LE CHRIST TRIOMPHANT. MOSAÏQUE, VI ème siècle, Ravenne,CHAPELLE ARCHIEPISCOPALE |
Le
Christ est véritablement l'Empereur tout puissant dans son Royaume.
Il porte allègrement sur son épaule une croix en forme de
grande épée, symbolisant son origine divine puisque la croix
signifie la vie éternelle. Il tient dans sa main une plaque portant
ces mots : Je suis |
I Un seul sauveur aux visages multiples | |
II Au temps des prophètes, le triomphe de l'oralité | |
III La conversion des chrétiens au christianisme |
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1
Le Sauveur selon l'évangile dit de Marc
2 Le Sauveur selon l'évangile dit de Jean 3 Le Sauveur d'après Matthieu et Luc 4 L'inauthenticité des textes 5 La généalogie du roi des juifs 6 Un Sauveur ressuscité et monté aux Cieux 1
Le dieu-esclave
2 La localisation des masses serviles 3 La révolte de Spartacus et ses conséquences 4 Spartacus Imperator divin 5 Chrestus; prophètes et prophètesses 6 Le mouvement chrétien d'insoumission et son évolution |
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le christ au galet (
S DALI )
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SOMMAIRE
1 Les auxiliaires administratifs
2 Les employés aux écritures
3 L'appropriation de la Septante et ses conséquences
4 Le développement de l'esprit sectaire
5 L'organisation des Collegia
6 La conversion à Constatin
1 Les auxiliaires
administratifs
Dans la masse servile, les esclaves attachés
aux diverses administrations locales, régionales, ou impériales,
jouissaient d'une influence naturelle sur leurs congénères du
fait de leur proximité du Pouvoir dans ses différents échelons;
nous nous en tiendrons à la domesticité impériale qui constituait
une armée de 20.000 individus sous Trajan (98 -111), et de 35.000 sous
Dioclétien (284 -305). Il faut tenir compte du service de la Maison de
l'Empereur et du service de sa personne, qui mobilisaient certainement plusieurs
centaines d'esclaves, parmi lesquels quelques individus surent se rendre indispensables
à l'exercice du Pouvoir impérial. Ainsi, l'Empereur Claude (41
-54) alla jusqu'à affranchir certains esclaves, qui occupèrent
sous sa direction des postes aux responsabilités très élevées.
Toutefois, la plus grande partie de ces 20.000
ou 35.000 personnes était occupée au fonctionnement de ce que
nous appellerions l'Administration Civile et ses services annexes, notamment
les transmissions par voies terrestres ou maritimes, dont l'intervention permanente
permettait à l'Empereur de se faire entendre aux extrémités
de ses possessions et de concrétiser l'unité de l'Empire.
Sans doute aussi, existait-il dans l'Armée
romaine, et particulièrement au sein du corps des Agentes in rebus, les
gendarmes impériaux, des esclaves attachés aux divers services
de l'Intendance; sans omettre de rappeler que l'Armée impériale
dût, quelques fois, ouvrir ses rangs à des esclaves pour combler
des pertes trop importantes.
Bref, sans cette main-d'oeuvre servile, rien,
pratiquement, ne pouvait fonctionner efficacement. Dans le temps, les divers
intéressés prirent conscience de leur importance pratique et numérique,
ainsi que de leur communauté d'intérêts; il suffira de l'éclatement
d'une situation de crise, comme la persécution-censure de Dioclétien
en 303-305, pour les conduire à engager une action de nature à
protèger leur vie et leurs intérêts catégoriels;
ce que les Christianistes appelleront beaucoup plus tard "la Conversion"
de Constantin.
2 Les employés
aux écritures
Dans ces foules, nous devons nous attacher plus
particulièrement à ceux que nous pouvons appeler "les employés
aux écritures" de l'Administration impériale; c'est-à-dire
les agents formés dans les paedagogia, où ils apprirent à
lire, écrire et compter. Ces connaissances avaient, certes, un caractère
utilitaire, mais, l'on ne peut s'empêcher de l'imaginer, quelques personnes
durent s'ouvrir à la culture, et, pour satisfaire leur curiosité
intellectuelle et leur faim de savoir, s'instruire en auto-didactes grâce
à des écrits commentant divers Maîtres renommés,
Stoïciens, Epicuriens, Cyniques etc... dont nous retrouvons quelques pensées
dans leurs livres"sacrés".
C'est dans ce corps de fonctionnaires que l'Empire
trouva les copistes, notaires, bibliothécaires, traducteurs, comptables
etc... , dont il avait besoin à chaque instant.
Certes, tous n'étaient pas des affidés
de Chrestus, mais le poids des chrétiens devait se manifester concrètement;
ils devaient appartenir en nombre à une communauté plus ou moins
importante; au sein de celle-ci, leur influence prédominait, pour la
raison qu'ils étaient:
-
des lettrés, situation rarissime
-
membres de la Maison de l'Empereur
-
animés d'un esprit de corps qui s'affirma au cours des siècles.
De ces "lettrés" chrétiens,
aucun nom n'est connu. Les Pères de l'Eglise, instruits dans les écoles
supérieures romaines, purent à loisir railler la mauvaise qualite
de leurs traductions de la Septante alexandrine; celles-ci n'en formèrent
pas moins les veteres latinae, les premiers manuscrits latins de ce qui devint
l'Ancien Testament chrétien. Détruites sous Dioclétien,
ces vieilles latines furent remplacées par de nouvelles traductions qui
provoquèrent la réaction de Jérôme au début
du Vème siècle; ce dernier s'obligea à la tâche considérable
de la rédaction de l'ouvrage de grande qualité connu ultérieurement
sous le nom de Vulgate.
C'est à ces fonctionnaires que nous devons
la substitution technique, au bout de deux siècles, de l'écriture
à l'oralité primitive. Pour eux, écrire était devenu
l'acte le plus banal, malgré sa pénibilité fonctionnelle,
aussi naturel que la parole. Lorsqu'ils devaient se mettre en relation avec
un autre service administratif, ce qui était journalier, ils le faisaient
par messages écrits pour avoir une trace probante de la finalité
de leurs tâches; bien plus encore lorsqu'ils dressaient des catalogues
ou inventaires d'objets ou de biens, destinés à l'archivage comme
les maillons d'une chaîne de travaux en cours ou terminés. Ils
finirent par imposer leur manière d'être à leurs communautés
religieuses, qui développèrent entre elles, malgré un éloignement
souvent considérable, des relations épistolaires facilitées
par la connivence des agents serviles du service des transmissions. Peu à
peu, l'habitude fut prise, dans ces communautés, de la lecture publique,
par un lecteur choisi parmi les "lettrés", d'épitres
plus ou moins riches en pensées et opinions diverses au sujet de problèmes
d'actualité. Quant à la Foi de ces communautés, le changement
de nature se produisit au tournant des IIème et IIIème siècle,
après l'appropriation définitive de la Septante alexandrine par
la communauté romaine; de croyance en la Parole, elle devint croyance
dans les Ecritures.
Toutefois, cette mutation d'ordre technique en
même temps que conceptuel ne modifia en rien le très long travail
psycho-sociologique de transformation épique centrée sur Spartacus
(1) que l'oralité triomphante avait déjà
manifestée avec éclat. L'inconscient collectif des communautés
mûrissait lentement ce contenu, qui, durant la période des crises
du Vème siècle, s'exprima soudain au Concile de Chalcédoine
en 451 par la proclamation du dieu-esclave. Désormais, Spartacus, esclave
déifié, et l'Empereur-Christ romain s'étaient confondus
dans les esprits et au Ciel, pour assurer la continuité de l'Empire par
la grâce du consentement de la masse servile.
3 L'appropriation
de la Septante et ses conséquences
En Août de l'an 30 avant notre ère,
Octave prit possession personnellement de l'Egypte après la victoire
d'Actium sur la flotte de Cléopâtre. La politique définie
par l'occupant voulait:
-
d'une part, rendre le sol égyptien plus productif pour alimenter Rome.
-
d'autre part, faire rentrer l'impôt pour remplir les Caisses impériales.
Il fallut organiser les structures nécessaires
et créer une administration spécialisée à Alexandrie
et en quelques autres villes importantes. Ces échelons administratifs
étaient dirigés naturellement par les aristocrates nommés
par le futur Auguste, mais le travail ordinaire était exécuté
par des centaines d'esclaves"lettrés". Il y eut une période
d'adaptation relativement longue tant à cause de l'étendue de
l'Egypte que de ce qu'elle contenait et était. Il vint inévitablement
un jour où les bibliothécaires romains s'approprièrent,
techniquement parlant, du Musée d'Alexandrie et de sa Bibliothèque,
dont la richesse en manuscrits de toutes sortes enflammait les imaginations.
Même si Jules César, au cours de son séjour dans la ville
après Pharsale, c'est-à-dire en 48-47 avant notre ère,
s'était risqué à provoquer un incendie de cette Bibliothèque
pour camoufler le vol de milliers d'ouvrages (2),
l'importance de son contenu demeurait fabuleuse et devait provoquer, à
terme, la curiosité des fonctionnaires romains.
Les événements les obligèrent
à passer du stade de l'attention admirative à celle de l'étude
précise des textes législatifs concernant les Juifs gréco-alexandrins.
Il y eut en effet dès les années 37 à 41 de notre ère,
une explosion d'anti-judaïsme qui provoqua des pogroms organisés
par la population d'origine grecque; celle-ci refusait absolument de considérer
les Juifs comme de véritables Alexandrins. Philon, lui-même, conduisit
une délégation juive à Rome; cette démarche se solda
par un échec cuisant puisque l'Empereur Claude, dans une lettre de l'année
41, opposa une fin de non- recevoir à la prétention des Juifs
d'être traités comme des citoyens alexandrins à part entière.
Toutefois, ils conservaient leur droit ancestral, c'est-à-dire la Septante,
traduction grecque alexandrine de la Torah. Mais que contenait-elle?
Il fallait, pour le moins, lire de manière
attentive et réfléchie, les rouleaux en langue grecque qui détaillaient
la Loi dont les Juifs se réclamaient. Cette lecture, et celle des livres
joints postérieurement, notamment les livres historiques et les Psaumes,
eurent les conséquences les plus inattendues. Les esclaves romains "lettrés"
découvrirent,en effet, que leur condition d'outils de production, leur
désespoir, le statut abominablement inhumain qu'ils supportaient, avaient
été précédemment ceux-là mêmes du peuple
juif, vaincu par diverses armées, opprimé, exploité, contraint
à l'exil, passant du joug des Babylonniens à celui des Perses,
et successeurs d'Alexandre, exprimant son extrême douleur dans des chants
et prières dédiés à son Dieu national, dont il pensait
être abandonné.
Certes, la même lecture, admirative puis
affectueuse, ne fut pas unanimement pratiquée. L'on en discuta,puis l'enthousiasme
se propagea; vraisemblablement à partir du milieu du premier siècle
de notre ère; des traductions des passages jugés les plus attachants
circulèrent, furent expédiées dans les communautésimportantes
de Rome, Antioche etc... Grâce aussi aux mutations des fonctionnaires,
elles alimentèrent les prédications et manifestations diverses
de leurs prophètes et prophétesses, permirent à ceux-ci
de préciser leurs imaginations eschatologiques, les faits et gestes de
leur Sauveur rêvé.
Dans le temps, les traductions latines de la Septante
alexandrine, les veteres latinae, devinrent la référence en tout;
c'est d'après elles qu'on pouvait décrire l'épopée
du Héros sotériologique; elles devinrent indispensables aux prêcheurs
itinérants, elles finirent par s'intégrer totalement aux principales
communautés où on en donnait lecture; ces traductions s'assemblèrent
en un premier livre chrétien.
Cette appropriation véritable fut favorisée
par plusieurs événements de telle sorte que rapidement tout lien
pouvant exister avec une origine purement juive fut détruit. Il y eut
::
- la révolte
judéenne des années 66 -70 de notre ère. La destruction
de la plus grande partie de Jérusalem et du second temple embelli par
Hérode obligea les rabbis, rassemblés à Jamnia après
cette disparition, à travailler à transformer totalement leur
culte, puisque tout sacrifice était devenu impossible. La caste des grands
prêtres et prêtres disparut.
- ces rabbis
recueillis devant leurs livres "sacrés" écartèrent
définitivement de leurs listes la Septante gréco-alexandrine.
Celle-ci, il est vrai, avait été voulue par un Pharaon, vraisemblablement
Ptolémée Philadelphe en 275 avant notre ère; elle ne manifestait
pas une origine purement juive. Malgré la légende, cette traduction
grecque de la Torah présentait de très nombreuses variantes du
contenu du texte de la Loi;, on en comptait plus de 2.000; à tel point
que, désireux de possèder, pour leurs frères de la Diaspora
une traduction convenable en langue grecque, les rabbis promurent plusieurs
révisions de la Septante; la version d'Aquila, sous le règne d'Hadrien
(117 -135) devint ainsi une version autorisée (3).
- la révolte
des Juifs à Alexandrie dans les années 115 -117 de notre ère.
Cette révolte, qui enflamma également la Cyrénaïque,
aboutit à un véritable désastre pour les communautés
juives, dont beaucoup disparurent par mort ou par exil. Certes, il restait des
Juifs aux alentours d'Alexandrie, mais désormais, en nombre très
faible, ils ne provoquèrent plus de conflits avec les Grecs.
- enfin, la
révolte en Palestine du "Messie" Bar Kochba, dans les années
133-135 sous Hadrien, eut pour résultat la "déjudaïsation"
de Jérusalem appelée désormais Aelia Capitolina, par l'interdiction
aux Juifs d'y résider. La Judée perdit toute importance au profit
de la Galilée; à Tibériade, une école rabbinique
s'installa pour étudier et fixer les textes "sacrés".
C'est là précisément qu'en 930 de notre ère Aaron
ben Acher publia le texte classique, adopté par toutes les communautés
juives.
En définitive, aucun Juif ne s'opposa d'une
manière quelconque à l'appropriation progressive de la Septante
par les principales communautés chrétiennes qui en firent leur
premier livre.
L'opposition vint d'un chrétien né
à Sinope, sur la Mer Noire, du nom de Marcion, fils d'une riche famille,
très instruit, opposé à l'ordre romain qui avait bouleversé
par ses conquêtes la vie de son pays soumis et provincialisé. Il
était devenu chrétien, c'est-à-dire insoumis en esprit,
sinon en acte. Il se préoccupait de la théologie du nouveau Sauveur
dont rêvaient les opprimés, même s'ils n'étaient pas
réduits en esclavage.
Marcion ne partageait pas l'amour de la principale
communauté chrétienne pour la Septante. Il se fixa dans la Ville
en 139 afin d'engager avec les "lettrés" les conversations
utiles à un renversement de leurs opinions et attachement au texte. Il
tenta pendant cinq ans de les convaincre que la Septante n'avait aucun lien
avec leur religion; il n'aboutit à rien et fut expulsé par la
communauté romaine en 144. A partir de cette date, au moins pour la communauté
concernée, l'appropriation du texte devint définitive. La renommée
de ce qui était romain, l'effet du nombre, l'influence exercée
firent que la décision romaine fut adoptée progressivement par
toutes les communautés chrétiennes. C'est à partir de cette
période, vers l'année 150 de notre ère, que des "lettrés"
anonymes écrivirent vraisemblablement les premières pages de ce
qui devint plus tard le Nouveau Testament.
Cette appropriation littéraire eut une
autre conséquence d'importance en ce que, à partir de l'an 150
environ, les Chrétiens, seuls dans tout l'Empire, prononcèrent
encore par leur lecture de la Septante, le nom de Jérusalem, devenue
Aelia Capitolina. L'appropriation littéraire s'accompagna ainsi d'une
appropriation (virtuelle) du territoire judéen. Jérusalem se mua
en la Capitale spirituelle de la chrétienté; les Chrétiens
s'imaginèrent comme le nouveau peuple élu. La même déréliction
créa chez eux les mêmes espoirs eschatologiques qu'autrefois chez
les Juifs , et la même psychose collective d 'une élection exclusive
par un nouveau dieu-sauveur, et non par Jeovah. Dans les années 330 de
notre ère, ce fut un acte de grande habilité politique de la part
de Constantin que de reconnaître cette dilection chrétienne pour
Jérusalem et de sembler la consacrer en détruisant les temples
édifiés précédemment par Hadrien, principalement
celui d'Aphrodite, pour les remplacer par des temples christianistes; il fondait
ainsi les Lieux Saints que les fidèles rêvèrent de visiter
en pélerinages individuels ou collectifs; même si la création
de ces Lieux Saints nécessita un long temps, du IVème au XVème
siècle, pour aboutir à l'organisation connue depuis lors.
Deux remarques s'imposent ici:
- d'une part,
l'importance prise par la Galilée comparativement à là
Judée vidée de toute vie significative depuis l'année 135.
La Galilée fut notamment la terre d'accueil des intellectuels religieux
judéens chassés de Jérusalem. Cette situation explique,
de fait, que Jésus ait été imaginé vivant en Galilée,
et non à Jérusalem; les Chrétiens ont été
désignés, pour la première fois, en l'an 362 par l'Empereur
Julien comme des Galiléens (4).
Ceci implique une rédaction tardive des évangiles d'origine à
partir de la seconde moitié du IVème siècle.
- d'autre
part, l'appropriation par les Chrétiens de leurs Lieux Saints n'a toujours
été que virtuelle. La ville-capitale des Christianistes a toujours
été Rome. Lorsque Etienne II fonda l'Etat Pontifical en 754 -756,
par la grâce de Pépin le Bref, il se présenta comme l'héritier
de Constantin et non d'un grand- prêtre juif ou d'un roi juif; il réclama
à ce titre quelques possessions italiennes tenues jusqu'alors sous l'autorité
de l'Empereur d'0rient. Il ne fut jamais question de Jérusalem ou de
la Palestine. Postérieurement, l'aventure des Croisades et de la Guerre
Sainte contre les Infidèles : Musulmans et Juifs, aboutit à la
création en 1099 du royaume latin de Jérusalem; la ville fut reprise
par Saladin le 2 Octobre 1187. Les rois d'origine occidentale ne furent plus
que des porteurs de titre; les dernières places fortes occupées
par les Croisés, Acre et Tyr, furent perdues en 1191.
L'existence d'une religion judéo-christianiste
est une vue de l'esprit.
4 Le
développement de l'esprit sectaire
L'appropriation littéraire de la Septante
alexandrine s'accompagna, donc, du développement d'une psychose collective
de nouveau peuple élu, qui devait marquer pour toujours le christianisme
et transformer cette religion, au nom de sa doctrine, en machine à assujettir.
Elle s'est toujours considérée comme la seule vraie, adorant le
seul vrai dieu, si bien que l'amour du prochain, prêché par ses
Maîtres, s'est continuellement manifesté par un embrigadement des
corps et des esprits, l'imposition de ses commandements, et non par l'attention
à autrui ou un effort de compréhension de ce que autrui pensait
et voulait. La règle formulée par l'évêque d' Hippone,
Augustin, résume l'attitude généralisée du christianisme
"Compelle intrare.... forces-les à entrer".
Dès que la pensée doctrinale des
principales communautés commença à s'exprimer, la lutte
contre les hérésies (5)
devint une préoccupation dominante entraînant des conflits d'idées
durcis par l'intransigeance des Chrétiens "lettrés",
les esclaves, à l'encontre d'autres Chrétiens "lettrés"
mais libres, instruits dans les écoles romaines, non dans les paedagogia.
La querelle marcionite est un exemple frappant de cette dureté avec laquelle
les Chrétiens s'opposèrent entre eux; dureté qui provoqua
des situations conflictuelles, parfois meurtrières. On ne chercha jamais
à comprendre les positions doctrinales de ceux qui étaient perçus
comme des adversaires, issus de classes sociales privilégiées,
même si opposés , eux aussi, au Pouvoir romain. Les Marcionites,
les Montanistes, les diverses communautés gnostiques d'Egypte furent
rejetés comme non Chrétiens, malgré la subtilité,
la recherche et la finesse de leurs principes doctrinaux.
L'orthodoxie exprimait finalement la Loi du nombre,
qui créait la puissance physique de la communauté considérée.
L'orthodoxie ne manifestait pas un souci du raisonnement; elle concrétisait
les sentiments de la masse illettrée; pour être reconnu comme un
vrai Chrétien, il fallait partager ces sentiments et les quelques déraisons
qu'ils entraînaient. Aucun écrit anti-chrétien ne fut épargné,
quelle qu'ait été la qualité de son contenu. Rédigé
ou dicté par Celse et plus tard par Plotin ou Porphyre, cet écrit
fut intégralement détruit.
"La
Foi n'est sûre d'elle-même qu'à condition de ne point s'interroger"
(A.Loisy)
Il se trouva, certes, des aristocrates pour diriger
les communautés chrétiennes, mais dans leur opposition à
la Société romaine prédominait leur opportunisme ou volonté
de puissance inassouvie. Ils cherchaient avant tout une occasion d'accomplir
leur destin au risque de leur vie, tel Cyprien, le pape de Carthage. La religion
chrétienne, telle qu'elle se définit à partir de 150, fut
entâchée par une intransigeance redoutable née de cette
idée d'exclusivité sotériologique, issue de l'appropriation
de la Septante alexandrine. Les communautés chrétiennes, et plus
tard le christianisme, furent pour toujours animées d'un esprit sectaire.
5 L'organisation
des Collegia
Le décret de 212 pris par Caracalla, en
accordant la citoyenneté romaine à tous les hommes libres dans
l'Empire, permit à tous les prolétaires chrétiens, quels
que fussent leurs pays d'origine, de se regrouper avec des esclaves chrétiens
en Collegia, régis par les textes législatifs de Marcien et Ulpien.
Il est utile de noter ici que ces dispositions
légales avaient été préparées et rédigées
matériellement par des esclaves-notaires en partie chrétiens et
que les communautés, jusqu'alors clandestines, pouvaient ainsi se préparer
à l'application de cette autorisation officielle de pratiquer en privé
leur culte. Le passage de ces communautés de la presque clandestinité
à une autorisation officielle leur permit de résoudre deux difficultés
qui concernaient:
- la première,
l'organisation concrète de la solidarité entre leurs membres,
une certaine répartition des biens put être ainsi codifiée.
- la seconde,
l'ensevelissement honorable des membres dans des catacombes ou autres lieux
propices acquis à cette fin par les Collegia. La perspective de ne pas
recevoir un culte funéraire convenable constituait pour les esclaves
la peur extrême d'être privés de toute "survie"
après la mort.
Si bien que la désignation, par les membres
d'un collegium, du Chef-surveillant, exigé par la Loi pour l'application
d'une stricte discipline lors des réunions (ce surveillant était
épiscopus ou évêque, celui qui regardait de tous côtés),
cette désignation se portait généralement sur la personne
dont la fortune garantissait les possibilités d'acheter les champs funéraires
requis par la collégialité. Comme ces chefs-surveillants devaient
aussi créer des relations avec l'Administration impériale pour
rendre compte de l'activité des groupes, ils étaient choisis pratiquement
toujours parmi les personnes de rang social élevé; il n'y eut
jamais d' évêques esclaves, même "lettrés";
par contre, il y eut quelques rares cas d'affranchis richissimes, tel Calixte
nommé évêque à Rome en 212, qui put offrir à
sa communauté les emplacements de catacombes étendues.
Les Collegia prirent donc la forme de structures
étroitement hiérarchisées. En fonction de l'importance
de la communauté considérée, le pouvoir disciplinaire de
l'évêque était relayé par les prêtres-adjoints
et par des cadres nommés pour assurer la vie quotidienne de la communauté,
notamment les diacres et les lecteurs; les prêtres étaient choisis
parmi les anciens (presbuteroï) et chargés du culte. Les membres
étaient divisés en catégories suivant leur situation personnelle,
pàr
exemple, les veuves, les vierges etc...
Dans les autres cultes, tel le culte isiaque,
le personnel attaché à un temple limitait ses interventions à
conseiller les fidèles pour qu'ils puissent atteindre un plus haut degré
de vertu, puis à accomplir pour eux,ou sur eux, les rites correspondants.
Dans les communautés de chrétiens, l'évêque imprimait
son autorité sur les actes de chacun dans la vie courante par le truchement
de la magie des sacrements, notamment de la confession. La surveillance des
conduites individuelles aboutissait à un embrigadement typique qui créait
de façto un parti chrétien fortement caporalisé, dont l'existence
et les possibilités d'action convainquirent Constàntin à"
se convertir".
L'Administration impériale obligeait aussi
les Collegia à terminer leurs réunions par une prière pour
la bonne santé de l'Empire et de l'Empereur, compte tenu des craintes
superstitieuses de la population. Ce fut une disposition capitale dans l'évolution
des mentalités chrétiennes à l'égard du régime
politique impérial; c'est ainsi qu'au bout d'un siècle (212 à
313) ils acceptèrent d'être non plus les opposants à ce
régime, mais ses sujets fidèles, dévoués au culte
constantinien, puis à ses successeurs.
6 La Conversion
à Constantin
La persécution de Dioclétien à
partir de 303 précipita l'évolution jusqu'à son terme en
313, pour l'Occident; la raison se situe en la différence de nature entre
cette opération et les deux persécutions précédentes:
celle de Dèce en 250, et celle de Valérien en 257. Le but poursuivi
était assurément identique: renforcer l'unité de l'Empire
en demandant aux citoyens de manifester leur soumission à l'Empereur
par un geste indiqué. Toutefois, les décrets de Dèce et
Valérien ne touchaient que la population des citoyens de droit; les esclaves
n'étaient pas concernés; le cas de Blandine, sous Marc-Aurèle
en 177 à Lyon, constitue une exception. Dioclétien y ajouta une
censure très sévère à l'encontre des livres "sacrés"
chrétiens dont les esclaves fonctionnaires "lettrés"
étaient à la fois, les rédacteurs, les lecteurs et les
conservateurs. Ils étaient donc pour la première fois directement
menacés dans leur vie.
Le départ de Dioclétien en 305 ne
modifia en rien la situation. Dans le cadre institué par lui du partage
du pouvoir, Constantin fut nommé "Auguste" par son père
Constance Chlore, qui décéda à York en Juillet 306. Par
ailleurs, Maxence, fils de Maximien, déçu du sort qui lui fut
réservé, se révolta et se proclama Empereur à Rome
le 28 Octobre 306; il reconnut Constantin comme "Auguste". Constantin
vécu entouré de sa cour à Trèves, principalement,
jusqu'en 312; il traversa alors les Alpes et battit les armées de Maxence;
il se présenta devant Rome à l'automne. Maxence mourut dans l'écroulement
du pont Milvius le 28 Octobre 312 au terme de la dernière bataille qui
l' opposa à Constantin. Celui-ci prit le titre d' Empereur d' Occident;
la persécution anti-chrétienne cessa définitivement dans
cette partie de l'Empire au début de l'année 313.
Que s'est-il passé de 306 à 313
? Nous sommes d'autant moins enclins à constater une "Conversion"
de Constantin à 1a religion chrétienne, qu'il se désigna
dès l'année 307 comme Pontifex Maximus, signifiant ainsi son origine
divine et son rôle d'intermédiaire naturel entre les dieux et les
hommes. Constantin ne fut assurément pas l'homme décrit par les
hagiographes chrétiens, Eusèbe de Césarée notamment.
Leurs louanges démesurées exprimaient leurs remerciements et simultanément
sollicitaient des gratifications plus substantielles de la part de l'Empereur.
Constantin était reconnu comme un chef
militaire doué, mais aussi comme un manipulateur déterminé
et sans scrupule (6), donc un homme
très intelligent. La persécution-censure de Dioclétien
tendait, à terme, à priver l'Administration impériale d'un
grand nombre de ses fonctionnaires, elle conduisait à une impossibilité
de gouverner. Il fallait, donc, non pas chercher à abattre l'obstacle
représenté par la religion chrétienne, mais le contourner
et l'assimiler. En outre, une reconnaissance de la primordialité du travail
servile pour l'économie de l'Empire pouvait aisément confirmer
Constantin dans sa première réflexion relative aux fonctionnaires;
il devenait urgent, politiquement parlant, de s'assurer l'appui des Chrétiens,
dont pratiquement tout dépendait. La nature étroitement hiérarchisée
des organisations chrétiennes constituait, en outre, un atout potentiel
important pour toute personne, affamée de pouvoir, qui saurait faire
de ce conglomérat d'associations un parti politique unique.
Il ne s'agissait pas de supprimer l'esclavage,
cette pensée mettra 15 siècles à mûrir après
Constantin. Il fallait faire accepter leur état de servitude par les
intéressés pour le plus grand bien de l'Empire.
La vie entière de Constantin fut dominée
par une seule passion, celle du pouvoir, qui le conduisit à mener des
guerres incessantes contre ses rivaux jusqu'en 324, date de sa victoire définitive
à Chrysopolis sur Licinius. Il s'était fait le seul Maître
de l'Empire romain. Il fit tuer Licinius en 325, malgré sa promesse de
le laisser vivre comme un citoyen ordinaire. Licinius avait été
son adversaire le plus déterminé, prétendait égaler
Constantin en tout, et arborait le chrisme sur ses étendards, bien que
persécutant les Chrétiens.
En 326, à Pula en Istrie, Constantin assassina,
ou fit assassiner, son propre fils Crispus né d'un premier mariage. Crispus
avait joué un rôle majeur dans la guerre contre Licinius. Constantin
prit prétexte d'un adultère pour se débarrasser d'un adversaire
potentiel. Sa seconde épouse; Fausta, fut "suicidée"
dans un bain trop chaud, disait-on, de peur qu'elle ne dévoila les raisons
véritables de l'assassinat de Crispus. Bref, l'homme était véritablement
affolé par le pouvoir, et les mesures prises en faveur des Chrétiens
résultaient d'une politique choisie pour assurer à Constantin
le concours d'une minorité urbaine importante et active.
Du côté chrétien, notamment
du côté des fonctionnaires "lettrés", la persécution
de Dioclétien entraîna des conséquences comparables à
celles des persécutions précédentes; il y eut très
peu de "martyrs" véritables et les bibliothèques de
livres "sacrés" furent pratiquement toutes détruites;
l'impératif était de vivre. Aussi bien, la tièdeur remarquée
mise par Constantin dans l'application des mesures ordonnées par Dioclétien
( les destructions massives de livres permettant de sauvegarder les vies) fut-elle
ressentie comme une sorte "d'ouverture de discussion" propice à
des alliances secrètes.
En toute hypothèse, Constantin ne pouvait
se "convertir" à aucun autre dieu. que lui-même; détenteur
suprême d'un pouvoir totalitaire et théocratique, il s'est considéré
dès l'année 307 comme Pontifex Maximus, c'est -à-dire d'origne
solaire, de la famille du Sol invictus; c'est en divinité solaire qu'il
fut statufié à Constantinople, de son vivant, son effigie en haut
d'une colonne de pierre rouge éclairant de ses rayons l'intégralité
de l'Empire. Il était Christos, l'oint de Dieu; le chrisme sur ses bannières,
monnaies et médailles, proclamait en signe de ralliement qu'il était
dans l'Empire le représentant unique du Dieu unique auquel chacun devait
obéissance.
Après sa mort, sa divinisation par le Sénat
romain complèta les cérémonies de son enterrement.. Son
sarcophage fut déposé au centre de l'église des Saints
Apôtres à Constantinople, qui abritait douze faux sarcophages symbolisant
les douze divinités zodiacales; cette église avait été
édifiée par Constantin pour lui servir de mausolée. L'emplacement
de son sarcophage au centre du monument manifestait son statut de dieu-solaire,
éclairant le zodiaque tout entier.
Les Chrétiens, et d'abord les fonctionnaires-esclaves
"lettrés" très influents dans la masse servile, étaient
trop conscients de ce qu'ils devaient à Constantin pour ne pas se sentir
liés à lui, non par une simple obligation d'obéissance,
mais par un sentiment nouveau de reconnaissance appelant leur dévouement.
Ce dévouement signait une sorte de "trahison des clercs", dévoyant,
par un retournement complet, l'opposition originelle à la Société
romaine en un appui éclairé et actif aux structures impériales.
Ils devaient à Constantin non seulement la vie, mais le maintien des
avantages liés à leur fonction, en particulier leur salaire.
De plus, s'ils avaient toujours rêvé
d'un Sauveur Unique, image magnifiée de Spartacus impérator divin,
ils n'avaient jamais décrit ce Sauveur comme un Christos. Qu'aurait bien
pu signifier la bénédiction de leur Dieu par ce dieu lui-même!
Ce qualificatif ne pouvait s'appliquer qu'à un homme représentant
la divinité du fait de son pouvoir, c'est-à-dire à un Roi
ou à l'Empereur des Romains et non à Dieu lui-même. Dans
la mesure où Constantin se proclamait le Christ du Dieu Unique, les Chrétiens
ne disposaient d'aucun contre-argument, puisque ce Dieu Unique pouvait parfaitement
s'identifier à leur Sauveur Unique. Le qualificatif de Christos, employé
déjà par Euripide au Vème siècle avant notre ère,
n'avait aucune consonnance chrétienne; Licinius arborait le chrisme sur
ses étendards, et persécutait les Chrétiens dans lesquels
ils voyait des agents de Constantin.
En définitive, il y eut une conversion
chrétienne à la christianisation constantinienne, transformée
tardivement par les hagiographes christianistes en une conversion de Constantin
à la religion chrétienne. La preuve en fut que l'Empereur présida
personnellement à l'organisation et à la vie de l'Eglise, vie
qu'il facilita par des subventions généreuses et des constructions
d'édifices ( les basiliques ou maisons de l'Empereur devinrent les plus
anciens monuments de l'Eglise romaine) Dès qu'il fut devenu, en l'an
324,le seul Maitre de l'Empire, Constantin en fit un corps constitué
autour d'une doctrine commune, élaborée sous sa direction au premier
Concile de Nicée en 325, dont les décisions furent publiées
comme lois de l'Etat. Pour ne pas modifier les habitudes séculaires.,
on continua d'appeler chrétiens ceux qui étaient devenus christianistes.
Constantin fut statufié jusqu'au Xllème siècle de notre
ère, au-dessus des porches de nombreuses églises romanes, comme
le fondateur de cette religion.
La christianisation de l'Empereur devenait le
culte de l'Empereur, le summum du culte impérial, tel qu' aucun empereur
avant Constantin n'avait osé en rêver. C'était la religion
du Pouvoir, donc de l'obéissance pour tous les Romains transformés
en fidèles.
Certes, une évolution se produisit après
la mort de Constantin. Le Dieu Unique devint son hypostase céleste "l'Empereur
céleste et Seigneur de Majesté", comme le proclama le quatrième
Concile oecuménique de Constantinople en 869. Déjà, en
382, l'Empereur d'Occident âgé de moins de 20 ans, Gratien, avait
abandonné son titre de Pontifex Maximus, à la suite des vives
pressions exercées sur lui par Ambroise, évêque de Milan.
Le titre fut récupéré par Léon 1er. évêque
de Rome en 440. Ambroise jugea Théodose le Grand Empereur d'Orient pour
le génocide de Thessalonique, et le fit s'agenouiller devant lui à
Noël 390 en recevant l'assurance de la persécution des "païens".
La religion romaine causait ainsi ses premiers ravages cachant, sous les fastes
de ses rituels, l'acuité des volontés de puissance en lutte pour
l'exercice du pouvoir. Enfin, consécration dernière, en 754 -756,
Etienne II fonda les Etats pontificaux en se proclamant, même si faussement,
l'héritier de Constantin. Depuis lors, aucun pape romain n'a renié
cet héritage; en tant que Vicaire du Christ, chaque nouveau pape, vêtu
de blanc et or éclatant, se proclama le nouveau Soleil, le nouveau représentant
de Constantin, affirmant ainsi sa volonté d'édifier un gouvernement
universel des corps et des esprits.
Médaille en or. Bustes accolés de Constantin et Sol Invictus
Références
bibliographiques
(1) Cf. Andrea Giardina -"L'homme romain" édité par
Le Seuil - Paris; lire particulièrement la page 193 RETOUR
(2) Cf. Maurice Sartre -"L'Orient romain" édité par
Le Seuil - Paris; voir page 430
Cf. Luciano Canfora -"La véritable histoire de la Bibliothèque
d'Alexandrie" édité chez Desjonquières RETOUR
(3) Cf. Marguerite HarI -"La Bible grecque des Sëptante" édité
par Cerf -Paris RETOUR
(4) Cf. L'Empereur Julien -"Contre les Galiléens" Traduction
de Christopher Gérard, éditeur Ousia RETOUR
(5) Cf. Jacques Gaultier -" Table chronographique de l'Etat du christianisme"
éditeur Pierre Rigaud à Lyon en 1626
l'auteur, membre de la Compagnie de Jésus, décompte environ
70 hérésies au cours du premier siècle depuis la naissance
de Jésus Christ (?) RETOUR
(6) Cf. Chris Scarre -"Chronique des Empereurs romains" édité
par Casterman RETOUR
voir particulièrement page 213
.
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