constantin.
       Nous n'avons pas à nous étendre sur l'activité des évêques chrétiens habituels usagers de la poste impériale, devenus des agents de propagande du culte constantinien. Nous retiendrons de l'exercice du Pouvoir temporel trois faits majeurs établis par des constructions "sacrées" :
           -A Constantinople, nouvelle capitale de l'Empire, d'une part l'édification, au centre- ville, d'une statue monumentale sur un pylône de pierres rouges représentant Constantin en divinité solaire illuminant de ses rayons la totalité de l'Empire; d'autre part la construction de son mausolée dit Eglise des Saints Apôtres, où son sarcophage allait trôner au centre de l'édifice, tel le Soleil éclairant tout le Zodiaque symbolisé par 12 faux sarcophages tenant place des 12 divinités zodiacales. Ces constructions témoignaient assurément de la vénération, voire adoration, que la population de l'Empire portait à l'Empereur, et en  même temps de la conscience que celui-ci possèdait de sa propre divinité.
           -A Rome, l'ancienne et glorieuse capitale, l'édification de la grandiose basilique chrétienne du Vatican, commencée vraisemblablement en 322 et terminée en 349 sous Constant, fils de Constantin. Cette église majeure reçut des reliques dites de Pierre, le premier des Apôtres selon la Tradition, et devint dès après l'achèvement des travaux un lieu de pélerinages très fréquenté (9). La basilique vaticane était située hors des Murs d'Aurélien, sur l'emplacement d'un cimetière et du temple de Cybèle et d'Attis; les prêtres du culte métroaque y vaticinaient. La vie de Pierre relève principalement du "Liber pontificalis" hagiographie tardive qui ne possède aucun caractère historique fondé. Le Vatican devait devenir plus tard le centre du Christianisme romain.
            -A Jérusalem, la construction d'une basilique à l'emplacement du temple d'Aphrodite élevé par Hadrien en 135 à Aelia Capitolina. Par celle-ci, Constantin officialisait l'appropriation chrétienne de la Septante, selon le principe: "Je suis leur chef, il faut que je les suive"; il créait virtuellement les Lieux Saints chrétiens en permettant aux futurs évangélistes, copistes, correcteurs, glossateurs etc... , de situer en Galilée la vie terrestre de leur Sauveur.

     En définitive, Constantin, par ses principales actions de bâtisseur, créa pour une durée indéterminée la géographie religieuse du Christianisme catholique étendu à l'Empire dans sa totalité.
       Mais son action dans le domaine doctrinal et "spirituel" fut encore bien plus décisive.
      Il fut incontestablement le Chef des chrétiens; chaque évêque reconnut son autorité et chaque Concile se tint sous sa direction effective:
          - d'abord, le Concile d'Arles en 314 réuni pour tenter, en vain, de mettre fin au schisme donatiste;
          - ensuite, le Concile oecuménique de Nicée, rassemblant 318 pères venus de tous les horizons de l'Empire pour résoudre la question arienne et définir la doctrine unique d'une Eglise Unique,Catholique et Apostolique, doctrine condensée en un "Credo" récité encore par les Chrétiens d'aujourd'hui.
        Ce Concile,réuni au palais impérial de Nicée le 20 Mai 325, dura plusieurs semaines et se termina vraisemblablement le 19 Juin (ou 25 Juillet). Non seulement Constantin présida la séance inaugurale, mais aussi tous les débats relatifs à des questions doctrinales; les autres sessions se placèrent sous la direction d'Ossius de Cordoue, son homme de confiance.
        Les décisions du Concile furent diffusées par une lettre de Constantin, dans laquelle il exprimait sa joie: "pour l'unité retrouvée de la foi" (10). Les décrets du Concile reçurent force de loi d'Etat. Ainsi s'établissait le Régime de "Chrétienté" avec son interpénétration toujours plus étroite de l'Eglise et de l'Etat (10) L'Eglise devenait l'Administration religieuse de l'Empire; catholique, puisque son action s'exerçait sur toute l'étendue du territoire romain; apostolique,puisqu'elle prétendait à un lien direct avec son Sauveur autrefois incarné. L'Eglise était une organisation de langue grecque ayant sa capitale à Constantinople,et non plus à Rome; les Actes du Concile de Nicée furent traduits du grec en latin avec deux siècles de retard, en 525 environ par Denys le Petit. En tant qu'Administration impériale, l'Eglise n'agissait que pour le bien de l'Empire, c'est-à-dire le renforcement de son unité autour de la personne de Constantin, dont elle propageait le culte.

     Il s'instituait donc une religion du Pouvoir servie par les Chrétiens, qui identifiaient totalement leur Sauveur avec Constantin-Christ, suivant la doctrine exprimée par le "Credo" nicéen. Cette doctrine établissait, d'emblée, l'unicité de Dieu, ce qui constitua à l'époque une véritable révolution politico-religieuse.L'Empereur Auguste, en son temps, se réclamait d'une origine vénusienne en tant que membre de la famille des Julii, mais aussi d'une ascendance directe apollinienne par sa mère Attia. Cependant, d'autres Romains pouvaient, en même temps, se prévaloir d'une autre origine "divine" : Mars, Hercule, Nérée, Aphrodite etc... Auguste, quoique d'origine "sacrée" et Pontifex Maximus, n'était pas le seul descendant "divin", et sa sacralité n'était confirmée qu'éventuellement par le Sénat romain, après sa mort. L'unicité du dieu nicéen effaçait d'un coup toutes les divinités antérieurement adorées pour ne laisser subsister que le Dieu-Père de Constantin, qui sur terre, en tant qu'Empereur, constituait son seul Christ. Plus précisément, Constantin, statufié en dieu vivant, représentait la nouvelle incarnation du Fils Unique du Père Unique, après une première vie terrestre en un temps indéterminé; venu pour sauver les Chrétiens des menaces mortelles de Dioclétien et les établir en un état de paix et de bonheur, comblés de richesses, triomphant de leurs oppresseurs par l'officialisation de leur culte chrétien, et une prochaine "révolution culturelle". Dans sa première vie terrestre, le Sauveur chrétien, vivant en Palestine selon les indications de la Septante, répondait au nom de Jésus; celui de Seigneur Jésus- Christ signalait clairement l'identification de ce Sauveur et de Constantin.

     De fait, après Constantin, aucun Empereur à Constantinople ne se verra "divinisé" de son vivant; bien plus, à partir de Justinien (527 -565), certains documents officiels firent apparaître le visage du Christ en image clipéata entre le portrait de l'Empereur et celui de l'Impératrice. L'Empereur sera déclaré "Ami très cher du Christ"; le Christ sera désormais l'hypostase céleste de Constantin et sera salué comme "Empereur céleste et Seigneur de Majesté" par le dernier Concile oecuménique tenu à Constantinople en 869.

4      L'Eglise romaine. après la dynastie constantinienne (364 -754)

     Certes, outre la condamnation d'Arius, la doctrine nicéenne fit l'objet de discussions et de transactions. Concernant la première incarnation du Sauveur, les 318 pères furent dans l'impossibilité de dire où et quand Il s'était fait homme, où et comment Il avait souffert, où et comment Il était mort. Cette mort n'était même pas mentionnée, mais sa résurrection, au troisième jour, rappelait trop visiblement la résurrection d'Attis (Papa), célébrée chaque année le 25 Mars après trois jours de deuil, depuis environ six siècles à Rome et dans l'Empire, pour ne pas remarquer une influence exercée par l'ancienne et glorieuse capitale.
     Enorgueillie par une domination multiséculaire du Bassin méditerranéen, allant même très au-delà, l'Urbs ne s'était pas encore convaincue de sa situation de ville-musée; évincée en Occident, depuis le début du IVème siècle, par Milan pour des raisons de stratégie dans la lutte contre les Barbares; bientôt dépassée par la richesse de la nouvelle capitale impériale: Constantinople. Rome redeviendra capitale d'un modeste Etat, l'Etat Pontifical, à sa création par Etienne II, quatre siècles et demi plus tard. Cette ville-musée sera pillée, saccagée, détruite pour partie, plusieurs fois au cours des Vème et VIème siècle, notamment du fait des armées des Wisigoths, Vandales, Ostrogoths, tous chrétiens, mais ariens, évangélisés après Nicée par un évêque nommé Wulfila, chassé par les Chrétiens orthodoxes, réfugié dans les régions lointaines occupées par ces Barbares.
     Il fallut donc 450 ans pour que l'Evêque de Rome, primus inter pares, puisse imposer, à travers des événements tragiques, sa prééminence à tous les évêques italiens, et progressivement, au-delà, aux évêques de la Gaule, de la Bretagne, de l'Allemagne et de l'Espagne non musulmane; à une Europe occidentale, reste très appauvri de l'immense Empire romain, dont l'Eglise chrétienne constantinienne, dite catholique, avait été l'agent unificateur. Catholique, elle ne le sera plus jamais; cet adjectif traditionnellement accolé à son nom manifestera une volonté de puissance toujours active, et dangereuse.
      L'histoire de l'institution de la prééminence romaine fut concrétisée principalement par trois évêques: Ambroise, Léon 1er., Grégoire 1er. dit le Grand. Mais avant d'évoquer l'action de ces trois personnages, il convient de caractériser la pratique religieuse chrétienne de ces quatre siècles et demi.
     Cette pratique fut d'abord, au nom du nouveau Dieu unique, hypostase céleste de l'Empereur Constantin, la persécution meurtrière des gréco-romains attachés encore à leurs cultes ancestraux, qui les détournaient momentanément du culte impérial. Certes, l'Evêque de Rome, ni aucun autre évêque en Occident, n'eut à sa disposition comme le Patriarche d'Alexandrie une armée d'envlron 70.000 cénobites ou moines, terrés habituellement dans les déserts égyptiens,mais prêts à se lancer sur ordre du Patriarche contre les temples "païens", et à martyriser nobles ou citoyens ordinaires perdus dans leurs habitudes ancestrales.
Cette "révolution culturelle", en Occident et en Orient, fut beaucoup plus importante et sanglante que les trois "grandes" (?) persécutions anti-chrétiennesde Dèce, Valérien et Dioclétien.
      L'assassinat d'Hypatie en 415, à Alexandrie, condensa l'horreur de cette manifestation de la foi chrétienne éclairée des feux d'incendies de bibliothèques ou d' habitations, ponctuée de meurtres encouragés par les évêques, quelques Pères de l'Eglise. Ces débordements sans nom entraînèrent un obscurcissement des esprits, une haine de la raison, à tel point que la célèbre Académie d'Athènes, fondée par Platon au IVème siècle avant notre ère, fut fermée par Justinien en 529; les philosophes néo-platoniciens durent se réfugier en Perse pour rester en vie. Le christianisme se montrait dans la nudité de la religion du Pouvoir,balayant tout ce qui pouvait entraver l'exercice entier de celui-ci. Dieu était à son origine, tout Pouvoir venait de lui, chaque Chrétien gagnait son Ciel en obéissant fidèlement à ses Maîtres, y compris les évêques et prêtres que Dieu avait investis de son autorité suprême.
     Cette folie augmentait les terreurs provoquées par les raids sanglants des barbares gothiques, les guerres de reconquête italienne de Justinien après la disparition de l'Empire occidental, les coups portés par les Lombards à partir de 568 ...etc..
     Qui savait à qui se fier? Les pratiques religieuses chrétiennes marquèrent en compensation le triomphe de la superstition, incarné dans le commerce des reliques de martyrs, et celui des reliques de la "vraie Croix", rapportée par la légende, tout à fait faussement, à la mère de Constantin, l'Impératrice Hélène. Cette "vraie Croix", détaillée à prix d'or, que personne n'avait jamais vue, inventée par des moines falsificateurs abusant outrageusement de la crédulité publique, possèdait le pouvoir miraculeux de se renouveler d'elle-même, après chaque prélèvement. Les orfèvres créèrent les reliquaires les plus surchargés d'or et de pierreries pour abriter un copeau de cette croix, premier élément du "trésor" des églises, abbayes et chapelles où l'on conservait aussi, suivant les circonstances, outre les os de martyrs ou des Rois Mages, le prépuce de Jésus Christ, son cordon ombilical, la cire de la chandelle allumée à sa naissance, un peu d'eau du Jourdain utilisée pour son baptême... !
     Les peurs des foules, leur besoin d'une sécurité d'autant plus forte que ces peurs étaient plus vives, les "fidélisaient" toujours davantage, et les conduisaient en troupeaux moutonniers non seulement dans les églises pour l'exercice de leurs rites cultuels, mais dans la vie quotidienne placée par la magie de la confession sous le regard curieux et avide des prêtres. Ceux-ci disposaient du pouvoir fabuleux d'obliger leur Dieu, le "tout puissant", à pardonner à ses enfants adoptifs leurs manquements graves ou légers à Ses commandements lus et commentés par son clergé. La religion chrétienne augmentait les besoins de sécurité du peuple, et, simultanément, apportait les remèdes à ses détresses, fabriquait les barrières par lesquelles elle règlementait le cours de la vie de chacun, pour le plus grand bien matériel des institutions ecclésiales; celles-ci capitalisaient une part importante de la richesse de l'Occident, en contre-partie de leurs prières. L'Eglise chrétienne occidentale possèdait de fait, à l'époque, un pouvoir totalitaire et théocratique, dont la seule justification résidait dans les réponses apportées par l'institution aux peurs innées des hommes, à leurs désespoirs, à la crainte perpétuelle de perdre la vie.
     C'est dans ce contexte général psycho-sociologique qu'il convient d'examiner l'action déterminante des trois évêques précités:Ambroise, Léon Ier. et Grégoire Ier. dit" le Grand".

            Ambroise (339 -397)
     Ambroise (Ambrosios, le divin) fut en son temps un être d'exception. Il était né dans une famille clarissime, très ancienne, de la noblesse sénatoriale romaine, les Aurelii, liée aux castes les plus importantes. Il était petit, chétif, maladif, ce qui l'obligea,dans son orgueil d'aristocrate, à surmonter ces handicaps par une formation intellectuelle rarement aussi complète; sa volonté de domination, son appétit de popularité se manifestaient dans son regard et sa voix, qui lui confèraient une autorité d'autant plus respectée qu'il était malingre.
     Gouverneur de l'Italie du Nord à 30 ans, chrétien disait-on, mais non baptisé, il fut confronté à Milan, son chef- lieu, mais aussi capitale de l'Empire occidental, aux désordres causés encore par la querelle arienne malgré le Concile de Nicée; à l'occasion du remplacement d'Auxence, évêque décédé de la ville, qui avait été arien. Après des péripéties multiples, Ambroise fut proclamé par le peuple, subjugué par sa maîtrise, évêque de Milan; l'élection fut confirmée par la Commission épiscopale, seule compétente, et officialisée après le baptême de l'intéressé, le 1er. Décembre 373. Ambroise s'imposa rapidement comme le représentant des églises italiennes et devint l'évêque de la Cour impériale, un conseiller particulièrement influent du fait de sa culture et de son autorité inconstestée. Ses antécédents familiaux, son orgueil de caste, son éducation le poussaient à considérer comme des "parvenus" ces Empereurs d'Occident et d'Orient, bien que généraux habiles, favorisés de la Victoire.
     La mort de Valentinien 1er. en 375, lui donna la possibilité d'exercer sur son fils et successeur, Gratien, un adolescent, une influence considérable, par laquelle il obtint de lui en 382 l'abandon du titre de Pontifex Maximus, c'est-à-dire la désacralisation de l'Empereur. Ambroise eut l'habileté de ne pas reprendre le titre lui-même, mais il plaçait directement Gratien sous sa direction; celà constituait une manière de rappel à l'ordre: dans l'Empire romain, la suprématie appartenait toujours, non pas aux militaires "parvenus", mais aux membres des anciennes familles nobles sénatoriales.
     Cette sorte de revanche sur le destin se renouvela avec Théodose 1er.(379-395), que Gratien avait nommé Empereur d'Orient en 379, après la mort de son oncle Valens dans la déroute d'Andrinople en 378. Théodose était un général non seulement victorieux, mais dont l'autorité à Constantinople n'était pas contestée. Durant ses séjours à Milan, Théodose resta généralement sourd aux instances d'Ambroise, qui se drapait dans les vêtements du "prophète" de Dieu, menaçant
de s'adresser à l'Empereur, non pas dans son palais, mais en public dans l'église. Toutefois, son impérieuse passion de domination, l'envie de plier à sa volonté le Maître du Monde, le poussèrent à commettre des imprudences, à manifester une maladroite intransigeance, qui lui fermèrent l'accès à l'amitié de Théodose.
Il fallut l'affaire du génocide de Thessalonique en 390 pour obliger l'Empereur, revenu à Milan, à faire publiquement pénitence aux fêtes de Noël, à s'agenouiller en public devant Ambroise, et reconnaître ainsi que la loi "divine" dictée par l'évêque s'appliquait à chacun, fut-il le Maître de l'Empire.
      Cette deuxième victoire d'Ambroise préfigurait clairement les exigences de Grégoire VII à Canossa, en 1077, se présentant comme le seul vicaire du Christ, désigné pour nommer princes, rois et empereurs, du fait de son autorité "sacrée" et de son infaillibilité. Quelques auteurs ont vu dans Ambroise le premier théoricien du Saint Empire romain; Grégoire VII, fréquemment, a invoqué l'exemple de l'ancien évêque de Milan.


            Léon 1er
     Nous avons déjà consacré à Léon 1er, évêque de Rome de 440 à 461, quelques développements à propos de la date de Pâques, et de la romanisation du temps chrétien. Il nous faut insister sur le fait que Léon 1er. fut, certes, le Chef véritable de la Ville à laquelle il épargna une invasion des Huns en 453; mais surtout, le premier évêque à s'intituler Pontifex Maximus, titre impérial abandonné par Gratien en 382. Ce titre ne fut jamais réclamé par un autre évêque; Léon 1er. avait obtenu une déclaration formelle de la suprématie de Rome à l'encontre de Constantinople et de ce fait à l'encontre d'Antioche, Jérusalem, Alexandrie, sièges de Patriarcats. L'Urbs, avait-il démontré, l'Urbs, ville chrétienne, était la première et glorieuse capitale de l'Empire et devait son existence de ville chrétienne non seulement aux reliques de Pierre, Paul et autres martyrs, mais d'abord aux héros mythiques Romulus et Remus, sans lesquels elle ne serait pas. C'est Léon 1er. qui, par son attitude de très grande fermeté, et son souci de conserver un passé glorieux, contribua, plus que Denys le Petit au siècle suivant, à fonder la chrétienté de la Ville dans l'illustre passé romain, transformant l'Histoire du christianisme en un chapitre de l'Histoire romaine. A partir donc de Léon 1er., Rome devint la capitale de la chrétienté occidentale et son Evêque succèda aux "divins" Empereurs du temps jadis dans le rôle d'intermédiaire entre le Dieu unique, origine du pouvoir, et son peuple élu.
            Grégoire le Grand
     Grégoire fut évêque de Rome de 590 à 604. Mgr. Duchesne lui consacra les ultima verba de son "Eglise au VIème siècle" pour saluer "son éclatante vertu, sa rare intelligence, son profond bon sens" (11). Comme Ambroise, auquel Grégoire fait beaucoup penser, il était issu d'une famille noble romaine, très riche, et qui avait, dit-on, déjà fourni un évêque à Rome. Comme Ambroise, il faisait carrière dans la haute Administration impériale, et campait un jeune Préfet de la Ville très remarqué. La mort de son père, Gordien, le plongea dans une grande détresse morale et le conduisit à se consacrer entièrement au service divin en se retirant du monde. Grégoire donna ses domaines en Sicile pour y fonder six monastères; il en créa un septième à Rome en s'enfermant dans sa maison avec quelques compagnons. Tant de renoncement devait attirer sur lui l'attention de son évêque. .Pélage II (579 -590), auquel il succèda, l'envoya à Constantinople en qualité d'apocrisaire pour représenter le Siège romain.
     Dans l'exercice de ses fonctions épiscopales, à la plus haute charge religieuse dans tout l'Occident, Grégoire connut des débuts prometteurs avec la conversion de l'arianisme de Recarède, roi des Wisigoths, à Tolède en 587; conversion connue à Rome en 591. En outre, les rois mérovingiens en Gaule dotaient richement les églises,..... etc...
     En tant qu' Evêque de Rome, Grégoire, comme tout évêque de la Ville depuis la fin du Vème siècle, était responsable de l'Administration municipale et son Trésorier. Il participa avec les généraux à la défense de la Ville contre les Lombards et signa une trêve avec ceux-ci en 595. Pour faire face à ces diverses activités civiles, le Siège épiscopal de Rome disposait alors de revenus importants provenant d'un patrimoine très étendu, en Sicile, Sardaigne, Afrique du Nord, et même en Gaule.
     Outre sa gestion rigoureuse des patrimoines de son évèché, deux faits principaux caractérisèrent l'action de Grégoire:

         - Il fit siennes les prétentions antérieures de Léon 1er. à une primauté sans conteste de Rome, une primauté d'honneur à l'encontre notamment du Patriarche de Constantinople, qui voulait être nommé, par l'Empereur d'Orient, Patriarche oecuménique.
         - Grégoire se désigna comme le "Consul de Dieu".Ce titre s'ajouta à celui de Pontifex Maximus accaparé par Léon 1er; il confirmait le droit de regard de Rome sur toutes les Eglises d'Occident, mais bien plus, il théorisait le "gouvernement universel des âmes", que tout Pape romain, après le schisme de 1054, voulut réaliser.


           Bibliographie
(1) Cf. "Dictionnaire historique de la Papauté" sous la direction de Ph. Levillain chez Fayard -Paris.           retour
           Article "Les Etats pontificaux" page 628.
(2) Cf. F.Decret "Le christianisme en Afrique du Nord ancienne"  Editeur : Le Seuil Paris                            retour
(3) Cf. Mme Luce Pietri "La persécution sous Dioclétien" in "Aux origines du christianisme" -Page 462 
            Textes présentés par P.Geoltrain chez Folio Histoire -Paris                                                             retour
(4) Cf. Collection B.T.T. 2 - "Le Monde latin antique et la Bible" P.Petitmengin "Les plus anciens manuscrits de la Bible latine"
           Chez Beauchesne -Paris Pages 89 à 127.                                                               retour
(5) Cf. "Dictionnaire de l'Antiquité" -Université d'Oxford Editeur Robert Laffont -Paris
            Article Pontifex -Page 800                                                                                    retour
(6) Cf. A.J.Festugière "La révélation d'Hermès Trismégiste" Editeur Les Belles Lettres - Paris - Tome l -Pages 324 et suivantes             retour
(7) Cf. G.Alberigo "Les Conciles oecuméniques" - Editeur Le Cerf - Paris Tome l - L'Histoire - Page 23
           "Le Pontifex Maximus sera l'image du souverain qui passera dans le christianisme"                             retour
(8) Cf. G.Alberigo -"Les Conciles oecuméniques" - Editeur Le Cerf - Paris - Tome l - "L'Histoire" - Page 21                 retour
(9) Cf. J.Carcopino  "Etudes d'histoire chrétienne" - chez Albin Michel - Paris "Les fouilles de Saint-Pierre" - Pages 97 à 247.
           En ce qui concerne le chrisme, lire avec réserve pages 190 et 191. Carcopino dans ses " Etudes " est souvent victime de ses coyances; il reconnait bien les faux mais juge comme s'ils étaient vrais.                                                       retour
(10) Cf. G.Alberigo "Les Conciles oecuméniques" - Editeur Le Cerf - Paris "L'histoire" - Tome l - Pages 19 à 49                  retour
(11) Cf. Duchesne - "L'Eglise au VIème siècle" - Editeur de Boccard - Paris              retour

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