Le Christ devant Pilate ( Le TINTORET )


QUESTIONS DE CHRONOLOGIE CHRETIENNE
IV   
L'ERREUR DU JUDEO-CHRISTIANISME


      I   Brève histoire des origines de la religion chrétienne
     II  La question de Pâques
     III  L'invention de l'ère chrétienne
     IV   L'erreur du judéo-christianisme
 
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La bombe de l'apocalypse ( S DALI )

 

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            SOMMAIRE
A) L'ORIGINE ROMAINE DU CHRISTIANISME
B) LA HAINE DES JUIFS POUR JESUS
C) L'UTILISATION DE LA SEPTANTE
D) DES ACTES D'APOTRES
E) L'ANTI-JUDAISME CHRETIEN
F) L'INVENTION DU JUDEO-CHRISTIANISME
G) DIFFUSION DU CONCEPT
H) ROLE DES INSTITUTIONS UNIVERSITAIRES

       A      L'ORIGINE ROMAINE DU CHRISTIANISME

     Nous avons dû fréquemment recourir pour nous documenter à "L'histoire ancienne de l'Eglise", volumineux travail de Mgr.Duchesne, connaisseur érudit des sources anciennes, indiscutable autorité dans son domaine, même s'il écrit dans le premier quart du XXème siècle. Le dernier tome relatif à "L'Eglise au V1ème siècle" traite en son 7ème chapitre du césaropapisme, à propos de Justinien, et précise (p.261) : " l'Empire est tout entier chrétien; la religion chrétienne est sa religion publiquement professée, propagée et défendue par l'Etat; en lui on ne peut que voir le pays d'origine et le principal domaine de l'Evangile. Dans l'Empire, l'Empereur est le tuteur de l'Eglise et comme son chef extérieur...."
     Si, dans l'Empire romain Orient et Occident confondus, on ne peut que voir le pays d'origine de la religion chrétienne, celà nous conforte dans l'opinion que, à la fin du dernier siècle avant notre ère et dans le 1er.siècle de notre ère, cette ère vulgaire étant calculée à partir de la construction de Rome, la religion chrétienne existait potentiellement dans tout l'Empire. Cette allégation très vraisemblable nous renvoie à la question de la Pâque et aux calculs annuels de la néoménie de l'équinoxe vernal, pour constater que, même pour déterminer cette lunaison, les Tables alexandrines adoptées par Rome en 526 ne font référence à aucun élément du calendrier juif, mais s'appuient sur le cycle lunaire de 19 ans inventé par Méton, astronome athénien du Vème siècle avant notre ère.
      Les Chrétiens n'ont pris à la religion juive que le nom de la fête; celle-ci représentait pour eux la fête la plus importante de leur calendrier religieux; est-ce une raison suffisante pour affirmer que les deux religions étaient confondues à l'origine et qu'en conséquence tout Chrétien est un Juif, tout Juif un Chrétien?

            B LA HAINE DES JUIFS POUR JESUS

     Nous revenons donc aux sources constituées par les écrits canoniques des Chrétiens pour remarquer que selon leurs propres pasteurs actuels: " la Bible a été écrite par des croyants pour des croyants.......Dans la Bible, ne cherchons pas l'Histoire, mais l'Histoire Sainte...." (1) Qu'est-ce qu'une histoire sainte, sinon une hagiographie ? C'est-à-dire des récits légendaires incorporant quelques faits connus. Ces pasteurs pensaient consolider leur prédication en la situant d'emblée dans l'irrationnel, alors que toute religion doit se fonder sur la raison, et non sur la superstition, la magie, le miracle et les fantasmagories peintes , ou sculptées.

      La religion est une recherche de plus- être, une action ontologique telle que définie depuis l'Antiquité par de si nombreux philosophes; elle n'est pas une doctrine légitimant ou, mieux, sacralisant le pouvoir des puissants au service desquels ses prêtres s'emploient pour obtenir une obéissante passivité de leurs "sujets". Finalement, ces pasteurs, adeptes du principe d'autorité, confirment ce que Edouard Reuss a établi, il y a environ un siècle et demi; les évangélistes n'ont pas écrit une biographie de l'homme Jésus.
                        Mais, faisons comme si ! ...
      L'homme Jésus est présenté au lecteur des Evangiles comme un Galiléen. .Selon Joseph Halévy, la Galilée, étymologiquement Gelil Haggoyim - cercle des Païens - est le pays des étrangers voire des ennemis. C'est un très ancien pays cananéen, autrefois incorporé au royaume du Nord, Israël, royaume disparu depuis la fin du Vlllème siècle avant notre ère. Il fut occupé et férocement colonisé par les Hasmonéens au commencement du dernier siècle avant notre ère; ceux-ci imposèrent aux habitants leur religion juive, pensant que la force suffirait à créer la croyance en Yhawhe.
      Les Judéens, ou Juifs du Sud, avaient si peu d'estime pour les Galiléens en général et Jésus en particulier que, dès le début de sa vie publique et ses premiers miracles, les pharisiens "réunirent aussitôt un conseil avec les Hérodiens contre (lui), afin de le faire périr" (Marc III -6); un peu plus tard les scribes venus de Jérusalem disaient: " il a Beelzéboul. C'est par le chef des démons qu'il chasse les démons" (Marc III -22). Beelzéboul était le Baal des phéniciens, traité ici de fumier.
      Jésus représentait un ennemi religieux pour les Judéens. Si donc la religion chrétienne trouve ses véritables origines dans la doctrine du Galiléen Jésus, comment pourrait-elle se confondre avec celle des Juifs qui traitait celui-là d'adorateur de "Baal le fumier", et le firent à la fin mourir sur la croix ?

          C     L'UTILISATION DE LA SEPTANTE

     Mais il y aurait, dit-on, une origine commune des deux religions en ce qu'elles tiendraient le même livre pour Ecriture sacrée: La Septante. Il convient donc de rappeler à ce sujet que:
           - La Septante était destinée à permettre à l'Administration du Pharaon d ' Egypte d'appliquer aux très nombreux Juifs d'Alexandrie, qui parlaient le grec exclusivement, la Loi et les usages dont ils se réclamaient. Avant d'être un livre religieux commenté dans les synagogues égyptiennes, et peut-être quelques autres dans la Diaspora, c'était un texte juridique et judiciaire rangé dans la bibliothèque du musée d'Alexandrie.
           - En Palestine, du temps supposé de Jésus, les livres saints étaient rédigés exclusivement en hébreu; la langue vernaculaire, utilisée et parlée par toute la société, était l'araméen, d'où l'obligation de traduire immédiatement l'hébreu en araméen à chaque lecture dans une synagogue. Ni Jésus, ni ses disciples n'auraient pu connaître la Septante : parlaient-ils le grec ? oui, celui de la Koïné, le langage populaire de l'Empire. Etaient-ils instruits du grec technique et littéraire ? certainement pas. (Actes IV -13)
           - Les rabbis judéens, dans leur immense effort pour reconstruire leur religion après la catastrophe de 70, la destruction de Jérusalem et de son Temple par Titus, n'admirent ,jamais, la Septante au rang de leurs livres sacrés; quelques uns d'entre eux traduisirent, de l'hébreu en grec, une Bible juive, au début du 2ème siècle de notre ère.
           - Enfin, tous les traducteurs actuels de la Septante parlent d'une appropriation du texte par les Chrétiens. Pour s'approprier quelque chose, il faut exister; cette appropriation fonde l'existence d'au moins une préhistoire spécifiquement chrétienne et non judéo-chrétienne.

                  D        DES ACTES D'APOTRES

     Il y aurait surtout les "Actes d'Apôtres" livre sacré des Chrétiens, qui ne parlent que de la Palestine comme lieu d'origine de leur religion; celle-ci aurait donc été juive. C'est considérer ces Actes comme un livre d'histoire, ce que refusent à bon droit les pasteurs catholiques de notre temps. En fait, le livre, malgré son titre, ne parle pas "d'Apôtres"; un apôtre est un envoyé, un missionnaire; l'Evangile dit de Marc (XVI -15,20) montre les disciples de Jésus " quant à eux, ils partirent prêcher partout " exécutant immédiatement l'ordre de leur Maître:
             " Allez par le Monde entier., proclamez l ' Evangile à toutes les créatures "
     Dans les " Actes " les disciples reviennent après l'Ascension au Mont des Oliviers à Jérusalem, et s'enferment " dans une chambre haute ", se confinant en prières, donnant un successeur à Judas et attendant l'Esprit Saint, qui vint à la Pentecôte; Ils exécutèrent alors l'ordre reçu: " vous serez mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la Terre".
      De quelle Terre s'agit-il ? A l'évidence, de l'Empire romain; mais, seul, Paul Juif de Tarse et citoyen romain ira à Rome pour se faire juger par un tribunal impérial. On ne saurait mieux dire qu'il n'y avait aucun lien entre cette personnalité juive et le mouvement des affidés de Chrestus décrit par Suétone sous l'Empereur Claude.

     Ce livre conte aussi le récit d'Actes d'Apôtres autres que Paul, magnifié par un hagiographe. Cependant le chiffre de 12 marque une indétermination symbolique par référence au 12 divinités zodiacales. Pour évangéliser la " Terre entière ", même cernée par les frontières connues de lEmpire romain, il aurait fallu des milliers de missionnaires, instruits, sachant quel pays ou région visiter, exécutant un ordre précis, au lieu des paroles trop vagues du Christ avant son Ascension. Notons toutefois que l'auteur de la première épître aux Corinthiens, telle qu'elle nous est parvenue, précise que Jésus-Christ ressuscité est apparu à plus de 500 frères à la fois (XV -6). Ajoutons que l'épisode de l'enfermement de Saul à Damas et son échappée, de nuit, dans une corbeille parce que " les portes de la ville sont gardées jour et nuit " (Acte IX -21, 25) rend totalement irréaliste la scène de l'arrestation de Jésus, de nuit, dans l'oliveraie de Gethsémani : Jérusalem était aussi une ville fortifiée, ses remparts percés de quelques portes gardées jour et nuit par des soldats romains; ceux-ci n'auraient jamais autorisé une troupe juive armée,à sortir, -,ce qui pouvait signaler, au moment de la Pâque, le début d'une émeute, qu'ils avaient pour consigne d'empêcher.

                         E    L'ANTI-JUDAISME CHRETIEN

     Assurément, il y avait à Rome, depuis les campagnes de Pompée en Asie Mineure, Syrie, Palestine et jusqu'àJérusalem , des milliers d'esclaves juifs d'autant plus désespérés et avides d'une revanche contre les Romains et contre Yhawhé que celui-ci les avait lâchement abandonnés au moment où ils luttaient pour son culte; pensaient-ils que la puissance de leur Dieu ne pouvait rien contre l'accumulation de sacralité manifestée par la multitude des temples de Rome ? Il leur fallait une autre espérance, un autre Sauveur comme à tous les affidés de Chrestus. En Asie Mineure, Syrie et Palestine, existaient aussi d'autres esclaves possédés par les Romains, et d'autres hommes libres, opprimés, rêvant d'une libération prochaine, de " lendemains qui chantent" , pré-chrétiens enclins à l'insoumission. La révolte des Juifs restée strictement juive, alimentée par leur religion nationaliste, aboutit à un désastre sans nom, qui priva un peuple d'une Patrie pendant 2.000 ans.
      Les Chrétiens restèrent des insoumis pendant deux siècles jusqu'à ce que leurs " lettrés" pactisent avec un Empereur romain habile en politique, qui sut leur faire accepter la christianisation, c'est-à-dire sa divinisation de son vivant. On voit bien, là, quelle différence essentielle sépare la religion juive et la religion chrétienne. La première est une religion strictement nationale et nationaliste, par la pratique de laquelle les Juifs restèrent un peuple soudé malgré les diasporas, habités par l'espoir de retrouver leur Patrie, un espoir entretenu par la psychose collective du peuple élu de Yhawhé. La religion chrétienne fut et demeure la religion de l'Empire romain, animée par le principe d'Autorité, voyant une image de son Dieu en toute personne ayant un commandement; son objectif consistait, non pas dans la reconquête d'une Patrie comme les juifs, mais dans l'obtention d'une place au Ciel pour chacun de ses fidèles, méritée par l'obéissance à ses commandements.

     Ici, vient naturellement la constatation que la religion juive, si exclusive, ne chercha jamais à convertir en masse d'autres populations, cela aurait eu pour effet d'incorporer dans le peuple juif, des étrangers, des goyim, pour lesquels le Monde n'avait pas été créé : d'après le récit de la Genèse, Adam, le premier homme à " l'image de Dieu ", aurait engendré directement la race juive, en deçà et au-delà du Déluge. Cette religion si étroitement nationaliste fut, durant tout l'Empire romain, acceptée par les Autorités comme religio licita; sans doute, quelques bandes de moines chrétiens après le IVème siècle, pourchassant des "païens", s'en prirent-elles de surcroît à des Juifs, mais ceux-ci n'ont jamais connu de persécution organisée et poursuivie pendant plusieurs siècles. Une seule loi fut spécifiquement édictée à leur encontre par les autorités romaines: l'interdiction de posséder des esclaves chrétiens; comme la très grande majorité des esclaves était chrétienne, les Juifs durent abandonner toute profession exigeant de la main-d'œuvre pour se replier sur des occupations qui pouvaient s'exercer dans un cadre familial élargi, entre Juifs : banque, prêt sur gage, commerce etc... Par la suite, les Carolingiens, aussi fervents Chrétiens que les Empereurs de Constantinople, et créateurs de l'Etat pontifical de Rome, protégèrent ouvertement la population juive, et permirent le développement de communautés importantes à Narbonne, Limoges, Rouen..., dirigées par des "messies".      Historiquement parlant, l'anti judaïsme chrétien se manifesta de façon sanglante, pour la première fois, à l'occasion de la première croisade en 1096; les bandes entraînées par Pierre l'Ermite rançonnèrent des Juifs et les martyrisèrent dans les hautes vallées du Rhin et du Danube.
      Ceci pose avec insistance la question de l'anti judaïsme chrétien. Il faut bien l'admettre : si, historiquement, les Juifs avaient été le peuple assassin du Dieu-Homme chrétien, tout deviendrait incompréhensible, à moins que les mots n'aient plus aucun sens; par exemple:
           - La collaboration scientifique établie par Origène et Jérôme, entre autres, avec des philologues juifs; ceux-ci auraient dû naturellement attiser contre eux-mêmes la répulsion extrême que des Chrétiens instruits auraient éprouvée à l'égard des bourreaux meurtriers de leur Dieu et leurs descendants.
           - Le silence absolu du Concile de Nicée; quatre siècles après la mort supposée de Jésus, il s'est contenté dans son Credo de parler d'une façon générale de la souffrance, en tant qu'homme, de son Dieu incarné; mais il n'a mentionné ni sa naissance à Bethléem le 25 Décembre 753 de la création de Rome, ni sa mort à Jérusalem, ni sa croix, ni son tombeau; comme si la vie réelle, historique de son Sauveur n'avait aucune importance, comme si tout n'était que symbolique.
           - La mansuétude extrême de l'Etat romain une fois devenu entièrement chrétien; les Juifs auraient dû être considérés comme des insoumis par nature et pourchassés jusqu'à l'extinction de leur race, puisqu'ils auraient tué le Christ " Empereur céleste et Seigneur de majesté "; tandis que cet Empire persécutait ses propres sujets fidèles à leurs cultes ancestraux.
           - Le maintien de la qualité de citoyen romain accordée aux hommes libres juifs par Caracalla, alors qu'ils incarnaient dorénavant une hostilité absolue à l'encontre de l'Etat romain chrétien etc...

     Tout semble bien intervenir comme si le déicide juif avait été inventé très tardivement pour dissimuler les vraies raisons de l'anti Judaïsme de l'Eglise du Christ-Roi.
      C'est aussi un fait acquis que les Conciles œcuméniques, à compter de celui de Nicée en 325, ne s'inquiétèrent nullement de la situation des Juifs, avant ceux de :
           - Latran III en 1179; dans le "canon" 26 à propos du crime de l'usure, le Concile renouvelle l'interdiction faite autrefois aux Juifs " d'avoir dans leur maison des esclaves chrétiens ". Il faut soumettre les Juifs aux Chrétiens et " que ceux-ci les protègent par pure humanité ".
           - Latran IV en 1215; le Concile durcit la doctrine en matière d'usure, stigmatise " la perfidie des Juifs "; " pour qu'ils n'épuisent pas les richesses des Chrétiens ", le Concile va jusqu'à interdire aux Chrétiens tout commerce avec les Juifs; ces derniers sont déclarés inaptes à tenir des emplois publics, et ne doivent plus s'habiller comme les Chrétiens pour éviter toute confusion.
      Auparavant, le Concile de Nicée II en 787 s'était préoccupé de la conversion des Juifs, leur avait interdit d'acheter des esclaves avant de se convertir d'un cœur sincère et " de ne plus pratiquer dans l'ombre le Sabbat et autres coutumes juives ". Mais comment un Juif, meurtrier du Dieu chrétien, pourrait-il se convertir d'un cœur sincère, alors qu'il incarnerait le mal absolu? S'il se convertissait, ce ne pourrait être que par intérêt et pour obtenir la levée d'une interdiction comme celle d'acheter des esclaves. Il y a là comme une contradiction..Le souci d'humanité manifesté en 1179 nous ramène, à vrai dire, 30 ans auparavant lorsque Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, rédigea son traité " Adversus Judaeos ". Pierre le Vénérable était un personnage de la plus haute importance, qui pratiquement traitait le Roi de France Louis VII en égal. Il était hostile aux Juifs pour des raisons très contraignantes menaçant directement la vie de son Ordre.
      La première croisade avait en effet mobilisé des dizaines de milliers de chevaliers; ceux-ci pour couvrir leurs frais de voyage et ceux de leurs compagnons, eurent besoin de monnaie en un volume global tout à fait imprévu. Ils se tournèrent naturellement vers les Ordres pour leur vendre tout ou partie de leurs biens, ou leur emprunter sur gages les espèces nécessaires. Les Ordres monastiques capitalisaient pour tout l'Occident, et amassaient de très grandes richesses mais sous forme de métaux d'or et d'argent, pierreries, tissus précieux, objets d'art, statues reliquaires etc...; leur trésorerie en contrepartie n'était pas très fournie. Ces Ordres durent donc pour financer la Croisade se procurer la masse monétaire demandée, en empruntant à leur tour sur gages, auprès des banquiers, juifs, pour la plupart, de telle sorte qu'il y eut comme un transfert de puissance capitaliste. Tous les chevaliers ne revinrent pas de Jérusalem après 1099; ainsi les couvents ne purent pas rembourser tous les emprunts, et des gages importants restèrent entre les mains des Juifs, à tel point que, selon R.Simon en 1681 : " les grandes usures qu'on leur permettait d'exercer ...les avaient rendus si puissants qu'on fut enfin obligé de les détruire ".
      La question est donc crûment posée; elle n'est pas celle d'un déicide mais d'une surpuissance financière juive qui menaçait concrètement la surpuissance des Ordres monastiques, un des fondements de la Société du Moyen Age.
      Pierre le Vénérable, soucieux du rayonnement de son Institution internationale écrivit au Roi de France Louis VII et rédigea son traité " Adversus Judaeos " dans les années 1146. Il fallait récupérer les richesses et, pour ce faire, Pierre développa l'argumentation suivante: les Juifs sont, comme on le sait, les meurtriers de Notre Seigneur; il ne convient pas toutefois de les éliminer, pour que leur présence nous rappelle sans cesse les souffrances de notre Dieu. Il faut par contre les exproprier par la force, redistribuer leurs biens aux Etablissements religieux, et les réduire en état de serviteurs des Chrétiens.
      Mais qu'était-il besoin de transformer les Juifs en mémento perpétuel de la mort du Seigneur ? N'a-t-on pas depuis onze siècles les évangiles ? Leur lecture ne suffirait-elle pas à nous rappeler continuellement le drame de la Croix ? Leur témoignage de " Livres sacrés ", inspirés par l'Esprit Saint, ne serait-il plus crédible ?
      La solution avancée par Pierre le Vénérable ne peut s'appuyer que sur une seule constatation: le silence absolu des évangiles, à ce sujet-là, en ce moment là. Malgré son argumentation serrée, Pierre le Vénérable n'obtint ni l'asservissement des Juifs ni leur appauvrissement, ni le rétablissement de son Ordre dans sa splendeur ancienne. En outre, il ne paraissait pas très assuré de la mort du Christ sur sa croix, puisque, seule, une extermination totale du peuple juif aurait pu effacer son supposé déicide. Par contre, il semblait dénoncer les pogroms meutriers de 1096, exactions de racketteurs mafieux couvertes par la Croisade. La première Croisade avait été prêchée en 1095 par Urbain II, ancien moine de Cluny, comme une guerre sainte contre les Infidèles, Mulsumans et Juifs, qui occupaient indûment, disait le Pape, les Lieux Saints chrétiens. Comment ne pas considérer les Juifs habitant l'Occident comme des Infidèles, c'est-à-dire des ennemis de Dieu, alors que, bien avant la Croisade, ils suscitaient une telle crainte et une telle haine-envie dans les couvents ? Les déclarer responsables de la mort du Christ justifiait pleinement leurs tortures et leurs bûchers, puis le vol de leurs richesses.

     L'on peut fixer comme suit, semble-t-il, l 'état des croyances chrétiennes au milieu du Moyen Age, c'est-à-dire à l'an mille:
           Christ, Fils du Dieu unique, engendré et non créé, devenu homme, a souffert, a été  mis en croix pour notre Salut, est ressuscité le troisième jour, est monté au Ciel,   d'où il viendra à la fin des temps juger les vivants et les morts. Christ est  essentiellement: " Empereur Céleste et Seigneur de Majesté " (Concile de Constantinople IV en 860) C'est le Dieu des Armées, le Dieu de toute puissance  qui fonde toute Autorité. En même temps, il est le Sauveur de l'humanité, et   féconde la Terre entière par son sang. Cette figure de Dieu de la Fécondité est magnifiquement représentée par une illustration de l'Evangéliaire d'Edesse, dit de  Rabula, que l'on date conventionnellement de la fin du Vlème siècle; la même   iconographie s'est multipliée en Occident, avec une figuration habituelle du Soleil et la Lune, principes de la Fécondité, du partage du pain (la Cène), jusqu'au tout  début de l'an mille.

     Et, là, se situe dans l'histoire de la religion chrétienne, la première mort de son Dieu:
     Les "grandes faims" de 793, 850, 868, 896, 1005 et 1032 furent la conséquence de conditions climatiques catastrophiques, et d'une insuffisance persistante des techniques agricoles; à chaque moisson, les récoltes compensaient à peine les semailles. Il s'en suivit des famines indicibles, qui conduisirent les paysans à la démence des pratiques anthropophagiques. On tua des hommes pour se nourrir, on vendit de la chair humaine aux marchés des villages.
     Finalement, les paysans se révoltèrent en 996 dans les campagnes normandes, en Berry, en Rouergue; en Champagne, Lieutard de Verdun, en 1001,conduisit ses troupes dans les églises pour briser les effigies chrétiennes. Les paysans constataient ainsi la mort de leur Dieu, puisque depuis si longtemps la Terre n'était plus féconde; dans l'esprit de ces hommes simples, Dieu ne l'abreuvait plus de son sang; de ce fait, les moissons ne suffisaient plus à les nourrir. Leur Dieu ne remplissait plus son rôle de Sauveur; on détruisit ses représentations triomphales. Peu à peu, on leur substitua d'autres images; on ne pouvait guère supprimer la croix, compte tenu de son symbolisme millénaire et de la durée séculaire des enseignements religieux; on modifia la position du corps de façon à lui faire subir, à son tour, les tortures endurées par ses " fidèles " du fait de ses grandes défaillances dans l'exécution du contrat passé avec ses " sujets ".
      Les imagiers, bientôt inspirés par la piété franciscaine, peignirent un Dieu souffrant sur sa croix jusqu'à créer les chefs-d'œuvre d'un Cimabue vers 1270. La peinture n'est pas uniquement illustration de manuscrits, ou inspirée par ceux-ci. Elle agit puissamment sur l'inconscient, elle excite l'imaginaire, et suscite des émotions, des jugements, des concepts. Ainsi la peinture peut être à l'origine d'une rumeur, d'une opinion, d'une littérature. En l'occurrence, à la fin du XIème siècle, tous les Chrétiens paraissaient croire en la mort effective de leur Dieu, avant sa résurrection. (2)

     Des esprits avisés ne tardèrent pas à s'interroger sur les circonstances de cette mort sur la croix. La collusion d'intérêts de toute sorte, l'envie, la crainte, la haine éprouvée pour les Juifs devenus trop puissants et déclarés Infidèles par le Pape lui-même c'est-à-dire ennemis du Dieu chrétien, forgèrent cette conclusion que les pogroms de 1096 sanctionnaient le crime commis autrefois par les Juifs sur la personne du Christ-Roi.
      Depuis que Constantin au IVème siècle avait édifié les Lieux Saints du christianisme et ouvert la route des pèlerinages, la vie du Sauveur et de ses disciples avait été localisée en Palestine, alors Patrie des Juifs. Eux, seuls, avaient pu faire souffrir puis mourir le Dieu des Chrétiens. A la fin du XIème siècle. les Juifs étaient devenus collectivement le peuple déicide du Sauveur chrétien. Non pas qu'ils aient eu la possibilité autrefois, sous Tibère ou un autre Empereur romain peu importe, de faire mourir, historiquement parlant, ce Sauveur, puisque celui-ci était un pur symbole, le nouveau Mithra décrit par les Evangiles dits de Matthieu et de Luc. Mais les Chrétiens, des paysans en très grande majorité, avaient constaté du fait " des grandes faims " et de leurs folles conséquences la mort de leur Dieu. Il fallait bien une cause à celle-ci; la peur des Juifs fit le reste. Le pape Urbain II, ancien moine de Cluny, les déclara infidèles et prêcha contre eux et les Musulmans la guerre Sainte. L'amour du Christ-Roi pouvait se manifester par la mort d'un juif. L'anti judaïsme chrétien naquit d'un acte de guerre et de la volonté de puissance de l'Etat pontifical. R. Simon, en son temps, l'avait fort justement exprimé: Les Juifs étaient devenus si puissants
                 " qu'on fut enfin obligé de les détruire ".

            F                  L'INVENTION DU JUDEO-CHRISTIANISME

      Comment donc expliquer la naissance, en France, du Judéo-christianisme ?
      A la fin du XVIIème siècle, un tel fossé s'élargissait entre les deux religions que R.Simon sentit la nécessité de présenter les Juifs aux Chrétiens, dans un ouvrage de 1681 où il traduisait Léon de Modène, en le complétant par des remarques sur les cérémonies des Juifs. Un siècle plus tard, la Révolution Française éclatait; les Droits de l'homme et du Citoyen étaient promulgués et condamnés par Pie VI dans son Bref du 10 Mars 1791   " Quod aliquantumt ",; la Constitution civile du clergé obligeaiO les prêtres à prêter serment; plusieurs insoumis furent exécutés, d'autres s'exilèrent; tel A.Garnier qui partit aux Etats-Unis collaborer à la fondation du Séminaire de Baltimore. Revenu en 1803, il enseigna l'Ecriture Sainte au Séminaire de Saint-Sulpice, dont il devint Supérieur Général en 1836. Ses cours, manuscrits, forment deux séries, la plus tardive allant de 1835 à 1839, soit un total de plus de 5.000 feuillets conservés aux archives de Saint-Sulpice. Garnier est le premier à hébraïser Jésus le Galiléen; il est l'inventeur de l'évangile en hébreu dit de Matthieu auquel il donna comme date d'écriture l'année 41 de notre ère; cet évangile, entièrement supposé, aurait été le premier composé.

     Ce Supérieur Général de Saint-Sulpice reflétait précisément une pensée de Restauration de l'ancien Ordre ecclésiastico-monarchique, anti révolutionnaire, anti rationaliste, bien illustrée par la Grande Mission de Besançon en 1825. Le séminaire de Saint-Sulpice est le lieu de formation des futurs responsables de l'enseignement et de l'administration de l'Eglise française; l'influence d'A.Garnier fut considérable; à tel point que récemment le livre de Tresmontant sur " Le Christ hébreu ", directement inspiré par Garnier, connut un succès de librairie honorable, qui dévoila " l'inspiration divine" de cet ouvrage.
      Mais le véritable inventeur du Judéo-Christianisme fut le savant théologien alsacien E.Reuss, professeur au séminaire protestant de Strasbourg de 1828 à 1838, puis professeur ordinaire à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg à partir de 1838, titulaire de la chaire d'Exégèse en 1864. Il fut notamment l'auteur d'une " Histoire de la théologie chrétienne au siècle apostolique ". Le problème de Reuss est de concilier l'inspiration " divine " des Ecritures et les résultats des enquêtes historiques sur la Bible, compte tenu que, dit-il, l'enseignement même du Sauveur " dans l'évangile primitif " constitue l'origine de la doctrine chrétienne. A l'autorité non discutable des Ecritures s'ajoute le témoignage intérieur du Saint-Esprit; ceci permet de découvrir l'originalité de la religion chrétienne en ce qu'elle contient de plus profondément juif. (3)
      Maurice Vernes premier directeur de la " Revue de l' histoire des religions " disait à propos de Reuss: " la théologie protestante étudie rarement le passé sans quelque préoccupation d'y retrouver ses idées favorites..."
      Paradoxalement E.Reuss reconnaissait que les évangélistes n'avaient pas écrit une biographie de Jésus; pour lui, Jésus faisait de la " pure foi en Lui " la condition d'accès au royaume de Dieu; c'est ce qui caractériserait la conception judéo-chrétienne, teintée d'une forte connotation apocalyptique. L'origine du Judéo-Christianisme, instituant comme une antériorité dans l'exécution d'un plan divin, restait, certes, confuse hors de toute référence historique et critique mais le concept fut officialisé en notre langue par Littré, en 1867.

      En fait, pour Reuss, les découvertes scientifiques se juxtaposaient au texte de la Bible sans pouvoir modifier en quoi que ce soit son caractère " sacré ". Il lui était impossible, compte tenu de son éducation et de sa formation intellectuelle , de se poser la question de la validité de ce caractère " sacré ", de sa relativité, c'est-à-dire de sa subjectivité. Il lui était impossible, malgré sa connaissance parfaite de la langue allemande, d'admettre les démonstrations de Kant sur les intuitions, et que, lui, Reuss, confondait avec une voix intérieure de l'Esprit-Saint le surgissement numineux d'un tréfonds psychique inconscient. Son erreur était d'exclure toute notion d'interprétation, alors que, de tous temps et en tous lieux, toute perception visuelle, auditive ou autre a été et reste une interprétation. Il est aussi faux de transformer les auditeurs supposés de Jésus en machines à enregistrer, que de voir dans les copistes du Moyen Age des machines à photocopier.

     Oublier que les textes " sacrés " ont été nécessairement glosés au Xllème siècle principalement parce qu'ils étaient devenus difficilement compréhensibles, du fait, entre autres, de la révolution technique introduite par l'écriture minuscule; oublier que les copistes ont fréquemment incorporé tout ou partie des gloses interlinéaires dans le contenu des livres d'origine; oublier que ces livres ont été imprimés au XVlème siècle d'après le dernier état des manuscrits et non l'état d'origine; oublier tout cela, c'est prendre pour "évangile primitif " ce qui correspond à " la croyance " du lecteur E. Reuss, et non pas découvrir la reproduction exacte des paroles de Jésus. Dans " l'évangile primitif " les paroles de Jésus restent ce que les auteurs-copistes successifs ont jugé bon de lui faire dire. Les Chrétiens ont fabriqué eux-mêmes leur religion; comme toute civilisation, toute religion est mortelle.

     E.Reuss, travailleur infatigable, écrivain prolifique, apôtre de l'enseignement théologique, était pratiquement conditionné, comme A.Garnier, par son affection profonde pour la langue hébraïque devenue comme une langue maternelle, et l'histoire du peuple juif. La langue hébraïque incarnait pour lui celle de la révélation divine; l'histoire juive devenait réellement celle du peuple élu. Toute référence au Judaïsme apportait dans une comparaison une dignité de pensée qu'il fallait absolument rechercher; il parlait bien de Judéo-Christianisme et non deChristo-Judaïsme
      L'on peut aussi imaginer que l'anti judaïsme certain du pape Pie IX, illustré par l'affaire Mortara, fut un élément important dans le choix que fit E.Reuss de sa judéophilie.

                 G                 DIFFUSION DU CONCEPT

     Finalement, pour des personnes étroitement déterminées par leur éducation et leurs croyances religieuses, qui " objectivent " à tout instant, comme A.Garnier et E.Reuss, la parole divine dans l'Ecriture ou la voix intérieure de l'Esprit-Saint, la formulation du concept judéo-chrétien marquait dans le plan du Salut dont on ne pouvait douter la primauté incontestable, c'est-à-dire historiquement supposée, de la religion juive, dont le Christianisme ne pouvait que découler:; nonobstant le fait que l'Ancien Testament chrétien, la Septante, n'est pas la Bible juive. Aussi bien, la notion s'en répandit-elle jusqu'à nos jours d'autant plus facilement que chez les Chrétiens, tant Réformés que Romains dits catholiques, ce retour aux sources constituait une démarche contre-révolutionnaire, anti-rationaliste, qui voulait restaurer " une pure foi dans le Sauveur ", après les horreurs de la Révolution Française et la promulgation des Droits de l'homme donnant à ce dernier la liberté de ne plus obéir aux Commandements divins dictés par les Eglises chrétiennes.

     Chez les Chrétiens romains, la diffusion se fit naturellement par le canal sulpicien de l'enseignement dans les séminaires, où de surcroît quelques individus choisis furent conduits par des filières universitaires à étudier l'hébreu, voire même le sanscrit. Le développement de la connaissance approfondie de la langue hébraïque fut une des conditions fondamentales du succès du Judéo-Christianisme
      Chez les Chrétiens réformés, E.Reuss eut de très nombreux élèves devenus de très nombreux successeurs, qui ne purent surmonter les contradictions internes de son enseignement qu'en s'enfermant dans des interprétations allégoriques ou spirituelles de textes dont la lettre était de plus en plus ridiculisée par les découvertes scientifiques. Comment pouvait-on fixer, comme les Juifs de nos jours, la création de la Terre à un peu plus de 7 mille ans, alors que les astrophysiciens font remonter son apparition à plus de 3 milliards d'années ? Que les préhistoriens décrivent un néolithique âgé de 7 mille ans ? Comment concilier l'évolution scientifique avec la fixité de la création juive ? Comment insérer le géocentrisme du dogme chrétien de l'Incarnation dans le ciel de notre galaxie riche à lui seul de cent milliards d'étoiles ? Comment nier la réalité de fortes influences littéraires, égypto-babyloniennes, dans ce que l'on continue d'appeler l'Ecriture Sainte ?

     En bref, les séminaristes romains et les étudiants ou étudiantes en théologie protestante sont formés dans des conditions très analogues. Sauf dans le domaine de l'allégorisation, ils ne font que répéter les enseignements de leurs Maîtres. La vérité "divine" leur est donnée une fois pour toutes, inviolable, non discutable; à tel point que les lumières projetées accidentellement par E. Reuss sur l' anhistoricité des évangiles et le caractère purement humain de la Bible ne provoquent aucune réaction dans ces milieux " religieux " et ne conduisent jamais personne à oser poser la question de l'existence historique de Jésus Christ. Le caractère " divin " de l'Ecriture Sainte manifeste finalement leur hétéronomie à l'égard de leurs Maîtres, lien que ces étudiants et séminaristes ne veulent pas rompre.

              H                  ROLE DES INSTITUTIONS UNIVERSITAIRES

     Les deux courants de pensée chrétienne, le Romain et le Réformé, se retrouvent à travailler ensemble dans un site universitaire renommé : - L'Ecole Pratique des Hautes Etudes à la Sorbonne, plus précisément dans la 5ème Section dite des Sciences religieuses de l'E.PH.E. et la Direction d'Etude des Origines du Christianisme.
      La création de cette 5ème Section vers 1880, avait soulevé une vive opposition de la part d'E.Renan; celui-ci se méfiait beaucoup de l'emprise des Eglises sur ces " Sciences religieuses ", " qui attribuent à la Religion une objectivité qu'elle n'a pas ". Selon E.Renan, l'évolution de l'esprit humain produisait nécessairement des strates religieuses; ainsi  disait-il " les lois qui ont produit Jésus sont les lois permanentes de la conscience humaine ". Renan s'appuyait notamment sur les travaux de psychologie clinique de P. Janet et autres pour interpréter l'histoire de Jésus et de ses Apôtres.
      A l'E.P.H.E. -5ème Section, la Direction d'étude des Origines du Christianisme n'a pas été assurée " dans un esprit laïc et profane par des personnes étrangères à toute théologie; qui ne songent ni à édifier, ni à défendre les dogmes, ni à les réviser ". Les enseignants ont été en effet des Chrétiens, Réformés ou Romains, pour lesquels les présupposés de leur religion ne sont pas discutables. Ils proposent certes à leurs auditoires l'étude approfondie de livres dits apocryphes, des Pères de l'Eglise, des gnostiques, hérétiques etc... pour en quelque sorte meubler le temps et éviter d' avoir à justifier les Eglises dans " les vérités " qu'elles exposent. On a continué à présenter les écrits canoniques chrétiens comme des textes du premier siècle de notre ère, alors qu'ils ont été imprimés pour la première fois en 1592, dans ce qu'on appelle habituellement la "sixto-clémentine" préparée par Rome après une décision du Concile de Trente de 1546. Peu importe qu'un texte de ce1er siècle, " sacré " ou non, ait été écrit en lettres majuscules et en continu, sans ponctuation, sans paragraphe ni chapitre; peu importe que la mise en page ou en chapitre ait été progressivement créée au XIIème et XIIIème siècle, on se conforme à la Tradition.
      Malgré les travaux sur le mirage des sources littéraires, les variantes inévitables dans la copie manuelle des manuscrits, l'insertion de gloses dans les textes évangéliques pour leur donner un sens, on fait comme si tout copiste du Moyen Age, lettré ou non, avait opéré avec une photocopieuse machinalement et sans fatigue. On a commenté, jusqu'à l'écœurement des auditoires, les épîtres dites pauliniennes en oubliant le contexte des débuts de notre ère, la censure impériale sourcilleuse, l'inexistence d'une action contre les écrits chrétiens avant les persécutions de Dioclétien, dont on a volontairement ignoré les résultats pour " couver" cette pure irréalité d'une littérature chrétienne authentique et conforme à une Tradition apostolique fondée en définitive sur les fantasmagories du " Liber pontificalis ".

     Renan avait bien raison de se méfier de cette création universitaire, où, du fait de la cooptation des directeurs d'étude, voisinent confraternellement des universitaires chrétiens de toute tendance qui se partagent en outre directions de revues, enseignements à l'Institut catholique ou à la Faculté de Théologie protestante de Paris, rédaction de livres, d'articles, traductions diverses etc... Publier, certes, reste un impératif pour des universitaires; toutefois le souci de la science ne prime plus, mais celui de la carrière à parcourir.

     Actuellement, la question du Judéo-Christianisme a pris un tour tragique suite aux événements de 1940/1945, qui ont abouti au drame indicible de la Shoah. Sous couvert de respecter l'autorité des Ecritures et la primauté du peuple juif, le débat tente maintenant d'éviter le discrédit de l'Etat Pontifical, dont la passivité à l'époque a pu laisser se développer les moyens d'extermination. Les années considérées ont vu également se créer, à l'échelon familial ou individuel ,des situations d'adoption ou de garde d'enfants juifs par des Chrétiens qui ne sont pas sans rappeler l'affaire Mortara. La formule: " Tout Chrétien est un Juif tout Juif est un Chrétien " a été particulièrement utilisée après la guerre par un aumônier d'origine juive malgré un changement de patronyme, devenu par la suite un prince de l'Etat Pontifical; il y avait ,dans cette occasion, tout intérêt à essayer de donner la même origine aux deux religions pour éviter toute dénonciation pour abjuration. L'Etat Pontifical a pour sa part développé un discours ambigu. prônant l'amour de Dieu et du prochain, qui lui permettait non seulement de se ranger du côté des victimes mais aussi de s'approprier leur douleur et leur drame; il tenta même de s'approprier les lieux typiques du génocide par l'implantation d'un Carmel, de croix pontificales etc...à Auschwitz.

     Après cette période de la deuxième guerre mondiale, on vit parallèlement la 5ème Section de l'E.P.H.E. accueillir plusieurs universitaires juifs, certains de grande valeur, et choisir parmi eux des directeurs d'étude. Ce fut le cas tout dernièrement pour la Direction d'étude des" Origines du Christianisme ". La cooptation à sa tête d'une personnalité d'origine juive marquait symboliquement le triomphe du concept de Judéo-Christianisme, et la primauté de la religion juive; si bien que l'intéressé publia très rapidement après sa nomination un ouvrage voulant prouver que le Judéo-Christianisme relevait de l'Antiquité, et que la secte des Ebionites constituait une matrice de la religion chrétienne. Mais comme il cite tout au début de son livre l'Archevêque de sa ville pour appuyer sa thèse, et que celui-ci n'est en aucune manière un historien, sauf à réécrire le passé en fonction de ses besoins identitaires, sa démonstration sombre dans le courant des œuvres de complaisance. La collusion d'intérêts, sous le couvert des Ecritures divines, favorise un carriérisme dont la fin souhaitée conduirait au Collège de France.
      E.Renan avait donc bien raison de s'élever contre la création de cette Section dite des " Sciences religieuses ", qui se dota de la Direction d' Etude des Origines du Christianisme; ce fut un échec pour la laïcité : on présenta comme données "scientifiques " des éléments de croyance, qui ne faisaient que concrétiser des phénomènes psycho-sociologiques, manifestant des images jusque là inconscientes.
      Quoi qu'il en soit, le judéo-christianisme demeure pour les Chrétiens romains un non-sens, puisque leur Ancien Testament, la Septante Alexandrine, n'apparaît pas dans la liste des livres saints de la religion juive; outre le fait que matériellement la Septante présente au moins trois mille variantes par comparaison avec le texte des livres juifs correspondants; en particulier, le fondement du monothéisme n'existe pas dans la Septante (Exode XX -5), par l'absence formelle d'un article devant le mot Kurios, même si les traductions conventionnelles en ajoutent un faussement, par " pieuse " fraude. Il n' y a ni communauté d ' Ecritures, ni communauté de religion. La religion chrétienne reste une religion impérialiste, d'origine romaine, quoi qu'on veuille.

     Pour les Chrétiens protestants, à cause de leur propension à transformer le flux de leurs intuitions en voix de l'Esprit-Saint, à cause de leur conviction première de la " sacralité " de la Bible tenant à leur éducation familiale, le concept de judéo-christianisme mesure leur asservissement à une Tradition irrationnelle, certains cherchent à s'en libérer par la profession d'une philosophie agnostique
      Ces dernières années, la question s'est un peu déplacée par la création au C.N.R.S. d'une Unité de Recherche sur les religions du Livre. La dénomination de cette entreprise laisserait entendre que ces Religions ont un seul et même livre en partage, ce qui est faux. Par contre, on ne saurait mieux dire que ces religions sont à la fois idolâtriques et anthropomorphiques. On a beau vouloir confondre monothéisme et monolâtrie, il n'y a pas de fait surnaturel à l'origine de la religion juive ou chrétienne. La religion est un langage inventé par les hommes pour apaiser leurs peurs innées dues à leur environnement naturel, leur milieu de vie culturel historico-politique, économique etc....La peur de l'autre, du différent devenu un ennemi, a fait surgir le concept d'un dieu national, tout puissant, guide du Chef des Armées, dont celui-ci n'est que la représentation; ainsi, le pouvoir naît de la" divinité." Les peurs engendreront en outre le recours aux pratiques de la magie, favoriseront les superstitions, peupleront le proche Univers de personnalités célestes, dieux ou démons, anges de diverses catégories, héros, saints.,etc.

     Quelques siècles devraient sans doute s'écouler avant que des hommes plus nombreux réfléchissent à l'inanité de ces sornettes et à la nécessité pour l'homme de grandir en conscience pour se réaliser, d'acquérir plus d'être, de fonder sa religion sur la raison pour devenir à travers de nombreuses transformations le Tout-Conscience; Tout-Conscience qui dans son évolution a engendré les existants visibles et invisibles, des univers en nombre indéterminé, et, autour d'une étoile parmi les milliards de notre galaxie, la minusculissime Terre et les nano-poussières humaines.

     Le judéo-christianisme au milieu du XIXème siècle ne s'est fondé en France sur aucune preuve historique, mais sur le besoin d'affirmer une identité reconstruite en opposition aux libertés de la Révolution Française et à partir de la quête d'une servitude se voulant " pure foi en Jésus ". Finalement, comme le concept de Dieu est    " objectivé ", comme les " fidèles " décrivent des "images premières dynamiques " (G.Bachelard) issues de leur inconscient, ces " fidèles" s'agenouillent devant leurs propres créations; ils s'idolâtrent.
            L'homme n'est pas la création d'un dieu, mais tout dieu est la créature d'un homme.

(1) Cf. "Prions en Eglise" -Revue mensuelle n° 1 07 -Novembre 1995 pages 10 et 11

2) Le mot de crucifix apparaît en français sous la forme de crocefis en 1170 crecefis fin du XIIème siècle, crucifit en 1223 (DHLF' Le Robert Paris 1995 tome 1 -page 538)Le crucifix s'élève -comme un cri de vengeance en un appel au meurtre.

(3) C.F. F.LAPLANCHE " La bible en france entre mythe et critique - 16 ème et 19 ème siècle.

                         

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