La montée au calvaire de J BOSCH

L'ENIGME DE JESUS
Lettre au journal " Le Monde " suite à un article du 24 / 25 décembre 2000



 

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L'Enigme de JESUS
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SOMMAIRE 

      Datation des évangiles
            a) Croire et lire
            b) L'hagiographie évangélique
            c) Quel contexte?
            d )La persécution de Dioclétien et ses suites
            e) L'acte d'écrire depuis l'Antiquité
            f) La glose des textes sacrés

       L'Avènement de l'Enfant divin
            a) Qui gouvernait à la naissance de Jésus ?
            b) La visite des Mages
            c) La visite des bergers
            d) Le massacre des Innocents


     1 Datation des évangiles
     a) Croire et lire
                                                                   Monsieur le Directeur

                            Il faut féliciter votre rédacteur d'avoir su, par son art d'historien, ressusciter un passé vieux de 165 ans! Grâce à lui, nous sommes revenus dans les années 1835, sur les bancs du séminaire Saint Sulpice à Paris, au cours d'Ecriture Sainte de M.A.GARNIER Supérieur Général de l'Institution ( 1 ). La Révolution Française était vaincue définitivement depuis 20 ans, les peurs suscitées étaient encore telles qu'il fallait tout faire pour restaurer l'ancien Ordre, et, sur le plan religieux, revenir à une "pure Foi en Jésus" que le culte de la Raison avait temporairement occultée. Les dates données par votre rédacteur aux quatre évangiles sont, à quelques années près, celles-là mêmes qu'avait enseignées M.GARNIER qui dans l'élan de sa piété transformait Jésus le Galiléen en Hébreu, et rajoutait un cinquième évangile en langue hébraïque composé, disait-il, par Matthieu en l'an 45 de notre ère.

                           M.GARNIER était comme M.QUESNEL, votre intervenant, un professionnel du divin. Ce dernier a l'arrogance du "croyant" enfermé dans la certitude d'une vérité immuable, totalement étrangère à notre univers où tout se transforme continuellement; "fidèle" qui, quoi qu'on dise ou fasse, aura toujours raison en tant qu'interprète de Dieu, exégète infaillible de ses Ecritures Saintes, capable d'expliciter leurs passages les plus obscurs, étant relié à Lui "l'Empereur Céleste" par téléphone portable au moins une fois par semaine! Par leurs écrits et discours, ces professionnels du divin créent, phrase après phrase, le dieu qu'ils instituent garant de leurs doctrines. L'homme n'est donc pas la création d'un dieu, mais tout dieu est la créature d'un homme.
                        L'Histoire en particulier et la Science en général n'ont d'intérêt pour l'exégète que dans la mesure où leurs résultats (hypothétiques, temporaires) confirment ses allégations; dans le cas contraire, de plus en plus fréquent, la Science se trompe et ne saurait invalider "l'Ecriture divine" et ses "révélations". Ainsi, nous comprenons que GIORDANO BRUNO a bien mérité d'être brûlé en Février 1600 pour avoir imaginé une pluralité des Mondes habités, qui ruinait l'importance salvatrice de l'Incarnation sur Terre, et seulement sur Terre, du Fils de Dieu. Nous comprenons que Galilée a bien mérité d'être puni durement en 1633 pour avoir soutenu que la Terre tournait autour du Soleil et non l'inverse comme le dit la Bible. Nous comprenons que la Science de la Préhistoire et la Paléontologie ne sont que vaines occupations de rationalistes attardés, puisque la Terre et l'Homme ont été créés par Dieu il y a un peu plus de 7.000 ans. Et que dire de l'Astrophysique qui manifeste un orgueil insensé en prétendant que la lumière ( le nom de Dieu! depuis la plus haute Antiquité indo-européenne Dieu signifie lumière) que la lumière représente un phénomène naturel et non surnaturel, ondulatoire et corpusculaire (les photons!), reproduit à volonté par l'homme?
         ( M.QUESNEL doit vivre dans une grotte obscure à l'Institut Catholique de Paris )
                    Bref, que la soupe de la superstition vienne nourrir les illusions d'un peuple apeuré, mal instruit et crédule! la Science n'existe que pour confirmer les fantasmes des exégètes chrétiens, plus préoccupés, de nos jours, de leur carrière et de la défense de leur statut de fonctionnaire de l'Etat Pontifical, que de l'humble vraisemblance.

     b) L'hagiographie évangélique
                   M..A.GARNIER, dans son extrême désir d'une "pure Foi en Jésus", tenait à ce que les évangiles aient été écrits à une date aussi rapprochée que possible de sa vie supposée sur cette Terre, pour en témoigner validement, en constituer des récits historiques indiscutables. Le Concile Vatican II, dans sa session 8 du 18 Novembre 1965 par la Constitution dogmatique "Dei Verbum", a encore déclaré sans hésiter l'historicité des quatre évangiles. L'opinion des pasteurs chrétiens romains a, ces dernières années, beaucoup évolué. La revue mensuelle "Prions en Eglise", largement diffusée dans les paroisses, a consacré dans son numéro 107 de Novembre 1995 toute une page (page 10) à la lecture de la Bible ( Ancien et Nouveau Testament ) et déclaré bien avant M.QUESNEL que les Evangélistes n'avaient pas voulu faire œuvre d'archéologue ou d'historien. La Bible a été écrite, disent ces rédacteurs, par des croyants pour des croyants; c'est une Histoire Sainte. Littéralement, une Histoire Sainte est une hagiographie, dont nous trouvons la meilleure définition sous la plume de Mgr.DUCHESNE dans son "Eglise au Vlème siècle" (page 127), à propos du Liber Pontificalis :
                         "un mélange bizarre de renseignements puisés à bonne source, de légendes et de fantaisies diverses"
Les évangiles auraient donc pour finalité de rendre plus vive une Foi préexistante dans le Sauveur, sans que personne ne nous renseigne sur la nature de cette Foi, les voies et moyens de l'obtenir; il est toutefois confirmé que le mot de "raison" demeure totalement exclu du vocabulaire chrétien, si l'on observe ces scènes de la Passion supposée du Christ-Roi, complètement irréalistes, campées dans une Jérusalem telle qu'elle n'a jamais existé, occupée par des Romains dont le code pénal n'est même pas respecté, scènes dont la véracité n'est jamais attestée que par un seul témoin, l'auteur-inventeur. Dans ces conditions, la datation des évangiles n'a guère d'importance. ?

      c)Quel contexte?
               Il reste, cependant, que notre curiosité éveillée exige, malgré les dénégations de M.QUESNEL, des réponses raisonnables aux questions inévitables que pose ce corpus d'écrits déclaré sacré ou divin; et d'abord, s'il est seulement concevable que les quatre évangiles, cités par le Rédacteur de votre journal dans l'article en question, aient pu être rédigés au premier siècle de notre ère. Un écrit n'existe que pour être lu, d'abord par son auteur, puis ensuite par un public plus ou moins élargi. En l'occurrence, quels pouvaient être les destinataires de ces évangiles, sinon des Chrétiens? Le problème posé est ,donc, celui de savoir quel pouvait être le contexte chrétien de ce premier siècle. L'on peut répondre avec vraisemblance que le milieu "chrétien" était alors constitué essentiellement de groupes d'esclaves en très grande majorité illettrés, à l'exception de ceux utilisés par l'Administration impériale qui formait ses "employés aux écritures" dans des paedagogia. Ces illettrés se fabriquèrent mentalement le Sauveur dont ils éprouvaient le besoin pour supporter leur condition d'outils de productions, propriété des aristocrates romains; besoin d'autant plus contraignant que la défaite de Spartacus en 71 avant notre ère les avait laissés dans un état de déréliction totalement déshumanisant, après les rêves enivrants de libération prochaine qui les avaient habités pendant les deux années précédentes de victoires sur les armées de Rome.
                Plus tard, en 45l, le Concile œcuménique de Chalcédoine déclarera comme vérité de foi que le Fils de Dieu s'était incarné sous les traits d'un esclave.
               Les "milieux chrétiens" ,de ce premier siècle,étaient très divers, quelquefois opposés les uns aux autres et situés dans quelques grandes villes. Ils ressortissaient sans aucun doute à une culture d'oralité et non d'écriture. Les effets de l'oralité sont maintenant bien connus et permettent d'affirmer que:
      -D'une part, les "Chrétiens" de ce premier siècle imaginaient leur Sauveur, toujours présent; l'idée d'un dieu mort leur était absolument étrangère.
      -D'autre part, s'ils avaient pu accepter cette idée de la mort de leur Sauveur, ils n'auraient jamais choisi la croix, qui pour eux symbolisait l'arbre du malheur (Arbor infelix), et non l'instrument de leur Salut.

              Au surplus, le Nouveau Testament apparaît comme la concrétisation des promesses de l'Ancien; il fallait donc que les "milieux chrétiens" possèdassent des connaissances précises de cet Ancien Testament, en l'occurrence la Septante alexandrine grecque. Or la lecture de la Septante s'imposa à Rome seulement après 145, date de l'exclusion de Marcion par la communauté de la Capitale impériale.
            On voit par là combien la datation des évangiles est artificieuse; elle est conditionnée par les présupposés des exégètes et universitaires; elle ne se réfère en rien au contexte de l'époque où on la situe, et dont elle néglige un élément essentiel, la censure impériale. La nécessité du renseignement s'impose à tous les régimes politiques.Dans l'Empire romain, il existait des "gendarmes" chargés de surveiller les réactions des groupes sociaux, et connus sous le nom d' "agentes in rebus". Les renseignements remontaient jusqu'à l'Empereur qui jugeait, seul, de l'application de la "Lex Majestatis". L'on observera que la datation conventionnelle des évangiles, de 65 à 95 environ, correspond pratiquement au règne des Flaviens, de 69 à 96. Ceux-ci, vainqueurs des Juifs en 70, n'auraient jamais accepté, Domitien surtout, tyran soupçonneux, que leur pouvoir fut caricaturé par la présentation d'un esclave crucifié à Jérusalem sous le titre de Roi des Juifs. La réaction eut été immédiate, les manuscrits détruits, les auteurs présumés pourchassés et tués.
              En fait, la censure impériale ne s'exerça à l'encontre des livres sacrés chrétiens qu'une seule fois, à partir de 303, sous Dioclétien. La conclusion à tirer est donc, qu'avant le IVème siècle, les ouvrages sacrés des Chrétiens, dont on lisait des passages dans les réunions des collegia autorisés à partir du IIIème siècle, ne contenaient aucun passage susceptible de déplaire aux Empereurs.

d) La persécution de Dioclétien et ses suites
              La censure de Dioclétien se transforma en persécution des gardiens des livres, qui ne voulaient pas les remettre aux agents de l'Administration impériale, pensant éviter ainsi leur destruction. Cette action dura 10 ans en Occident (de 303 à 313), et 20 ans en Orient (de 303 à 324). Elle fut d'autant plus efficace que les collegia étaient sous la surveillance étroite de cette Administration par l'intermédiaire des évêques nommés avec son accord et responsables de la discipline de leurs communautés. Bref, dans les villes importantes comme Rome, Alexandrie, Carthage, Antioche etc...tout fut détruit comme nous le donne à penser l'ouvrage de G.BOISSIER sur "La fin du paganisme" (Tome l -page 388), dont la quatrième édition était déjà publiée en 1903; ces travaux n'ont jamais été mis en doute depuis lors. Seules, furent épargnées de petites communautés très éloignées, pratiquement oubliées, isolées en Afrique du Nord par exemple. L'action anti-chrétienne fut si durement ressentie que l'ère de Dioclétien fut désignée à Alexandrie, comme l'ère des martyrs.
             A partir de 324, Constantin fut le seul maître de l'Empire romain. Il convoqua dès 325 à Nicée, à proximité de la future Constantinople, le premier Concile œcuménique qui constitua l'acte de naissance de l'Eglise catholique et apostolique, une, malgré ses diversités régionales, seule Administration religieuse organisée en une Institution hiérarchisée, ferment de l'unification de l'Empire. Compte tenu de l'importance primordiale de ce Concile, on observera avec attention que son Credo, exposition de la Foi des 318 Pères rassemblés sous la direction de Constantin, élément capital de la doctrine nouvelle: le christianisme, son Credo ne contient pas une seule citation de la Bible, Ancien ou Nouveau Testament. Quant aux règles édictées ou Canons au nombre de 20, ils n'offrent qu'une seule citation indirecte de l'Epitre l à Timothée (canon 2), et une seule citation de l'Ancien Testament en l'occurrence un vers du Psaume 14 (canon 17). Ceci est pour le moins surprenant au regard de la fébrilité manifestée par les Conciles postérieurs à appuyer leurs décisions sur des textes "sacrés". L'on en conclura très vraisemblablement que l'histoire des textes canoniques commence en 325, comme tout ce qui concerne le christianisme.

    e)L'acte d'écrire depuis l'Antiquité
            Lorsque M.A.GARNIER enseignait l'Ecriture Sainte, l'imprimerie existait en Europe depuis environ quatre siècles; l'on avait perdu complètement l'habitude de la reproduction manuelle de livres sur peaux de veaux, brebis ou agneaux, et l'on ne pouvait imaginer un texte autrement que fixé définitivement par les correcteurs d'une imprimerie. De bonne foi, M.A.GARNIER voyait ce qu'il croyait, transformait les disciples supposés de Jésus en machines à dicter, et les copistes des manuscrits du Moyen-Age en utilisateurs, habiles et infatigables, de machines à photocopier. Sans doute savait-il que la "Sixto-Clémentine", nom donné à la première édition imprimée des textes canoniques en exécution d'une décision du Concile de Trente en 1546, datait de 1592 seulement. Il ne pouvait toutefois concevoir dans sa "pure Foi en Jésus" que l'imprimerie avait "canonisé" le Canon c'est-à-dire figé pour des siècles les textes "sacrés" du christianisme; en définitive, le "Canon" n'existe en tant que tel que depuis cette date là, la fin du XVIème siècle.
             Observons immédiatement qu'il n'y a pas de texte "sacré" en soi. Si un dieu avait une fois donné des commandements ou autres instructions à "un prophète", ce sont les paroles de celui-ci qu'on aurait entendues et non celles du dieu dans la mesure où le "prophète" aurait pu les entendre et les comprendre. Chaque perception, visuelle auditive ou autre, a toujours été pour un homme une interprétation. De ce fait, le dieu est absent de toute littérature. Mais, il convient de le rappeler, tout Roi ou Empereur, jusqu'à la Révolution Française, fut considéré comme fils d'un dieu ou dieu lui-même; l'Hermès Trismégiste, selon la traduction du P.FESTUGIERE, le déclare:
                                  "le dernier des dieux et le premier des hommes"
Les "Actes d'Apôtres", un des livres sacrés du christianisme, à l'occasion de la rencontre des Phéniciens de Tyr et Sidon avec le roi Hérode Agrippa 1er. déclare précisément à propos du discours de ce dernier (ActesXII -20,22) :                   
                                   "voix d'un dieu et non d'un homme"
Reconnaître un texte comme sacré mesure le degré d'hétéronomie du lecteur ou auditeur à l'égard de l'écrivain reconnu comme une autorité à laquelle il convient de se soumettre. L'on sait en outre depuis KANT et depuis R.OTTO dans son livre "Le Sacré", que le flux des intuitions jailli de l'inconscient se pare fréquemment d'une numinosité qui pousse ordinairement à le confondre avec une inspiration de "l'Esprit-Saint".
              Il est plus difficile de bien apprécier, de l'Antiquité jusqu'à l'invention de l'imprimerie, les difficultés matérielles de l'acte d'écrire qui donnent forme au vocabulaire au style et aux pensées de l'auteur. La personne même de celui-ci, généralement un aristocrate employant ses loisirs, apparaît très floue, compte tenu de la nécessité de passer par l'intermédiaire d'esclaves au stade:
      - de la composition, du fait de la dictée à un sténographe écrivant sur une palette. La restitution postérieure du texte dans sa complétude entraînait le risque soit d'erreurs matérielles dues à la difficulté d'écrire sur une peau (2 ) (support le plus couramment employé au Moyen-Age pour reproduire les textes sacrés du christianisme; il fallait un troupeau de 80 têtes d'ovins pour une Bible entière); soit d'interprétations de la dictée glissées par un scribe plus instruit que son maître.
      - de la lecture à haute voix, véritable acte de naissance d'un ouvrage, qui,seule, permettait de scander les mots et les phrases d'une œuvre écrite en lettres capitales ou semi-capitales, en continu, sans ponctuation, sans aucune mise en page ou division. L'auteur en titre présentait à ses amis et relations, au cours d'une réunion codifiée par les usages, le livre, même si interpolé à son insu, auquel il donnait son nom. Cet ouvrage était lu par un esclave lettré à la voix solide et bien timbrée, qui, par ses gestes ses intonations ses silences, donnait vie au texte et apparaissait quelquefois comme son auteur véritable (3). Sans cette lecture à voix haute, le livre n'était qu'un alignement de figures dessinées.
             La diffusion de l'ouvrage, écrit en onciale ou semi-onciale, dépendait totalement de sa reproduction manuelle par des esclaves. C'était une opération longue, lente, fatigante, réalisée parfois (souvent?) par des esclaves illettrés qui se contentaient de copier le texte en en redessinant chaque lettre. De toute façon, le copiste, lettré ou non, fut vilipendé continuellement au cours des siècles et accusé de toutes les erreurs de reproduction.
             Compte non tenu des erreurs purement matérielles dues à la fatigue et au désintérêt du copiste, il arrivait aussi à des scribes lettrés d'interpréter le livre à copier et de corriger ce qui leur apparaissait une contrevérité. Si bien qu'à tous les siècles, les auteurs, ne sachant pas exactement qui avait écrit quoi, s'accusaient mutuellement de faux (le faux est une tradition médiévale), y compris les plus estimés des auteurs chrétiens. Jérôme, par exemple, s'emportait contre Rufin d'Aquilée, et l'accusait d'avoir interpolé et faussé les textes d'Eusèbe de Césarée; Rufin pour sa part s'en prenait vivement à des scribes anonymes; certains caviardaient les oeuvres d'Origène, que beaucoup de nos jours considèrent comme un Père de l'Eglise, au point que la doctrine de celui-ci fut anathématisée par le Concile de Contantinople de 583 etc...(4)

             Une révolution technique intervint dans l'acte d'écrire, à partir du IXème siècle, sous la forme de l'écriture minuscule qui permettait une plus grande vitesse de transcription. Toutefois, à cause de l'évolution politico-militaire de la Féodalité cette révolution mit trois siècles à conquérir l'Europe Occidentale; le nouveau type d'écriture fut connu principalement sous le nom de minuscule caroline ou bénéventine selon les régions. Les scriptoria conventuels ne pouvaient traduire systématiquement dans la nouvelle écriture tous les manuscrits en leur possession, mais seulement ceux dont on leur demandait une reproduction. Il se produisit donc une coupure profonde avec le passé, et, du IXème au XIIème siècle, les textes anciens en onciale ou semi-onciale (5) devinrent progressivement illisibles à la très grande majorité des scribes. Seuls, restèrent quelques érudits dans les grandes Institutions comme Saint-Denis, qui profitèrent de leurs connaissances pour fabriquer, à l'occasion, des vrais-faux sur des parchemins d'origine ancienne préalablement lavés, pour défendre leurs intérêts matériels en produisant spécialement des "Donations" authentiquement fausses( 6-7 )

     f) La glose des textes sacrés
           Quant aux livres dits sacrés du Canon du christianisme, trois faits importants doivent être signalés:

      1)A la fin du VIIIème siècle; les dissonances dans les reproductions sont telles que Charlemagne, vers 797, décida de les réviser, et, confia ce travail à Alcuin savant moine d'origine britannique, abbé de Saint-Martin de Tours. A partir des manuscrits en sa possession, Alcuin établit un texte amélioré, remit son travail à Noël 801, mais son décès en 804 empêcha la poursuite de son action. Finalement, son travail ajouta une version nouvelle à la masse existante et augmenta ainsi la confusion. Aux moines carolingiens, l'Ecriture apparaissait comme:
                        "Cette forêt profonde aux branchages innombrables, cette mer immense, cet abîme insondable, qui offrent une gamme de sens aussi nombreux que les couleurs de la queue du paon"( 8 )
Alcuin prétendait revenir aux traductions anciennes de Jérôme du début du Vème siècle. Sa Bible s'imposera plus tard au XIIème siècle comme l'Ecriture des principales abbayes cisterciennes.

      2) A la fin du XIIème siècle; les versions "divines" avaient continué à proliférer et à se dégrader. Leur compréhension était devenue si difficile qu'on fut obligé à partir de 1179 de les gloser pour faire sens Cette glose consistait généralement en un commentaire des commentaires des Pères de l'Eglise; ce fut l'éclosion de la "Glossa Ordinaria" qui aboutit à deux conséquences:
                 - La mise en page d'un livre; le texte supposé d'origine occupait la partie centrale d'une page, écrit en gros module; on dégageait trois marges, à droite, à gauche, en bas, où l'on inscrivait les explications ou commentaires; entre les lignes du texte central, on inscrivait une glose interlinéaire en petits caractères.
                 - L'incorporation de la glose interlinéaire ; les scribes confondirent souvent texte principal et glose interlineaire; ils incorporèrent celle-ci en partie ou totalité dans le corps du texte ( 9 )

      3)A partir du XIIIème siècle; la création des Universités en Europe notamment à Paris fit perdre aux scriptoria conventuels leur monopole dans le domaine de l'écriture et de la culture. A Paris, un commerce libéral des livres commença à se développer en accord avec l'Université. Il faut signaler l'apparition en 1230 de la division par chapitres grâce à E.LANGTON, et la création de tables de concordance à l'usage de la prédication. Mais la Bible dite parisienne restera toujours aussi médiocre; elle prévaudra durant les XIVème et XVème siècles. C'est ce texte qui sera reproduit dans les premières Bibles imprimées après 1450 (10 )

L'on conclura logiquement que toute datation des évangiles, comme celle reproduite par votre Rédacteur, relève au mieux de la naïveté "fidèle" qui prend pour vrai ce qu'elle croit. En fait, il s'agit d'un "mensonge conventionnel" .Il est difficile de le soutenir aujourd'hui après les travaux sur la variabilité du texte au Moyen-Age, notamment ceux de R.MENENDEZ PIDAL, R.DRAGONETTI (le mirage des sources) et B.CERQUIGLINI (Eloge de la variante )

        Pourriez-vous recommander à votre Rédacteur de lire ou relire dans les "Nouvelles histoires extraordianires " d'E.POE la "petite discussion avec une momie" ? il y trouverait la démonstration qu'avant l'imprimerie on ne voyait jamais, dans aucun texte après un certain laps de temps de quatre ou cinq siècles, on ne voyait jamais un simple iota qui ne fut absolument et radicalement faux.

2)                                                           L'Avènement de l'Enfant divin
a) Qui gouvernait à la naissance de Jésus ?
               L'Evangile dit de Matthieu stipule (Matthieu II -1) :
                                     '' Jésus étant né à Bethléem de Judée, au temps du roi Hérode voici que ..."
                Le texte de Luc indique, à propos de la naissance de Jean-Baptiste (1 -5) :
                                     " Il y avait au temps d'Hérode, roi de Judée ... "
      Hérode le Grand régna de 41 à 4 avant notre ère; il était appelé "Roi des Juifs" et régnait sur toute la Palestine depuis la Syrie du Sud jusqu'au désert du Sinaï; il était un Roi-Client des Romains, un rex datus, et portait un titre honorifique non héréditaire concédé par les Romains pour le remercier de sa collaboration.
      A sa mort, son royaume fut partagé en trois principautés, selon ses volontés acceptées par l'Empereur de Rome:

     - Son fils Archélaos reçut la Samarie, Judée et Idumée. Archélaos était désigné comme ethnarque, et espérait recevoir le titre de roi que les Romains lui laissaient escompter, sans doute l'employait-il à l'occasion en tant que Roi de Judée, la Judée étant la principale partie de son Etat; et non "Roi des Juifs" puisqu'il n'avait obtenu que le tiers de l'héritage paternel.
Très brutal et cruel, il régna 10 ans et fut déposé sur plaintes de ses sujets en 6 de notre ère, puis exilé par Auguste à Vienne en Gaule. Son Gouvernement fut dissout. Ses Territoires furent rattachés à la province de Syrie; le Gouverneur de celle-ci nomma un préfet-procurateur résidant à Césarée-Maritime qui géra directement la Samarie, la Judée et l'Idumée. C'est dans ces circonstances, dans les années 6 et 7 de notre ère, que fut organisé dans ces territoires par le Gouverneur de Syrie, Quirinius, un recensement fiscal. à l'occasion duquel l'évangile, dit de Luc, situe à Bethléem la naissance de Jésus.

     - Son fils Antipas reçut le gouvernement de la Galilée et de la Pérée. Antipas, dit Tétrarque, régna jusqu'en 39 de notre ère; il fut alors déposé par l'Empereur Caligula et exilé à Lyon, pour permettre à Hérode Agrippa 1er., petit-fils d'Hérode le Grand, ami de l'Empereur, de recevoir un royaume équivalent à celui de son grand-père; Agrippa 1er. fut appelé lui aussi "Roi des Juifs".

               Jusqu'en 39, la Galilée constitua, donc, sous le gouvernement d'Antipas un Etat-Client, mais autonome pour l'essentiel de sa gestion, ayant sa police, son administration, sa fiscalité. Le Tétrarque devait verser aux Romains, à date fixée, un tribut global et restait le maître de ses territoires.
              Ainsi, le recensement fiscal ordonné par Quirinius concernait uniquement les régions provincialisées de Samarie, Judée et Idumée, mais non la Galilée où l'évangile, dit de Luc, situe le domicile de Joseph: Nazareth (Luc II 3 et 4). C'est par erreur que l'évangéliste le fait aller à Bethléem pour se faire recenser, dans le but d'affirmer la filiation davidique de Jésus. Observons qu'en 362, l'Empereur Julien dans son pamphlet contre les Galiléens n' a jamais donné à Jésus le titre de "Roi des Juifs".

      - Son fils Philippe reçut en Syrie du Sud le Gouvernement de la Batanée, Trachônitide et Auranitide. Ces territoires constituaient une sorte d'Etat-tampon entre la province de Syrie au Nord et le royaume de Nabatène au Sud. La capitale de l'Etat de Philippe était Césarée-Panias, près des sources du Jourdain, où était implanté un célèbre temple dédié à Pan. Philippe mourut en 34 de notre ère. Ses Territoires furent alors annexés à la province de Syrie jusqu'à l'avènement du nouveau "Roi des Juifs" Hérode Agrippa 1er. Celui-ci régna brièvement de 38 à 44. Les "Actes d'Apôtres" contiennent une description brutale de sa mort (Actes XII -21, 23). Son fils Agrippa II lui succéda en partie; il ne fut jamais appelé "Roi des Juifs" mais parfois "Roi", sans autre précision. Son gouvernement porta successivement sur diverses divisions de la Syrie; il mourut vers 93.

      La dynastie hérodienne régna donc plus de 160 ans, si l'on tient compte du père d'Hérode le Grand, Antipater l'Iduméen, qui gouverna de 70 à 43 avant notre ère. Deux personnages seulement portèrent officiellement le titre de "Roi des Juifs" : Hérode le Grand et son petit-fils Agrippa 1er. Un autre reçut le titre de "Roi", sans précision: Agrippa II fils d'Agrippa 1er. Les autres membres de la dynastie furent Ethnarque ou Tétrarques.

Nous sommes ainsi en présence d'une profonde dissension entre les textes évangéliques, supposés tous les deux divins:
             - Celui dit de Matthieu place la naissance de l'Enfant divin aux jours d'Hérode le Grand indiscutablement, mais sans aucunement préciser la date.
             - Celui dit de Luc célèbre son avènement après le départ d'Archélaos, sous Administration directe des Romains.

      Peut-on conclure avec votre Rédacteur que la référence à Hérode dans les deux évangiles concerne la même personne? Je ne le pense pas. Dans le texte lucanien (1 -5) il s'agit de la naissance de Jean-Baptiste et d'un "Roi de Judée". Celui-ci ne se confond pas avec un "Roi des Juifs" et fait référence vraisemblablement à Archélaos, qui dans sa fatuité devait se considérer et se faire appeler "Roi de Judée". Dans cette hypothèse, c'est sous son règne que Jean-Baptiste serait né, et Jésus conçu. Dans un cas autre, nous nous trouverions devant un fait sans précédent. Luc nous informe, en effet, en préambule de son évangile (1 -3) qu'il s'est soigneusement informé de tout à partir des origines. La naissance de Jésus est donc fixée sans aucun doute pour lui au printemps de l'an 7 de notre ère à l'occasion du recensement fiscal de Quirinius. Si Hérode "Roi de Judée" se confondait avec Hérode le Grand, Marie aurait été enceinte plus de 10 ans! Les textes des deux évangiles sont fondamentalement inconciliables, et en conséquence purement humains.

Notons de surcroît que l'Esprit-Saint, en couvrant Marie de son ombre, engageait la Trinité toute entière, donc le Fils, qui apparaît ainsi comme l'amant de sa mère; magnifique reprise du mythe incestueux d'Isis et Osiris, entre autres.

       b) La visite des Mages
                Votre Rédacteur présente les Mages comme des ambassadeurs des Nations pour signifier que: "le message du nouveau-né s'adresse aussi au monde païen".
               Or à cette époque il n'y avait par définition, ni chrétien, ni païen. Ce mot intervint pour la première fois dans une loi d'Honorius en 409, à l'époque du christianisme triomphant.
               En bref, l'explication de votre Rédacteur relève de l'allégorie sans fondement puisque les Mages à l'époque ne se savaient pas païens et ignoraient tout du message futur du nouveau-né. Au surplus, leur ambassade supposerait une réunion organisée des Nations, de toutes les Nations existant alors, y compris la Nation palestinienne d'Hérode le Grand; la connaissance préalable de la naissance de l'Enfant divin.; une mission explicite confiée à ces Mages, qui auraient su exactement ce qu'ils avaient à faire; faussant totalement le récit de l'évangile dit de Matthieu.
              Cette explication allégorique, irrationnelle, tend plus à manifester les doutes de votre Rédacteur, son souci de renforcer ses croyances, que l'humaine vérité.

             Que sont, en effet, ces Mages venus des Rives du Golfe Persique, du sud de l'Irak, du très ancien pays du mythique Abraham?
                     Tous les commentaires "spirituels" des professionnels du divin n'y changeront rien; les Mages sont dans toute la littérature de l'époque ( 11 ) les introducteurs du culte de Mithra, de l'Inde en Perse vers le VIIIème siècle avant notre ère; ils sont les prêtres de Mithra, à la fois astrologues, magiciens, alchimistes; ils constituent les figures-types de leur civilisation, adorateurs de ce dieu-Soleil, en même temps dieu de la Fécondité et du Courage. Ils s'engagent dans un voyage d'au moins un mois et demi, environ 1200 kms à travers des régions quelquefois désertiques ,au rythme lent de leur caravane, non pas pour échanger avec Hérode quelques propos irréalistes sur le "Roi des Juifs", mais pour adorer leur dieu dans sa nouvelle manifestation. Leur itinéraire est tracé par la course dans le ciel d'une étoile visible en plein jour: le soleil; les chameaux dorment la nuit.

              L'Enfant divin de Bethléem est ainsi désigné sans ambiguïté comme le nouveau Mithra, d'autant que ces Mages , prêtres du dieu, sont les seuls à venir se prosterner devant lui et sacrifier des offrandes; seuls, avec les bergers. ( 12 )

     c) La visite des bergers
              Selon votre Rédacteur: " la visite à la crèche des bergers précède l'enseignement majeur sur l'amour dû aux pauvres" Mais en quoi les bergers sont-ils l'exemple de la pauvreté? L'évangéliste lucanien aurait pu prendre d'autres ouvriers ou artisans comme modèles. Sa remarque nous permet de signaler le caractère peu innovateur des discours supposés de Jésus rapportés ultérieurement dans les évangiles. En effet, les propos de Jésus sur la pauvreté et la distribution des richesses ont déjà été tenus par les Cyniques grecs quelques siècles auparavant; plusieurs de ces philosophes ont effectivement distribué leurs fortunes et connu la plus extrême pauvreté; ils ont non seulement parlé mais vécu leurs discours (WITTGENSTEIN de nos jours a agi de même).

              De fait, le choix des bergers marque une intention bien précise, celle de confirmer la signification de la visite des Mages.
               Les bergers, en effet, dans la mythologie de Mithra, sont les compagnons du dieu, à sa naissance d'une grotte ou d'un rocher, ils viennent l'aider à s'en dégager. Ainsi, les deux évangiles dits de Matthieu et de Luc sont sur ce point complémentaires, et proclament sans ambiguïté, pour qui n'est pas conditionné par des présupposés conventionnels, que l'Enfant divin né à Bethléem est le nouveau Mithra, le nouveau Soleil, Néos Hélios, titre de l'Empereur romain. (13 )

              Ces deux évangiles apparaissent comme une justification à postériori de la "christianisation" vers 335 de la naissance, à la date de l'ancien solstice d'hiver, du Solis invicti, Soleil invincible incarné par l'Empereur -Constantin. Il s'agit de la naissance du christianisme, puisque l'adjectif christos "oint de Dieu" ne peut s'appliquer qu'à Constantin; c'est l'avènement de la divinisation de celui-ci de son vivant, comme le manifeste amplement sa statue érigée au centre de Constantinople sur une très haute colonne de pierres rouges, le figurant sous les traits de la divinité solaire illuminant l'Empire de ses rayons. L'évangile dit de Marc (VIII -27, 29) imagina un déplacement de Jésus à proximité du temple de Pan à Césarée de Philippe, pour permettre à Pierre de reconnaître en lui "le Christ", c'est-à-dire l'Empereur romain.

            Beaucoup plus tard, la dynastie constantinienne ayant disparu, un évêque de Rome s'attribuera le titre impérial de Pontifex Maximus. Plus loin encore, l'évêque de Rome, devenu Souverain de l'Etat pontifical, manifestera sa volonté de puissance en se faisant reconnaître comme le vicaire du Christ déclaré "Empereur céleste et Seigneur de toute Majesté"; il devenait sur cette Terre l'homme possédant la plénitude du pouvoir, nommant rois et empereurs. Le christianisme fera religieusement de lui un autre Constantin.

            Sur un plan purement historique les deux évangiles concernés pourraient aussi, semble-t-il, constituer le souvenir de l'implantation du culte de Mithra au Sud de la Syrie dans le milieu du premier siècle avant notre ère. Le culte mithraique fut découvert en effet en Cilicie, dans les années 65 avant notre ère, par les armées de Pompée. La création de la province de Syrie datant de 64, l'on peut imaginer que les soldats romains essaimèrent leurs nouvelles pratiques religieuses en Palestine quelques temps après, au temps d'Antipater ou d'Hérode le Grand.

     d) Le massacre des Innocents
             Les Mages arrivés à Jérusalem demandèrent
"Où est le Roi des Juifs qui vient de naître? Nous avons vu son étoile à l'Orient et nous sommes venus lui rendre hommage" (Matthieu II -1 et 2)

           Le récit évangélique de leur rencontre avec Hérode manifeste immédiatement ses anachronismes et invraisemblances. L'étoile dont il s'agit ne peut être que le soleil, puisqu'ils voyagent de jour ( la nuit tombée, les chameaux dorment ) .Ils suivent cet astre d'Est en Ouest. S'il y avait un doute à ce sujet, l'arrêt ultérieur (Matthieu II -9) de l'étoile "au-dessus de l'endroit où était l'enfant" constitue un rappel trop évident de cet autre arrêt du soleil, lors des conquêtes antérieures de Josuée, "immobile au milieu du ciel" (Josuée X -13), pour que ce doute persiste. La naissance de l'Enfant manifeste indiscutablement une nouvelle naissance du Soleil, saluée par ses prêtres les Mages, et consacre Noël, le Néos Hélios, sur Terre l'Empereur romain; naissance qui ne peut se situer à Bethléem mais uniquement dans la famille impériale¨, à Rome, ou à proximité. L'erreur est d'autant plus criante que les Mages, hommes instruits, ont dû traverser la frontière romano-perse à proximité de l'Euphrate, et savent que le vrai Roi des Juifs ne siège pas à Jérusalem mais dans la capitale impériale.
            Qu ' Hérode ait été "troublé" par le discours de ces serviteurs de Mithra, qu'il ne pouvait pas ne pas reconnaître, est tout à fait admissible. Par contre, il le savait mieux que quiconque, son titre de "Roi des Juifs" n'était qu'une faveur attachée à son cou par l'Autorité romaine. Les paroles des Mages ne composaient pas un discours menaçant à son encontre ou à l'encontre de ses successeurs. Il n'y avait donc ni motif ni mobile au massacre supposé des Innocents.

            A l'extrême, si Hérode avait été frappé pour une raison inconnue d'une jalousie meurtrière à l'égard de l'Enfant de Bethléem, il lui aurait suffi de faire suivre discrètement les Mages depuis Jérusalem; il aurait été renseigné immédiatement, et en mesure de supprimer son compétiteur en langes. En outre, le récit met en œuvre trop d'interventions angéliques pour qu'on ne puisse le cataloguer d'invention destinée à solliciter la crédulité publique pour lui tenir un langage caché, celui du mythe.
            Nous le savons, grâce aux travaux de P.SAINTYVES ( 14 ) et de JUNG KERENYI ( 15 ) le récit matthéen est une nouvelle version du mythe très ancien de l'enfant divin persécuté par ses ennemis

            Aucune recherche historique n'a pu prouver la véracité de ce Massacre, malgré les affabulations médiévales qui ont comptabilisé jusqu'à 144.000 victimes... Bien plus, ce récit renforce mieux l'anhistoricité de l'événement supposé; il désigne, en effet, comme instigateur réel du Massacre, l'Esprit-Saint; c'est par Lui que les Mages ont été "divinement avertis en songe de ne pas retourner auprès d'Hérode" (Matthieu II -12). Obéissant à cet ordre, les Mages provoquèrent ainsi la folle réaction du Roi que prévoyait l'Esprit dans son omniscience-préscience!
            La figure du Roi des Juifs né à Bethléem relève très vraisemblablement du milieu du Moyen-Age, à l'époque des premières croisades où il fallait exciter au maximum la haine des chrétiens contre les Juifs infidèles, accusés à cette fin non seulement d'un meurtre, mais d'un régicide.

           Quoi qu'il en soit, ce massacre des Innocents nous donne une idée précise de la nature de la littérature évangélique, baptisée "divine ou sacrée" par un Etat vaticanesque théocratique agissant par l'Administration de l'Eglise. Celle-ci a inscrit dans son calendrier religieux une fête des Innocents sachant quelle imposture était ainsi commise, que n'efface pas l'acceptation des "fidèles."

            En définitive, le problème posé par cette littérature évangélique relève d'un cas d'anthropologie:
Comment peut-on croire, accepter et obéir à celà ? Hannah Arendt l'exprimait clairement:
           " Ce qui fait problème c'est le terme d'obéissance. Seul, l'enfant obéit; si un adulte "obéit", il cautionne en fait l'instance qui réclame l'obéissance"
On ne saurait mieux décrire le besoin de retour à l'enfance, d'une sécurité, qu'exprime l'obéissance "des fidèles" à un Etat-Eglise dont les commandements s'exercent en vue d'un gouvernement universel des âmes.

     L'énigme de Jésus se réduit au bon titre d'un article. Jésus n'existe que dans une littérature projetant des images archétypales, appelées par G.BACHELARD "Images dynamiques premières", qui fondent la foi en un Sauveur venant compenser des conditions de vie très difficilement supportables, les peurs suscitées sans cesse par notre environnement naturel ou économico-politique. Face à ces peurs, la religion progressivement développe sa liturgie, son rituel et ses langages à la fois rassurants et prometteurs. Cependant, il suffit d'évoquer ce Sauveur, thaumaturge, guérissant les malades, ressuscitant les morts, transformant l'eau en vin, nourrissant des foules de plusieurs milliers d'individus avec cinq petits pains, il suffit d'évoquer son action pour apercevoir en Lui le maître de la Vie, de la Fécondité, dont dépend l'humanité. Comment un tel personnage pourrait-il mourir? Sa nature même s'y oppose puisqu'il est toujours vivant. Il y a une contradiction fondamentale entre le récit d'une crucifixion de Jésus sur l'Arbor infelix, et celui de ses gestes salvateurs. Par définition, le Sauveur est toujours présent et agissant.Il ne peut mourir même transitoirement, sinon nous n'existerions pas.

                                        Finalement il n'y a plus d'énigme


1 Cf. F.LAPLANCHE -"La Bible en France entre mythe et critique XVIème -XIXème siècle "chez Albin Michel Paris 1994 page 129 et suivantes retour
2 Cf. PERSE "Les Satires" - Satire N°3 vers 10 à 14 - Edition de l'Imprimerie Nationale    retour
3 Cf. MARTIAL -"Les Epigrammes" - Livre 1, pièce 38 "A Fidentinus" Edition N.R.F. Gallimard.retour
4 Cf. Catherine SALLES "Lire à Rome" -Edition Les Belles Lettres Paris Voir particulièrement l'appendice de René MARTIN relatif à la psychologie du copiste. retour
5 Cf. B.NEVEU "Erudition et religion aux XVIIème et XVIIIème siècle" - Editeur Albin Michel - Page 360. Le Jésuite Jean Hardoin au XVIIIème siècle soutenait que les œuvres d'Augustin et d'Ambroise étaient presque toutes supposées.
6 Cf. A.GRAFTON -"Faussaires et critiques" - Editeur Les Belles Lettres.       retourretour
7 Cf. P.J.GEARY "La mémoire et l'oubli à la fin du premier millénaire" Editeur Aubier. Pages 167 et suivantes "Ils (les créateurs du XIème siècle) utilisèrent la matière première (les anciens documents) avec une grande liberté détruisant, révisant, recopiant, et surtout réorganisant. Il en résulta une restructuration qui fournit les paramètres à l'intérieur desquels les générations suivantes pouvaient espérer comprendre le passé"
8 Cf. B.T.T. -Tome IV -"La Bible au Moyen-Age" - Editeur Beauchesne retour
9 Cf. B.T.T. Tome IV -"La Bible au Moyen-Age" Editeur BEAUCHESNE retour
10 Cf. Dictionnaire des lettres françaises Le Moyen-Age Editeur la pochothèque- voir article " la bible " Pages 174-180 retour
11 Cf. R.TURCAN -"Mithra et le mithriacisme" Editeur Les Belles Lettres. retour
12 Cf. G.VEZIN -"L'adoration et le cycle des Mages" Editeur P.U.F. Paris retour
13 Cf. M.SARTRE -"L'Orient Romain" - Editeur Le Seuil. retour
14 Cf. P.SAINTYVES -"Le massacre des Innocents" - Editeur Rider - Paris retour
15 Cf. JUNG KERENYI -" L'essence de la mythologie - L'enfant divin" Editeur Petite bibliothèque Payot

                          

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